‘Scolasticide : Tentative d’Israël pour détruire les universités de Palestine’

Une version de cet exposé a été donnée le 3 novembre à la Conférence de Chester Arrêtez la Guerre sous le titre ‘Palestine : Recadrer le Débat’.

On dit fréquemment à ceux qui soutiennent le boycott académique d’Israël qu’en principe, ce n’est pas bien de boycotter les universités car elles sont des bastions de la liberté d’expression, et que c’est absolument pervers de boycotter les universités israéliennes car elles sont des îlots d’opinion ouverte dans un pays par ailleurs réactionnaire.

Aucune de ces déclarations ne résiste à l’examen. Les défenseurs du boycott ne boycottent pas des individus, mais des institutions, et n’empêchent personne de parler librement. Par le boycott, ils expriment leur dégoût devant la complicité des universités israéliennes dans la condition de leurs homologues palestiniennes derrière le mur d’apartheid. La plupart des universitaires et des étudiants israéliens auront servi dans les FDI et participé à l’occupation illégale, et beaucoup sont encore dans l’armée de réserve. Une grande partie de la recherche effectuée pour leurs instruments d’oppression l’est dans leurs propres universités.

Non seulement les universités palestiniennes n’ont pas d’amis en Israël, mais elles ont longtemps été la cible de l’hostilité israélienne et, cette année, l’hostilité s’est lourdement intensifiée. Daphna Golan a récemment écrit dans Haaretz sur ‘la destruction des universités palestiniennes’. Il ne s’agit pas d’une exagération. Pour faire comprendre l’action d’Israël, un bref historique de cette relation peut être utile.

Création des universités palestiniennes

Avant 1967, il n’y avait pas d’universités en Palestine, juste un seul collège agricole privé. Les jeunes gens en recherche d’éducation supérieure allaient dans les universités de Beyrouth, du Caire, d’Amman ou plus loin à l’étranger. Ce n’est qu’après la guerre de 1967 que les Palestiniens ont commencé à transformer les écoles en collèges et les collèges en universités.

C’est en partie parce qu’Israël a réduit la circulation des gens vers et hors de la Palestine. Mais c’est aussi parce que les Palestiniens savaient que, pour résister aux efforts d’Israël pour les détruire en tant que nation, ils devaient éduquer leur population, accroître leurs savoirs et défendre leur culture nationale.

Il y a d’abord eu Birzeit (auparavant collège avec deux ans d’études) en 1972, puis Bethléem (expansion du campus des Frères des Ecoles chrétiennes) en 1973, l’Université Islamique à Gaza en 1978, Hébron en 1982, Al-Quds (regroupant quatre collèges séparés) en 1984 et Al-Azhar en 1992. Aujourd’hui, il y a en Cisjordanie 14 établissements donnant accès à des diplômes et 9 dans la Bande de Gaza ainsi que plusieurs collèges. L’inscription des étudiants s’est par conséquent accrue : de quelques centaines en 1973 à 80.000 en 2001, et largement plus de 200.000 aujourd’hui – avec 70.000 inscrits à l’Université Ouverte de Palestine et davantage qui étudient à l’étranger.

Malveillance israélienne

Depuis le début, Israël a considéré les universités palestiniennes comme des centres de résistance politique à son projet impérialiste – ce qu’un ministre israélien a récemment appelé des ‘serres pour faire pousser des terroristes’. Il a donc placé d’innombrables obstacles sur leur chemin.

Les premières années, Israël a refusé d’exempter les matériaux de construction, les équipements de laboratoire et les livres destinés aux universités des droits de douane, de la TVA et même, dans certains cas, des taxes sur les produits de luxe – contrairement au droit international. Il a censuré des livres et des périodiques qui étaient librement disponibles dans les universités israéliennes. Il a refusé des permis de travail à des universitaires internationaux – et gardé à l’esprit que, après la Nakba, la plupart des Palestiniens ont été contraints à l’exil. Israël a aussi régulièrement et arbitrairement fermé les universités.

En 1973, juste alors que Birzeit parvenait à être omplètement une université, les autorités israéliennes l’ont fermée et elles ont recommencé plusieurs fois dans les quelques années qui ont suivi. En 1974, elles ont arrêté et déporté le président de l’université de Birzeit, Dr. Hanna Nasir, au Liban. Pendant les dix-neuf années suivantes, il a présidé l’université depuis son exil.

Les fermetures d’université, initialement pour quelques heures ou une semaine, sont régulièrement passées dans les années 1980 à un ou plusieurs mois. En 1986-87, les forces israéliennes ont tué par balles des étudiants de l’université de Birzeit. Elles ont fermé quatre fois l’université, une fois pour quatre mois, et ont effectué deux incursions militaires de grande ampleur dans le campus.

En février 1988, quelques semaines simplement après le début de la première Intifada, Israël a fermé les universités ainsi que toutes les autres écoles palestiniennes. Des centaines et finalement des milliers d’étudiants ont été arrêtés sans charges ni procès, ainsi que des dizaines d’universitaires. Dans le cas des enseignants, c’était généralement pour tentative d’enseignement dans des mosquées, des églises ou à domicile, ce qu’Israël a criminalisé. Dans le cas des étudiants, c’était généralement parce qu’ils portaient des livres universitaires, ce qui était pris comme un signe de rébellion.

Comme toujours, la justification d’Israël, c’était la sécurité : les universités palestiniennes étaient soi-disant des sites de ‘terrorisme et d’émeutes populaires’. Mais le fait qu’il fermait, non seulement les universités, mais aussi les écoles secondaires, les écoles primaires et même les jardins d’enfants, faisait mentir ses prétentions ‘sécuritaires’. Suggérer que les jardins d’enfants étaient des foyers de terrorisme était si absurde qu’il s’est rétracté et les a autorisés à rouvrir – mais pas les universités, qui sont restées fermées pendant plus de quatre ans.

Finalement en 1984, Israël a autorisé la réouverture des universités, tout en poursuivant sa politique d’obstruction. En 2000, il a restreint la circulation des étudiants de et vers la Bande de Gaza – dans le cadre de sa politique de séparation. Pendant l’Opération Plomb Durci de 2008-09, il a délibérément bombardé et détruit le ministère de l’Education à Gaza et une grande partie de l’Université Islamique.

Jusqu’à aujourd’hui, les FDI lancent régulièrement des incursions armées dans les universités palestiniennes, bouleversant l’enseignement, saccageant les bureaux et détruisant les équipements. Dans la seule année 2013, les FDI ont envahi l’université Al Quds pas moins de 26 fois et ont blessé plus de 1.700 étudiants et membres du personnel, principalement en lançant sans raison des grenades fumigènes et de gaz lacrymogène. A tout moment, Israël retient en détention entre 300 et 500 étudiants palestiniens et des dizaines de professeurs, le plus souvent sans charges.

La bantoustanisation des universités palestiniennes

Les forces israéliennes érigent des centaines de checkpoints, quelques uns temporaires, d’autres permanents, qui rendent les déplacements incertains en Cisjordanie. Ce qui fait que des universités, même si elles ne se trouvent qu’à 30 kilomètres de distance, ont dû abandonner le partage de maîtres de conférence et de cours.

Certains checkpoints permanents ferment à 18 H et ne rouvrent pas avant le lendemain matin. Résultat, les universités ne peuvent programmer aucune activité après 17 H. ou 17 H.30 car, autrement, étudiants et personnel ne pourraient pas rentrer chez eux.

Depuis que le Hamas a pris le contrôle de la Bande de Gaza en 2007, celle-ci a été entièrement coupée du reste de la Palestine et les étudiants de Gaza n’ont plus la possibilité d’étudier dans les universités de Cisjordanie. A Birzeit par exemple, les étudiants de Gaza représentaient 20 % du corps étudiant dans les quinze premières années de ses activités ; aujourd’hui, Birzeit n’a plus aucun étudiant de Gaza.

Il n’y a pas que Gaza qui est isolé. L’université Al-Najah de Naplouse inscrivait un grand nombre d’étudiants des gouvernorats de Jénine ainsi que de Tulkarem et de Toubas jusqu’à dix ans auparavant. Maintenant, à cause des checkpoints et des fermetures arbitraires de routes, le nombre d’étudiants qui viennent à Al-Najah depuis Jenine est descendu à presque zéro. Le rôle national des universités est donc ainsi sapé.

Israël contrôle tout ce que les universités palestiniennes reçoivent de l’étranger. Il bloque régulièrement l’importation d’équipements scientifiques, les fournitures chimiques, les livres en arabe, même les livres d’art et d’histoire de l’art ; et il retarde la livraison des marchandises pendant des mois, parfois des années.

Israël place fréquemment des obstacles sur la route des étudiants et des professeurs qui cherchent à quitter la Cisjordanie ou à y retourner. Cette totale incertitude rend très difficile pour les universitaires palestiniens l’organisation de conférences internationales ou leur participation à des conférences à l’étranger.

Les universités palestiniennes n’ont généralement pas les ressources nécessaires pour la mise en place de programmes de maîtrise ou de doctorat. La plupart des étudiants qui visent un diplôme de troisième cycle doivent donc partir à l’étranger. Mais, s’ils séjournent plus d’un an à l’étranger, ils doivent alors faire face à la menace qu’Israël les déclare déchus de leur statut de résident et refuse de les autoriser à revenir.

Israël rend aussi difficile pour les universités d’accueillir des conférenciers invités. Il retarde la délivrance des visas ou émet des visas de séjour trop courts pour permettre d’assurer l’activité prévue.

Répression intensifiée par Israël

Cette année, Israël a encore plus serré la vis sur les universités palestiniennes. En juillet, il a interdit une conférence de deux jours à Jérusalem Est sur la dotation et la propriété musulmanes dans la ville occupée. Gilad Erdan, ministre de la Sécurité publique qui a décidé l’interdit, a prétendu que la conférence promouvait ‘l’incitation’ contre l’État d’Israël. La conférence devait se tenir à l’Ecole des Beaux Arts Hind al-Husseini de l’université Al-Quds, à Sheikh Jarrah. Israël n’a pas seulement interdit la tenue de cette conférence. Il a aussi détenu 15 des participants et a définitivement fermé l’Ecole. Ceci fait probablement partie du projet à long terme d’Israël de faire complètement partir les Palestiniens de Jérusalem.

Israël a également persuadé les Etats Unis de couper le financement de l’Office de Travaux et de Secours des Nations Unies pour les Réfugiés Palestiniens au Proche Orient (UNRWA), déclarant que c’est ‘renforcer le terrorisme’ – en aidant à éduquer les Palestiniens. De même qu’il fournit l’enseignement et la formation des enseignants pour de nombreuses écoles primaires et secondaires en Cisjordanie et à Gaza, l’UNRWA procure plus de 1.000 bourses à des étudiants palestiniens.

Plus grave encore, Israël refuse maintenant de renouveler les visas des universitaires qui, en Palestine, n’ont pas de résidence permanente en Cisjordanie. D’après la commission des Affaires civiles palestiniennes, le taux de renouvellement des visas pour ces universitaires a chuté de 70 % à 10 % au cours de l’année dernière. Les autorités israéliennes imposent des demandes de documentation non écrites, pas claires et changeantes, font traîner le processus, n’offrent que des visas et timbres à durée écourtée qui restreignent les mouvements vers la Cisjordanie et exigent des engagements financiers qui peuvent monter jusqu’à 22.000 dollars. Les universitaires non résidents doivent présenter leur contrat de travail pour obtenir un visa qui déclare ‘non autorisé à travailler’. Jusqu’à cette année, les universitaires non palestiniens non résidents pouvaient transiter par l’aéroport Ben Gourion. Plus maintenant.

La plupart de ceux que cela affecte sont des Palestiniens dont les familles ont fui à l’étranger en 1948 et qui détiennent des passeports étrangers plutôt que des permis de résidence palestiniens. Rien qu’à l’université de Birzeit, il y a 15 membres du corps enseignant détenant un passeport étranger dont les demandes de renouvellement de visa ont été refusées ou retardées sans fin. Certains ont déjà été obligés de quitter le pays.

Deux de ces victimes sont Roger Heacock et sa femme Laura Wick. Ils ont tous les deux travaillé à Birzeit pendant 35 ans, lui comme professeur d’Histoire européenne, elle comme spécialiste du métier de sage-femme et en santé publique. Ils ont dû quitter leurs postes, vendre ou distribuer leurs biens et attendent maintenant en France que les Israéliens veuillent bien finalement les laisser revenir.

Les universitaires comme les Heacock jouent un rôle essentiel dans l’éducation supérieure en Palestine. Les forcer à partir isole encore plus les universités du reste du monde, abaisse la qualité de l’éducation qu’elles dispensent, démoralise ceux qui restent, et décourage les autres de rester en Palestine. Ceci, on peut l’affirmer, est la raison exacte pour laquelle les Israéliens refusent de renouveler leurs visas.

La logique de répression et les moyens de résistance

En résumé, l’obstruction par Israël de l’éducation supérieure palestinienne ne peut s’expliquer en faisant simplement référence à la sécurité. Israël attache une grande importance à ses universités et instituts de recherche, les considérant comme vitaux pour sa survie économique, culturelle et nationale, étant donné que pratiquement sa seule ressource naturelle, c’est son peuple. Israël sait bien que les universités jouent le même rôle dans la société palestinienne. Il sait aussi qu’une population palestinienne bien formée est bien mieux capable d’affronter sa domination qu’une population mal informée et pauvrement éduquée. C’est sans aucun doute, la raison pour laquelle Israël cible impitoyablement le système éducatif palestinien.. C’est à peine hyperbolique de décrire la politique israélienne comme un scolasticide.

Jusqu’ici, la Palestine a remarquablement réussi à éduquer son peuple. Par exemple :

  • Environ un tiers de tous les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza sont inscrits dans l’éducation à tous les niveaux.
  • D’après un rapport de 2016 du Programme de Développement de l’ONU, le taux d’alphabétisation en Palestine -96,3%- est le plus haut du Moyen Orient, et le taux d’analphabétisme chez les Palestiniens de plus de 15 ans -3,7%- est le plus bas du monde.
  • Si on la compare à Israël, la Palestine a un pourcentage similaire de jeunes – et un pourcentage similaire de jeunes femmes – dans l’enseignement supérieur.

Mais la situation est précaire. Les dirigeants des universités occidentales protestent fortement contre le boycott académique d’Israël, mais ne disent rien quand Israël bombarde les universités palestiniennes ou paralyse leur fonctionnement. Les gouvernements occidentaux croisent les bras et ne font rien. Les universités israéliennes, comme toujours, garderont le silence. La condition des universités de Cisjordanie et de Gaza continuera à s’aggraver, et Israël finira par les détruire si rien n’est fait. La société civile doit donc agir.

-Les étudiants devraient travailler dans leurs associations respectives de solidarité avec la Palestine pour participer à la préparation de la prochaine Semaine de l’Apartheid Israélien.

– Les anciens étudiants devrait faire pression sur leurs universités respectives pour qu’elles se penchent sur cette injustice. Des partenariats avec une université palestinienne sont une possibilité.

– Les enseignants universitaires devraient pousser leur syndicat, UCU, à travailler sur les motions sur la Palestine adoptées à la conférence. S’ils ne l’ont pas déjà fait, ils devraient signer l’Engagement des Universitaires Britanniques envers les Droits de l’Homme en Palestine.

– Quiconque souhaite en savoir plus ou s’impliquer devrait suivre les liens vers la ‘Campagne pour le Droit à l’Education’, initiative des étudiants de Birzeit, la ‘Campagne pour le Droit d’Entrer en Territoire Palestinien Occupé (TPO) et le Comité Britannique pour les Universités de Palestine (BRICUP), tous ayant une idée sur les actions appropriées.

Robert Boyce, Secrétaire du BRICUP