La Chine, Israël et Myanmar sont apparus comme les trois pires agresseurs au monde dans une nouvelle année-record d’emprisonnement de journalistes pour le travail qu’ils font; c’est ce qu’a établi le recensement 2024 de la population carcérale du Comité pour la Protection des Journalistes. Le Belarus et la Russie complètent le top five, dans le deuxième niveau le plus haut de journalistes derrière les barreaux documenté par le CPJ – un total mondial d’au moins 361 journalistes incarcérés au 1er décembre 2024.

WASHINGTON — Israël se place au deuxième rang après la Chine comme pays qui emprisonne le plus de journalistes au monde, selon un rapport publié jeudi.
Le nombre de journalistes détenus par Israël a plus que doublé depuis l’an dernier, avec 43 d’entre eux derrière les barreaux, tous Palestiniens, selon le Comité de Protection des Journalistes, le CPJ.
Le rapport annuel du CPJ, qui représente un instantané des journalistes emprisonnés pour leur travail au 1er décembre 2024, indique 361 journalistes derrière les barreaux dans le monde. C’est le deuxième nombre le plus élevé que le CPJ a documenté depuis qu’il a commencé à faire ce décompte en 1992.
« Cette criminalisation accrue de journalistes que nous pouvons voir, est une tactique délibérée de la part de gouvernements pour faire taire les journalistes » a dit à VOA Jodie Ginsberg, la PDG du CPJ.
Avec Israël, le nombre de journalistes en détention reflète une répression plus large sur les médias dans le cadre de la guerre Israël-Hamas, selon Ginsberg.
« Ce qu’on a vu depuis le début de la guerre correspond à un schéma de censure de la part d’Israël » a dit Ginsberg. « Malheureusement, ce nombre d’emprisonnements s’inscrit dans ce schéma ».
La guerre Israël—Hamas a été le conflit le plus meurtrier officiellement apparu dans les médias, avec au moins 165 journalistes – Palestiniens pour la plupart – tués, selon le CPJ. Israël a aussi bloqué les émissions de la chaîne qatarie Al Jazeera dans le pays et fermé ses bureaux en Cisjordanie occupée, invoquant des raisons de sécurité.
L’Autorité Palestinienne a aussi suspendu les émissions d’Al Jazeera sous prétexte d’incitation. Cela s’est passé après la couverture par le réseau d’affrontements entre les forces de sécurité du territoire et des combattants.
Le ministère israélien des affaires étrangères et de l’armée n’a pas répondu aux mails de VOA pour des commentaires.
Mercredi, Israël et le Hamas se sont mis d’accord sur un cessez-le feu censé être effectif samedi.
« J’espère vraiment que ce cessez-le feu apportera un changement complet et radical au traitement des journalistes et au traitement de l’information vers l’extérieur de Gaza et de Cisjordanie » a dit Ginsberg.
Mais, a-t-elle dit, les gouvernements prennent souvent appui sur des situations d’urgence pour justifier la détention de journalistes et parfois cette détention continue même après la fin de l’urgence.
La Chine a maintenu son statut du pire geôlier de journalistes au monde, avec 50 d’entre eux derrière les barreaux. Mais c’est probablement sous-estimé, a dit le CPJ, étant donné que la censure et la surveillance font que les familles craignent souvent de parler de la détention d’un parent.
Un autre enseignement du recensement de cette année porte justement sur la rapidité avec laquelle la liberté de la presse peut s’effriter, selon Ginsberg. « La vitesse avec laquelle nous pouvons perdre nos libertés est vraiment un élément important à retenir » a-t-elle dit en prenant Hong Kong pour exemple.
Hong Kong a été naguère loué comme bastion de la liberté de la presse, mais la liberté des médias s’est rapidement détériorée dans la ville après que la loi nationale de sécurité de Pékin a pris effet en 2020.
À Hong Kong, Jimmy Lai, l’éditeur prodémocratie a été soumis à un procès pendant plus d’un an sur des accusations concernant la sécurité nationale, largement considérées comme motivées politiquement. Ce citoyen britannique risque de passer sa vie en prison pour des accusations qu’il rejette.
« Sa santé s’est beaucoup dégradée, comme on peut l’attendre du placement à l’isolement d’un homme de 77 ans pendant quatre ans. Mais il garde tout son courage. Son esprit reste fort » a dit son fils Sébastien à VOA en novembre.
Un porte-parole de l’ambassade de Chine à Washington a dit à VOA que le gouvernement chinois protègeait la liberté de parole. « Les progrès du secteur de l’actualité en Chine sont évidents aux yeux de tous » a dit Liu Pengyu, le porte-parole, dans une déclaration envoyée par mail.
Parmi les 361 journalistes emprisonnés dans le monde se trouvent des reporters et des collaborateurs de VOA et de ses organes sœurs. Ils sont emprisonnés au Myanmar, au Belarus, en Russie, au Vietnam et en Azerbaïdjan, pays qui figurent tous dans les dix pires geôliers de journalistes.
« Le journalisme n’est pas un crime, pourtant des journalistes dans le monde entier – notamment de nombreux membres des réseaux USAGM[1] – sont de plus en plus persécutés pour informer sur la vérité » a déclaré Amanda Bennett, la PDG d’USAGM.
« Le harcèlement des journalistes doit cesser. L’USAGM exige la libération immédiate de tous ceux qui sont indument emprisonnés et le droit de faire des reportages sans craindre de châtiment » a ajouté Bennett.
Myanmar se classe troisième dans le recensement 2024 des prisons, avec 35 journalistes derrière les barreaux, dont Sithu Aung Myint, qui a travaillé dans le bureau birman de VOA.
Depuis le coup d’État de 2021, l’armée de Myanmar s’est engagée dans une répression féroce des médias indépendants, forçant plusieurs de leurs équipes à fuir en exil. Ceux qui sont restés risquent l’arrestation.
Myanmar est suivi de près par le Belarus où le gouvernement à emprisonné 31 journalistes, dont les journalistes de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), Igar Losik et Andrey Kuznechyk.
Deux journalistes américains – Alsu Kurmasheva de RFE/RL et Evan Gershkovich du Wall Street Journal – ont été libérés pour détention abusive en Russie lors d’un échange de prisonniers en 2024, mais la Russie se classe toujours cinquième des pires, avec 30 journalistes derrière les barreaux, dont des journalistes de RFE/RL.
Près de la moitié de ceux détenus en Russie sont ukrainiens, selon le CPJ.
À la sixième place se trouve l’Égypte, avec 17 journalistes derrière les barreaux. L’Érythrée, l’Iran et le Vietnam sont à égalité à la septième place, avec 16 journalistes emprisonnés dans chacun de ces pays. Deux collaborateurs de Radio Free Asia et un de VOA sont emprisonnés au Vietnam.
L’Azerbaïdjan se classe huitième avec 13 journalistes derrière les barreaux au 1er décembre. Après la réalisation du recensement, un des journalistes a été libéré, mais six autres ont été emprisonnés, portant le total actuel à 18, selon le CPJ.
« L’Azerbaïdjan a exercé une répression sur les médias indépendants au cours de bien plus d’une décennie » a dit Ginsberg. « Il ne reçoit pas souvent toute l’attention qu’il mérite ».
Le journaliste de RFE/RL, Farid Mehralizada fait partie des emprisonnés en Azerbaïdjan.
« Mon arrestation a mis en avant comment des gouvernements autoritaires comme celui d’Azerbaïdjan, craignent le pouvoir du nombre et la réalité révélée par les statistiques », a dit Mehralizada à VOA en décembre, dans un message relayé par sa femme.
La Turquie avec 11 journalistes derrière les barreaux et l’Arabie Saoudite avec 10, viennent compléter le groupe des dix pays qui emprisonnent le plus les journalistes.
Tous les pays n’emprisonnent pas de nombreux journalistes – mais ce n’est pas toujours bon signe a dit Ginsberg.
En Amérique Latine et dans les Caraïbes, le CPJ a compté trois journalistes emprisonnés au Venezuela et un dans chacun des pays suivants : le Nicaragua, Cuba et le Guatemala. Et lorsque le CPJ a fait ce recensement, il n’y avait pas de journaliste emprisonné au Mexique – mais le Mexique est encore un des lieux les plus dangereux pour des journalistes en dehors des zones de guerre.
« Dans certains cas, un faible nombre de journalistes en prison dans un régime répressif est en fait une indication de la réussite de ce régime à les réprimer » a dit Ginsberg.
[1] L’Agence Américaine pour les Médias Mondiaux
- Photo : Un policier (à gauche) à l’entrée d’une prison dans la région autonome du Xinjian Ouïgour de l’ouest de la Chine, avril 2021. Des prisonniers palestiniens aux yeux bandés arrêtés à Gaza (au centre) dans un lieu de détention au sud d’Israël à l’automne 2023 et l’extérieur de la prison Insein à Yangon (Rangoun), au Myanmar, où des parents attendent la libération de prisonniers le 4 janvier 2024 (Photos à partir de la gauche : AP/Mark Schiefelbein; Breaking the Silence via AP; AFP)