Un Palestinien en route pour l’école est atteint d’une balle dans la tête tirée par la police israélienne et survit pour témoigner

En quelque sorte, le jeune de 16 ans Fawaz Abed n’a pas été tué. La Police des Frontières lui a tiré à faible distance dans la tête, près de chez lui à El Bireh, et lui a peut-être aussi donné des coups de pieds, disent les témoins. Une opération en urgence lui a sauvé la vie.

Le garçon a un examen aujourd’hui. Il part de chez lui de bonne heure pour avoir le temps de boire un café avec son ami dans un café voisin. Ils s’y retrouvent tous les matins en allant à l’école. A cause de l’examen, il n’emporte qu’un manuel et un stylo et sort silencieusement de la maison. Son père dort encore. Il est 7 H.30 du matin dans un quartier résidentiel tranquille du centre d’El Bireh, ville adjacente à Ramallah.

Alors qu’il remonte la rue vers le café, il remarque un groupe de policiers des frontières rassemblés à l’intersection en bas. Aussi, afin d’éviter de les rencontrer, il cherche une route alternative et se met à courir. Le livre s’échappe de ses mains et il se baisse pour le ramasser – geste qui, comme on le voit, aurait pu lui coûter la vie. Les troupes sont en travers de sa route.

Soudain, deux policiers des frontières apparaissent à sa droite, grimpant par un chemin coincé entre deux des maisons de la rue. L’un d’eux le cerne, apparemment en fin de course et lui tire dessus à une distance de quelques mètres avec une balle métallique à pointe spongieuse – dans la tête. Le garçon tombe, vautré dans son sang. C’est tout ce dont il se souvient. Quand il se réveillera à l’hôpital, après cinq heures d’opération, il apprendra que sa vie est sauve par miracle. Fin heureuse pour une histoire terrible. Voilà ce qu’il en est sur le chemin de l’école à El Bireh, ou n’importe où sous les sombres cieux de l’occupation.

La veille au soir, vers minuit, des Palestiniens avaient ouvert le feu sur un bus plein de colons près de la colonie voisine de Beit El. Personne n’a été blessé, mais les fenêtres ont volé en éclats et les tireurs ont fui. Les forces de sécurité ont immédiatement lancé une chasse à l’homme, dans laquelle tout est permis, bien sûr. Une unité de la Police des Frontières a fait une descente sur El Bireh et a commencé à confisquer les caméras de sécurité des magasins et des cafés du quartier où vit l’adolescent avec sa famille. C’était dimanche matin, 6 janvier.

Le garçon s’appelle Fawaz Abed ; il a 16 ans. Son père, Maher, 45 ans, est inspecteur dans la municipalité d’El Bireh, Palestinien né Péruvien, qui a encore la citoyenneté péruvienne et parle anglais avec un lourd accent espagnol. Maher a passé la majeure partie de sa vie en exil avec sa famille, d’abord au Pérou, puis aux Etats Unis, avant de revenir dans le village de ses parents après que son frère, Moussa, ait été tué au cours d’un vol à main armée à Brooklyn. Ses trois sœurs sont restées au Pérou avec leurs familles.

Maher est né à Ica, ville du désert nichée au milieu des dunes à 300 kilomètres au sud de Lima. Il avait 15 ans quand sa famille a déménagé à Brooklyn et ils ont vécu là les deux années suivantes à gérer une supérette, jusqu’à ce vol à main armée qui les a renvoyés chez eux, vers la vie sereine et sure de El Bireh occupée où Fawaz est né.

Atteindre El Bireh était à nouveau difficile et compliqué cette semaine. Le checkpoint du Bureau de Coordination du District au nord de Ramallah était encore fermé au trafic, en guise de punition collective pour les récents incidents de tirs dans la zone ; au checkpoint de Qalandiyah, vers le sud de Ramallah, le trafic était refoulé sur des kilomètres. Lorsque nous avons pu enfin passer, nous avons vu que, de l’autre côté – pour ceux qui souhaitaient quitter la ville – c’était fermé. Des Policiers des frontières en uniforme noir se tenaient arme au clair, pointant leurs fusils vers la file sans fin de voitures face à eux, empêchant tout mouvement. Pourquoi cette partie du checkpoint était bloquée, ou pour combien de temps, difficile à savoir. Des centaines de conducteurs frustrés, dont le temps et la dignité peuvent toujours être oubliés, et spécialement les chauffeurs de camions, déchargeaient leur colère en actionnant leurs klaxons dans une cacophonie à briser les tympans. Les pétarades de klaxons semblent être la seule forme de protestation autorisée ici. Avec la misère caractéristique, chaotique tout autour de Qalandiyah, comme la mise en scène d’un film d’horreur, cela donnait un spectacle effrayant, désespérant, même si la routine pour les Palestiniens.

L’incident impliquant Fawaz est arrivé dans la rue Al-Balad al Qadimah, au centre du vieux quartier d’El Bireh. Là, le calme est trompeur : en quelques minutes, quand les troupes des Forces de Défense Israéliennes ou la Police des Frontières font irruption, les rues peuvent se transformer en champ de massacre.

Face à un magasin de matériel électrique, il y a un enclos pour animaux avec deux chèvres, un âne et son ânon qui se tiennent maintenant à l’endroit d’où le policier des frontières a tiré dans la tête de Fawaz et grignotent des débris de nourriture et de sacs plastique. Dans l’intérim, une large tache de sang a presque disparu de la route.

Ce matin là, Fawaz avait quitté sa maison, en route pour le lycée Amin al-Husseini, pour boire un café avec son ami Amjad Quran qui étudie dans un autre établissement. Au même moment, la Police des Frontières récupérait les caméras de surveillance des magasins et des cafés en bas de la rue. Alors qu’ils s’activaient, quelques garçons leur jetaient des pierres et eux répliquaient avec des gaz lacrymogènes et des balles de métal à pointe spongieuse.

Selon l’enquête menée par Lyad Hadad, chercheur de terrain pour l’organisation des droits de l’Homme B’Tselem, la police a engagé une compétition de cris avec Fawaz. Hadad pense que c’était probablement pour détourner son attention alors que deux membres de l’unité s’approchaient, l’ont pris à droite par surprise et lui ont tiré dessus.

Pourquoi lui a-t-on tiré dessus ? Ce n’est toujours pas clair. Maher pense que son fils a éveillé leurs soupçons quand il a essayé de s’enfuir. La grand-mère de Fawaz, Therwa, dit qu’ils ont tiré sur lui parce qu’il est grand. Cette semaine, c’était difficile de trouver des explications plus convaincantes.

Fawaz nie avoir été impliqué dans les jets de pierres. Son père le soutient : « Il n’a jamais jeté de pierres. Dans quel but ? J’ai élevé mes enfants à ne pas faire ce genre de choses. » Selon Hadad de B’Tselem, la rue était tranquille avant l’incident. Pourquoi la Police des Frontières a-t-elle tiré sur Fawaz à la tête d’une distance de quelques mètres quand ils auraient pu au minimum viser les jambes, s’ils devaient vraiment lui tirer dessus ? Pourquoi en somme tirer de si près sur un lycéen non armé, d’une distance à laquelle les balles à pointe spongieuse sont létales ? A ce sujet, il n’y a évidemment pas de justification.

D’après Hadad, Fawaz est tombé par terre, a perdu connaissance et saigné de la tête, une mare de sang se formant autour de lui. Tout ce dont il se souvient maintenant, c’est qu’il a senti qu’il manquait d’air et qu’il suffoquait. Il s’est effondré, tombant sur le dos, et ne se souvient de rien d’autre. Son ami Amjad, affolé, a couru chez lui, à simplement quelques mètres du lieu de l’incident, et a essayé d’appeler de l’aide. Sa grand-mère, Hilala, sa mère, Ola, et sa sœur Mazuza sont toutes parties en courant dans la rue en hurlant. Ola, très en colère, a crié aux policiers des frontières : « Vous êtes des meurtriers, regardez ce que vous avez fait, pourquoi avez-vous tiré ? Qu’est-ce qu’il avait fait ? » Les soldats ont armé leurs fusils, menaçant les femmes pour qu’elles se retirent.

Hadad estime que Fawaz est resté étendu dans la rue à saigner pendant 5 à 10 minutes avant qu’on appelle les secours. Pendant ce temps, des membres de la Police des Frontières lui ont donné des coups de pied et ont marché sur son bras, ou peut-être ont-ils simplement retourné son corps avec leurs pieds pour voir dans quel état il était. Quand l’adolescent est arrivé à l’hôpital, l’un de ses yeux était enflé. Cette semaine, sa main était encore couverte de bleus et il avait des difficultés à la bouger.

Quand on lui a demandé des explications, la police israélienne a répondu à Haaretz : « Une enquête sur l’incident révèle un tableau très différent, et qui ne concorde pas avec vos déclarations. Le suspect faisait partie d’un groupe d’émeutiers qui perturbaient l’ordre public dans la zone : Il a jeté des pierres sur les soldats et a été blessé par une balle de métal à pointe spongieuse – méthode acceptée pour disperser les émeutes – tirée d’une distance d’approximativement 50 mètres. Contrairement à ce que vous dites, quand les soldats ont réalisé qu’il avait été blessé, ils ont demandé à une voiture qui passait de l’évacuer pour être soigné, et d’appeler le Croissant Rouge…

« Il faudrait noter que, ces derniers mois, des combattants de la Police des Frontières et des forces de sécurité ont été occupés à déjouer des attaques et à arrêter des terroristes dans la région de Ramallah. Malheureusement, presque toutes leurs actions se heurtent à de violentes perturbations auxquelles des centaines de locaux prennent part, jetant des engins incendiaires, brûlant des pneus, et jetant des pierres et des cocktails Molotov sur les soldats. Dans cette affaire, l’émeutier était l’un d’eux. La Police des Frontières continuera à agir avec détermination contre toute menace et manifestation violente, au nom de la sécurité des citoyens d’Israël. »

Le porte-parole de la police n’a pas répondu à ce qui est peut-être la question la plus importante : Pourquoi les forces ont-elles tiré sur Fawaz Abed à la tête ?

Les soldats cependant se sont retirés, laissant le blessé sur la route. Les femmes qui étaient sorties dans la rue ont appelé une ambulance palestinienne et, comme elle mettait du temps à arriver, un voisin a pris Fawaz et l’a vite emmené à la clinique locale du Croissant Rouge. Après y avoir reçu les premiers soins, on l’a emmené en ambulance à l’Hôpital du Gouvernement de Ramallah.

Les médecins ont trouvé qu’il avait une fracture du crâne et une hémorragie cérébrale, et l’ont donc emmené d’urgence en salle d’opérations. Maher, qui est arrivé très agité à l’hôpital, a appris que la vie de son fils était en danger. « Vous n’auriez pas aimé voir Fawaz dans l’état où je l’ai trouvé », nous dit-il maintenant. « Allongé sur le lit, couvert de sang, les yeux ouverts, intubé – et inerte. » Les médecins ont promis de faire tout ce qu’ils pouvaient pour le sauver.

On entend en arrière fond un programme en arabe sur la chaîne de dessins animés. Cette famille palestino-péruvienne est très sociable. Le père parle espagnol et anglais ; la mère est native d’El-Bireh. Ils ont deux filles et trois fils. Fawaz n’est jamais allé au Pérou.

Fawaz a rapidement repris conscience après l’opération. Son rétablissement a été étonnement rapide et il est rentré chez lui au bout d’une semaine. Les médecins parlent de miracle, et c’est ce qu’on pense aussi chez lui. Il déambule avec sa tête bandée recouverte d’un bonnet rouge. Pourtant, il trouve difficile de s’asseoir avec nous – au bout de quelques minutes, il repart dans sa chambre. Maher dit que son fils est incapable de se concentrer sur quoi que ce soit et, même quand il utilise Skype, il arrête au bout de quelques minutes et se plaint de maux de tête. Il devra attendre un mois avant de retourner à l’école, ont dit les docteurs. Entre temps, ses professeurs et ses amis lui rendent constamment visite, et les professeurs ont promis qu’il ne perdrait pas son année

« Nous avons vécu ensemble pendant tant d’années », dit la grand-mère, faisant référence aux Israéliens et aux Palestiniens. « Que s’est-il passé ? » La question reste en suspens.