Un nouveau rapport fait ressortir de graves problèmes sur la liberté de parole dans des universités du Royaume Uni

Un rapport publié aujourd’hui révèle des violations des droits fondamentaux dans l’enseignement supérieur au Royaume Uni, à partir de la « définition de l’antisémitisme de l’IHRA ». Londres, 13 septembre 2023 Une….

Un rapport publié aujourd’hui révèle des violations des droits fondamentaux dans l’enseignement supérieur au Royaume Uni, à partir de la « définition de l’antisémitisme de l’IHRA ».

Londres, 13 septembre 2023

Une définition controversée de l’antisémitisme qui amalgame la critique d’Israël et l’antisémitisme a été utilisée sur des campus, ce qui a conduit à des restrictions de la liberté de parole des enseignants et des étudiants, c’est ce que révèle ce nouveau rapport. C’est la première étude qui expose les implications nuisibles de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, à la suite de son adoption dans les universités britanniques. Elle a été menée par la Société Britannique des Études sur le Moyen Orient (BRISMES), la plus importante association universitaire d’Europe centrée sur l’étude du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord, et par le Centre Européen de soutien juridique (ELSC). Le rapport démontre que cette définition ne correspond pas à son objectif et qu’elle porte atteinte à la liberté académique et à la liberté de parole tout en nuisant à la santé mentale, la réputation et les projets de carrière d’étudiants et du corps professoral.

Le rapport  s’appuie sur 40 cas recueillis de 2017 à 2022, dans lesquels le personnel de l’université et des étudiants ont été accusés d’antisémitisme sur la base de de la définition de l’IHRA. Dans tous ces cas, sauf dans deux encore en cours d’examen, les accusations d’antisémitisme ont été rejetées. Les deux derniers restent à être étayés.

Les résultats démontrent que la définition de l’IHRA porte atteinte à la liberté académique et à la liberté d’expression en ce qui concerne les débats sur Israël et la Palestine et qu’elle risque d’être utilisée d’une façon qui discrimine, sur les campus, les Palestiniens et d’autres qui souhaitent enseigner, faire de la recherche, débattre ou s’exprimer publiquement contre l’oppression des Palestiniens.

Les accusations ont, dans certains cas, conduit à l’annulation d’événements prévoyant de débattre de la situation en Palestine et/ou prenant une position critique sur le sionisme ; ou elles ont imposé des conditions déraisonnables sur le format de l’événement. Un trait commun à plusieurs cas est l’occurrence de niveaux significatifs et soutenus de contrôle et de surveillance par les plaignants, incluant l’enregistrement de prises de parole d’étudiants et de conférences d’enseignants ; le contrôle d’étudiants ou des posts d’enseignants sur les réseaux sociaux ; et l’examen de publications universitaires, de programmes de cours et de listes de lecture.

Des enseignants et des étudiants ayant été soumis à des enquêtes et, dans certains cas, à des audiences disciplinaires, ont manifesté différents niveaux de stress et d’anxiété causés par ces processus, même s’ils ont été mis hors de cause.

Les réflexions d’un des professeurs qui a pris un congé à cause du stress sont révélateurs :

Lorsqu’on est dans le processus, on ne comprend pas à quel point on est stressé. Mes nerfs m’ont rendu hyper vigilant pendant deux ans. L’impact de l’affaire, la couverture médiatique constante et la communication constante pour traiter de cette affaire ont abouti à un stress chronique

Un autre enseignant visé s’est montré préoccupé quant à leur réputation et leur carrière :

C’est comme si j’étais sur les montagnes russes. Je sens que je ne vais pouvoir obtenir de poste nulle part ailleurs. Si je postule à un autre poste, il se pourrait que je ne sois pas embauché. Non qu’ils penseraient que je suis antisémite mais parce qu’ils voudraient éviter la polémique. Voilà où j’en suis maintenant. C’est différent pour les gens sur lesquels les enquêtes n’ont pas été rendues publiques. La réputation, c’est tout pour les universitaires.

Un étudiant a expliqué comment les accusations ont interféré avec leurs études et menacé la poursuite de leur cursus :

C’était vraiment dur d’entendre qu’on pourrait être expulsé de l’université. J’ai eu beaucoup de mal à me concentrer sur mes études. J’ai dû repasser des épreuves pendant l’été, aussi n’ai-je été diplômé que récemment. J’ai failli manquer l’admission à Oxford. J’ai dépassé la date limite de deux mois. Si Oxford n’était pas aussi souple, je n’y serais pas actuellement.

Ces accusations ont un effet glaçant parmi enseignants et étudiants, ce qui décourage des individus de parler ou d’organiser des événements sur la Palestine du fait de la peur d’être l’objet de plaintes ou de subir des difficultés administratives considérables, voire des procédures juridiques coûteuses. Les enseignants engagés sur des contrats temporaires et les étudiants sont particulièrement enclins à l’autocensure de peur que toutes sortes d’accusations, même non proférées, puissent brouiller leur capacité future à obtenir un emploi permanent ou agir sur leur santé mentale.

Les auteurs du rapport recommandent que les institutions britanniques d’enseignement supérieur révoquent l’adoption de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA.

Neve Gordon, le président du Comité sur la Liberté Académique de BRISMES, professeur de droit des droits humains à la faculté de droit de l’Université Queen Mary de Londres a dit :

Ce qui a été conçu comme un moyen de classer et d’évaluer une forme particulière de violations discriminatoires de caractéristiques protégées, a au contraire été utilisé comme outil pour saper et punir la liberté de parole et pour punir ceux qui, dans l’université, expriment une critique de la politique de l’État d’Israël. 

Giovanni Fassina, le Directeur d’ELSC a ajouté : 

Non seulement le modèle documenté pose question sur la façon dont les universités du Royaume Uni se conforment à leur obligation de protéger la liberté académique et la liberté d’expression, mais cela écarte les universités du cœur de leur mission qui est de nourrir la pensée critique, de faciliter l’absence d’entraves à la recherche et d’encourager un large débat.

Le contexte

En 2016, l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l‘Holocauste (IHRA) a adopté une définition de travail de l’antisémitisme  (“la définition de l’IHRA”), à laquelle a été ajoutée une liste d’exemples d’antisémitisme, dont plusieurs mentionnent Israël en confondant la critique de l’État d’Israël, ses pratiques et son idéologie politique avec l’antisémitisme. En pratique, ces exemples ont été utilisés dans les institutions d’enseignement supérieur du Royaume Uni pour délégitimer des points de vue critiques à l’égard d’Israël en procédant à de fausses accusations d’antisémitisme.

Comme l’a été signalé par Kenneth Stern, l’un des principaux rédacteurs de la définition de l’IHRA, dans Le  Guardian en 2019, « l’intention n’a jamais été de faire de cette définition le code d’un discours de haine pour les campus ».

Si l’antisémitisme existe dans la société britannique et que des incidents anti-juifs se produisent dans des institutions d’enseignement supérieur, tout comme dans d’autres contextes institutionnels, les résultats de ce nouveau rapport fournissent des preuves concrètes de ce que la définition de l’antisémitisme de l’IHRA ne répond pas à ses objectifs. L’histoire et l’instrumentalisation de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA devraient être replacées dans le contexte plus large d’attaques contre les défenseurs des droits des Palestiniens, ainsi que c’est expliqué dans un  précédent rapport  publié par ELSC. D’autres ressources produites aux USA et au  Canada démontrent  les mêmes conséquences néfastes aux droits des défenseurs de la Palestine, tandis que plusieurs organisations de défense des droits humains comme Human Rights Watch et Amnesty International ont demandé à l’ONU de rejeter la définition de l’IHRA parce que son usage et sa mise en oeuvre « découragent et parfois suppriment les protestations non-violentes, l’activisme et les prises de parole ». Un tel mésusage a aussi été  critiqué  par l’ancien Rapporteur Spécial de l’ONU sur le Racisme, E. Tendayi Achiume.

D’autres efforts sont aussi déployés au niveau institutionnel au Royaume Uni pour tenter de saper la défense de la Palestine. En juin 2023, le gouvernement a déposé un projet de loi  destiné à empêcher des organismes publics de prendre des décisions d’investissement s’accordant à leurs responsabilités et obligations en matière de droits humains. La loi a été conçue pour cibler en particulier les boycotts, désinvestissements et sanctions visant Israël et donc le mouvement BDS à direction palestinienne. En réponse, une coalition de 70 organisations de la société civile du Royaume Uni a déclaré que cette loi représentait une attaque supplémentaire de la liberté d’expression. Human Rights Watch a qualifié  la loi de « la dernière en date sur une liste en expansion de mesures qui portent fondamentalement atteinte à la liberté de parole et aux droits démocratiques dans le pays ».

La Société Britannique d’Études du Moyen Orient (BRISMES) est la plus importante association d’Europe centrée sur l’étude du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord. Avec son Comité sur la liberté académique, elle est engagée dans le soutien à la liberté académique et à l liberté d’expression, toutes deux au sein de la région et en lien avec l’étude de la région, à la fois au Royaume Uni et dans le monde.https://www.brismes.ac.uk/ 

Le Centre Européen de Soutien Juridique (ELSC) est la seule organisation à fournir en Europe, y compris au Royaume Uni, un soutien juridique gratuit à des individus, des groupes et des organisations qui défendent les droits des Palestiniens. ELSC documente aussi des incidents de répression ; il analyse et conteste les politiques restrictives qui ont pour effet de réduire l’espace (de débat). https://elsc.support/