‘Personne n’a d’argent’ : Les restrictions israéliennes étouffent l’économie de la Cisjordanie

La montée en flèche du chômage et de la pauvreté alimente l’inquiétude tandis que les entreprises et les travailleurs palestiniens font face à un ‘siège économique’.

A la fabrique de verre et de céramique d’al-Salam, le four à verre et le tour du potier ne fonctionnent plus au quotidien ; la pièce où les artistes décoraient bols et carreaux avec les bleus, jaunes et rouges traditionnels de l’artisanat palestinien est parfois vide.

Les vitrages d’une fenêtre et d’une porte portent maintenant les trous en forme de toile d’araignée caractéristiques des tirs par balles. Les soldats israéliens du checkpoint voisin ont tiré à balles réelles sur des jeunes gens qui jetaient des pierres il y a quelques semaines dans une altercation, a dit le propriétaire de la fabrique, Sami al-Nader.

Hebron, ville de la Cisjordanie occupée, est loin des combats entre le Hamas et Israël qui font rage dans la Bande de Gaza depuis 10 mois. Mais la violence entre les Palestiniens et l’armée et les colons israéliens en Cisjordanie a elle aussi atteint un niveau inconnu depuis 20 ans, et les nouvelles restrictions telles que les fermetures de routes, les confinements et l’annulation de milliers de permis de travail asphyxient l’économie et la vie quotidienne.

« La pandémie n‘est pas comparable à celle que traversent nos affaires actuellement. Nous avions l’habitude d’accueillir des touristes tous les jours, et maintenant, si nous avons de la chance, nous vendons quelques objets seulement le samedi. Nous ne recevons même pas de commandes en ligne, parce que personne en Palestine n’a assez d’argent », a dit Nader, 47 ans.

« Ma famille possède cette fabrique depuis plus de 70 ans. Je ne veux pas qu’elle ferme sous ma responsabilité. »

Pour le meilleur et pour le pire, les économies israélienne et palestinienne sont profondément imbriquées : Israël s’appuie sur la main-d’œuvre palestinienne moins chère, particulièrement dans la construction et l’agriculture et, avant la guerre, les salaires israéliens plus élevés généraient environ 20 % du PIB de l’Autorité Palestinienne (AP). En 2022, ces travailleurs ont contribué à 3.05 milliards £ à l’économie palestinienne, soit les deux tiers du budget total de l’AP.

Des employés travaillent à la fabrique de verre et de céramique d’al-Salam dans la ville d’Hébron en Cisjordanie. Photographie : Quique Kierszenbaum/The Guardian

Après les attaques du Hamas du 7 octobre cependant, Israël a suspendu l’entrée d’environ 140.000 travailleurs palestiniens de Cisjordanie. Seule une fraction de ceux-ci a été restaurée depuis et Israël tente de combler le manque avec des travailleurs venus d’Inde.

Résultat, chômage et pauvreté ont grimpé en flèche en Cisjordanie, mettant ce territoire déjà instable au bord d’un crash financier et alimentant l’instabilité. Dans les camps de réfugiés de Cisjordanie installés après la création d’Israël en 1948 et, même aujourd’hui, encore semblables à des bidonvilles, de jeunes hommes ont dit au Guardian que des groupes militants, tels le Hamas et le Jihad Islamique palestinien, étaient les seuls employeurs qu’ils pouvaient trouver.

Au premier trimestre de 2024, le chômage avait grimpé de 11 % à 35 % d’une année à l’autre, d’après l’Organisation Internationale du Travail, et l’ONU estime que le développement humain a reculé de 13 à 16 ans.

L’inflation est en hausse, l’AP a réduit les salaires et les effectifs, et le ministre israélien d’extrême droite, Bezalel Smotrich, retient les taxes dues à l’AP en tant que mesure punitive pour sa coopération à la cour pénale internationale de La Haye. Il a par ailleurs maintes fois menacé de faire sortir les banques palestiniennes du système bancaire international, ce qui provoquerait aussi l’effondrement de l’AP.

« Toutes les administrations israéliennes utilisent la carotte et le bâton avec l’lAP, mais le gouvernement actuel poursuit une politique particulièrement contradictoire. Israël a besoin de l’AP pour maintenir la sécurité en Cisjordanie et protéger les colons, mais ils tirent profit de tout ce qu’ils peuvent », a dit Tahani Mustafa, analyste principal de Palestine au groupe de réflexion Crisis Group.

« L’autre logique, c’est celle d’une punition collective : bien que cela n’ait pas marché dans le passé, ils semblent quand même croire que, si vous imposez un siège économique et que vous écrasez suffisamment la population, elle obéira. »

Un souffleur de verre à la fabrique al-Salam. ‘Avec un peu de chance, nous vendons des objets le samedi uniquement’, dit son propriétaire. Photographie : Quique Kierszenbaum/The Gardian

A Nahalin, petit village palestinien au sud de Jérusalem, un père et son fils Mahmoud et Yaqoub Dadouh, tous deux d’habiles tailleurs du marbre et de la pierre, passent maintenant la plus grande partie de leurs journées à faire des projets dans le jardin. Les lumières sont éteintes dans l’immense entrepôt de matériaux pour cuisine et salle de bains juste à côté ; il avait l’habitude d’approvisionner les Israéliens de la colonie voisine de Beitar Illit, mais pas un seul client n’est venu depuis près d’un an.

Yacoub, père de deux petites filles, a dit qu’on lui devait encore 16.000 shekels (3.300 £) pour un projet en Israël qui a été annulé après le 7 octobre. L’entrepreneur refuse de répondre à ses appels.

« Nous avons déjà vendu tout l’or, les bijoux. Cela m’a brisé le cœur de le demander à ma femme », a dit Yacoub, 29 ans. « Je pense que nous pouvons nous débrouiller avec nos économies pour deux mois de plus. Ensuite, je n’ai aucune idée de ce que nous allons faire. »

Il n’existe aucune donnée fiable, mais ces quelques dernières années, en Cisjordanie, les gens ont commencé à trouver des moyens pour franchir les diverses barrières de sécurité israéliennes pour entrer en Israël sans permis à la recherche d’un travail mieux payé. Il s’agit d’une décision dangereuse, mais on estime à 40.000 les Palestiniens qui font encore le voyage, restant parfois sans papiers en Israël pendant des semaines d’affilée.

Un cousin des Dadouh a trouvé du travail il y a quelques semaines sur un chantier de construction au sud d’Israël, a dit le collègue. Il n’a ni assurance ni aucun droit et risque d’être pris, mais au moins, il peut envoyer de l’argent à sa famille.

« Je pense que la situation n‘est pas viable », a dit Yacoub. « Ils ne veulent plus de nous – alors, mettez fin à l’occupation et laissez nous travailler pour nous mêmes. »