Noam Chomsky sur le « moment honteux » des médias à Gaza et comment un changement des USA pourrait terminer l’occupation

Regardez la première partie de l’interview de Noam Chomsky par Amy Goodman sur le BDS et comment l’occupation israélienne est « Bien pire que l’apartheid »

Alors qu’un nouveau cessez-le-feu de 72 heures s’établit à Gaza, nous arrivons à la 2eme partie de notre interview avec le dissident et linguiste de renommée mondiale, le professeur Noam Chomsky du MIT. Critiquant la couverture médiatique US de l’assaut israélien sur Gaza, Chomsky dit : « C’est un moment honteux pour les médias US quand ils insistent pour être les serviteurs de la propagande grotesque d’un État violent et agressif ». Chomsky discute aussi son point de vue de longue date, que la pression populaire ici est critique pour mettre fin au soutien du gouvernement US à l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza. « Les États-Unis continuent de fournir un soutien, critique, décisif, pour les atrocités » dit-il. « Tôt ou tard, il est possible – et ceci dépend vraiment de nous – que la pression interne oblige le gouvernement US de rejoindre le monde sur cette question. Ce sera un changement décisif ».

Transcription

AMY GOODMAN : Alors qu’une nouvelle trêve de 72 heures à Gaza semble tenir, nous commençons la deuxième partie de notre interview avec Noam Chomsky, le dissident politique de renommée mondiale, linguiste et auteur, professeur émérite au MIT où il a enseigné pendant plus de 50 ans. Il est l’auteur d’une centaine de livres dont très récemment «Gaza in Crisis: Reflections on Israel’s War Against the Palestinians » qu’il a écrit avec le professeur Ilan Pappe. J’ai parlé avec Noam Chomsky jeudi, au milieu du premier cessez-le-feu de 72 heures. J’ai commencé en l’interrogeant sur la couverture médiatique du conflit en lui passant le clip du récent show de CBS ‘Face The Nation’ avec Bob Schieffer.

BOB SCHIEFFER : « Au Moyen-Orient, le peuple palestinien est sous l’emprise d’un groupe terroriste qui s’est lancé dans la stratégie d’avoir ses propres enfants tués afin de d’attirer de la sympathie pour sa cause – une stratégie qui pourrait marcher, au moins dans certains milieux. La semaine dernière, j’ai trouvé une citation faite il y a longtemps par Golda Meir, une des premières dirigeantes d’Israël, qu’on aurait pu dire hier : « Nous pouvons pardonner aux Arabes qu’ils tuent nos enfants » a-t-elle dit, « mais nous ne pouvons jamais leur pardonner de nous forcer à tuer leurs enfants ».

AMY GOODMAN : C’était le journaliste de CBS Bob Schieffer. Noam Chomsky, pouvez-vous répondre ?

NOAM CHOMSKY : Bon, nous n’avons pas vraiment besoin d’écouter CBS, car nous pouvons écouter directement les agences israéliennes de propagande qu’il cite. C’est un moment honteux pour les médias US quand ils insistent pour être serviteurs de la propagande grotesque d’un État violent et agressif. Quant au commentaire lui-même, le commentaire israélien qu’il – le commentaire de propagande qu’il citait, peut-être le meilleur commentaire à ce propos est celui qu’a fait la grande journaliste israélienne Amira Hass, qui l’a justement décrit comme « du sadisme masqué en compassion ». C’est la caractérisation juste.

AMY GOODMAN : Je voulais vous demander à propos du rôle de l’ONU et des USA – aussi vis-à-vis des USA. Voici le haut-commissaire de l’ONU pour les droits humains, Navi Pillay, qui critique les USA pour leur rôle dans l’assaut israélien sur Gaza.

NAVI PILLAY : « Ils ont non seulement fourni l’armement lourd qui est maintenant utilisé par Israël à Gaza, mais ils ont aussi fourni presque 1 milliard de dollars en fournissant le Dôme de Fer pour protéger les Israéliens des attaques de roquettes, mais aucune protection n’a été fournie au Gazouis contre les tirs. Aussi, je rappelle aux États-Unis qu’ils sont Parties du Droit humanitaire international et des droits humains ».

AMY GOODMAN : C’était Navi Pillay, le Haut-commissaire de l’ONU pour les droits humains. Noam, vendredi, c’était le moment où le nombre Palestiniens morts a dépassé celui de l’opération Plomb durci, il a dépassé 1400. Le président Obama était à la Maison-Blanche, et il a tenu une conférence de presse. Il n’a pas soulevé la question de Gaza à la conférence de presse mais il a été immédiatement interrogé sur Gaza, et il en a parlé – il a réaffirmé le soutien des USA pour Israël, il a dit que le réapprovisionnement de munitions était en cours, et que 220 millions de dollars iraient pour un Dôme de Fer agrandi.

PRESIDENT BARACK OBAMA : « Israël a le droit de se défendre contre les attaques de roquettes qui terrorisent le peuple israélien. On ne peut attendre d’aucun pays sur terre qu’il vive sous une pluie quotidienne de roquettes. Je suis fier que le système Dôme de Fer que les Américains ont aidé Israël à développer et à financer ait sauvé de nombreuses vies israéliennes ».

AMY GOODMAN : Et puis le week-end est arrivé, et une autre attaque sur un abri de l’ONU, une des écoles où des milliers de Palestiniens avaient prient refuge, et plusieurs ont été tués, dont des enfants. Et même les États-Unis se sont joints à l’ONU en critiquant ce qu’Israël faisait. Pouvez-vous nous parler de ce que les USA ont fait et si vous voyez un réel changement en ce moment ?

NOAM CHOMSKY : Eh bien commençons avec ce que les USA ont fait, et continuons avec les commentaires avec la Commission des droits humains de l’ONU. Juste au moment de la citation que vous avez donnée à la radio – que vous avez donné avant, il y avait un débat à la Commission des droits humains sur une enquête ou non – pas de l’action, juste une enquête – sur ce qui s’est passé à Gaza, une enquête sur de possibles violations des droits humains. « Possible » est une sorte de plaisanterie. Ce fut acquis, avec un vote négatif. Devinez qui. Obama vota contre une enquête, en même temps qu’il donnait ses commentaires polis. Ça c’est l’action. Les États-Unis continuent de fournir, comme Pillay l’indique, le soutien critique, décisif pour les atrocités. Quand ce qu’on appelle des avions israéliens bombardent des cibles sans défense à Gaza, ce sont des avions américains avec des pilotes israéliens. Même chose avec les munitions high-tech etc. etc. Alors c’est encore du sadisme masqué sous de la compassion. Voilà les actions.

AMY GOODMAN : Au sujet de l’opinion aux États-Unis ? Pouvez-vous parler de son rôle ? Nous avons vu certains changements remarquables. MSNBC avait le reporter Ayman Mohyeldin, qui a été à Al Jazeera, très respecté. En 2008 Sherine Tadros et lui ont été les seuls reporters occidentaux couvrant l’opération Plomb durci à Gaza, une énorme expérience dans la région. Il a été écarté par MSNBC. Mais parce qu’il y a eu une énorme réaction contre ça, avec – je crois que le slogan était « laissez Ayman rapporter » – il a été repris. Alors il y avait le sentiment que les gens voulaient se faire une idée de ce qui se passait sur le terrain. Il semblait y avoir une sorte d’ouverture. Sentez-vous une différence dans la population américaine, comment – l’attitude envers ce qui se passe en Israël et les territoires occupés ?

NOAM CHOMSKY : Absolument. Ça se produit depuis des années. Il y a eu une sorte de point d’inflexion qui a augmenté après Plomb durci qui a horrifié beaucoup de gens et ça se produit à nouveau maintenant. Vous pouvez le voir partout. Prenez, disons, le New York Times. Le New York Times a consacré une bonne part de sa page éditoriale à un journal sur Gaza il y a deux jours, qui était déchirant et éloquent. Il a eu deux éditoriaux forts condamnant la politique extrémiste israélienne. C’est nouveau et ça reflète quelque chose qui se produit dans le pays. Vous pourrez le voir dans les sondages, particulièrement parmi les jeunes. Si vous regardez le résultat des sondages, les moins de 30 ans environ ont basculé substantiellement maintenant. Vous pouvez le voir sur les campus des collèges. Je veux dire, je le vois personnellement. J’ai donné des conférences sur ces questions pendant près de 50 ans. J’avais littéralement une protection policière, même dans ma propre université. Les meetings étaient interrompus violemment, vous savez, d’énormes protestations. Dans la dernière décennie environ, ceci a changé considérablement et maintenant la solidarité avec la Palestine est peut-être la question numéro un sur les campus. Énormes audiences. Il n’y a pas – à peine une question hostile. C’est un énorme changement. C’est frappant parmi les jeunes, mais ils vieillissent.

Il faut pourtant se souvenir de quelque chose sur les États-Unis : ce n’est pas une démocratie, c’est une ploutocratie. Il y a des études l’une après l’autre qui viennent de la science politique universitaire dominante, montrant ce que nous savons ou devrions savoir, que les décisions politiques sont faites par un tout petit secteur de privilèges et de fortunes extrêmes, le capital concentré. Concernant la plupart de la population, ses opinions ne comptent pas dans le système politique. Elle est essentiellement sans droits. Je peux donner les détails si vous voulez mais à la base c’est l’histoire. Maintenant, l’opinion publique peut faire une différence. Même sous les dictatures, le public ne peut pas être ignoré, et dans une société partiellement démocratique comme celle-ci, encore moins. Aussi, en fin de compte, ça fera une différence. Et le temps de ce « en fin de compte » dépend de nous.

Nous avons déjà vu ça. Prenez par exemple le cas du Timor Est que j’ai mentionné. Pendant 25 ans, les États-Unis ont fortement soutenu l’invasion indonésienne et le massacre vicieux, virtuellement un génocide. Ça continuait en 1999, quand les atrocités indonésiennes augmentèrent et escaladèrent. Après que Dili, la capitale, soit pratiquement évacuée après les attaques indonésiennes, les USA les soutenaient encore. Finalement, à la mi-septembre 1999, sous une pression internationale et aussi interne considérable, Clinton a dit tranquillement aux généraux indonésiens « C’est fini ». Ils avaient dit qu’ils ne partiraient jamais. Ils disaient « C’est notre territoire ». Ils se sont retirés en quelques jours et ont permis à une force de la paix de l’ONU d’entrer sans résistance militaire indonésienne. Eh bien, vous savez, c’est une indication spectaculaire de ce qui peut être fait. Le cas sud-africain est plus complexe mais il a des ressemblances et il y en a d’autres. Tôt ou tard, il est possible – et ça dépend vraiment de nous – que la pression domestique oblige le gouvernement US de rejoindre le monde sur cette question, et ce sera un changement décisif.

AMY GOODMAN : Le professeur du MIT Noam Chomsky. Après le break, nous parlerons du BDS, le mouvement boycott, désinvestissement et sanctions.