‘Nous mourons à petit feu’ : Les Palestiniens mangent de l’herbe et boivent de l’eau polluée alors que la famine menace à Gaza

Le fossé entre ce dont les civils palestiniens ont besoin et ce qu’on leur donne est énorme

Après le début de la guerre Israël-Hamas, les Nations Unies ont estimé que les Palestiniens avaient besoin de plus de 1.2 milliards de dollars d’aide humanitaire, dont plus de 90 % pour les résidents de Gaza. Jusqu’ici, à peine plus de la moitié du financement requis en urgence a été fourni.

(CNN) – Hanadi Gamal Saed El Jamara, 38 ans, dit que dormir est tout ce qui peut distraire ses enfants de la faim qui leur ronge le ventre.

Ces derniers jours, cette mère de sept enfants se retrouve à mendier de la nourriture dans les rues couvertes de boue de Rafah, au sud de Gaza.

Elle essaie de nourrir ses enfants au moins une fois par jour, dit-elle, tout en prenant soin de son mari qui souffre d’un cancer et de diabète.

« Ils sont faibles maintenant, ils souffrent tout le temps de diarrhée, leurs visages sont jaunis », a dit à CNN le 9 janvier El Jamara, dont la famille a été déplacée du nord de Gaza. « Ma fille de 17 ans me dit qu’elle a des vertiges, mon mari ne mange pas. »

Alors que Gaza grimpe en flèche vers une famine à grande échelle, les civils déplacés et les travailleurs de santé ont dit à CNN qu’ils souffrent de la faim pour que leurs enfants puissent manger le peu que l’on trouve. Si les Palestiniens trouvent de l’eau, elle est vraisemblablement non potable. Quand les camions de secours s’infiltrent dans la bande, les gens grimpent les uns sur les autres pour attraper l’aide. Les enfants qui vivent dans les rues, après avoir été forcés de quitter leurs maisons par les bombardements israéliens, pleurent et se battent pour du pain rassis. On dit que d’autres marchent pendant des heures dans le froid à la recherche de nourriture, risquant de subir les frappes israéliennes.

Même avant la guerre, deux personnes sur trois à Gaza dépendaient de l’aide alimentaire, a dit à CNN Arif Husain, économiste en chef du Programme Alimentaire Mondial (PAM). Les Palestiniens ont subi 17 ans de blocus partiel imposé par Israël et l’Égypte.

Le bombardement et le siège israéliens depuis le 7 octobre ont drastiquement fait baisser les fournitures vitales à Gaza, laissant la population tout entière de quelque 2.2 millions exposée à de hauts niveaux d’une grave insécurité alimentaire ou pire, d’après la Classification Intégrée de la Phase Sécurité Alimentaire (IPC), qui évalue l’insécurité alimentaire et la malnutrition mondiales. Martin Griffiths, chef des secours d’urgence de l’ONU, a dit à CNN que la « grande majorité » des 400.000 Gazaouis caractérisés par les agences de l’ONU comme étant en danger de mourir de faim « sont en fait en situation de famine ». Les experts en droits de l’Homme de l’ONU ont averti qu’ « Israël détruit le système alimentaire de Gaza et utilise la nourriture comme une arme contre le peuple palestinien. »

Pendant plus de 100 jours, les Palestiniens de Gaza ont vu un déplacement de masse, des quartiers réduits en cendre et en ruines, des familles entières effacées par la guerre, un afflux de maladies mortelles et le système médical ruiné par les bombardements. Et maintenant, la famine et la déshydratation sont des menaces majeures pour leur survie.

« Nous mourons lentement », a pensé El Jamara, une mère de Rafah. « Je pense qu’il vaut encore mieux mourir sous les bombes, au moins nous serons des martyrs. Mais maintenant, nous mourons de faim et de soif. »

Les frappes israéliennes sur Gaza depuis les attaques du Hamas du 7 octobre ont tué au moins 26.637 personnes et en ont blessé 65.387 autres, d’après le ministère de la Santé du Hamas. L’armée israélienne a lancé sa campagne après que le groupe militant ait tué plus de 1.200 personnes dans des attaques sans précédent sur Israël et elle dit qu’elle cible le Hamas.

Dans le nord de Gaza, les gens ‘mangent de l’herbe’ pour survivre

Mohammed Hamouda, physiothérapeute déplacé à Rafah, se souvient du jour où son collègue, Odeh Al-Haw, a été tué en essayant de trouver de l’eau pour sa famille.

Al-Haw faisait la queue à un poste d’eau dans le camp de réfugiés de Jabalya, au nord de Gaza, quand lui et des dizaines d’autres ont été atteints par un bombardement israélien, a dit Hamouda.

Malheureusement, de nombreux parents et amis sont encore dans le nord de la Bande de Gaza, en grande souffrance », a dit à CNN Hamouda, père de trois enfants. « Ils mangent de l’herbe et boivent de l’eau polluée. »

Le blocus israélien et ses restrictions sur la livraison de l’aide signifient que les stocks sont désespérément bas, faisant monter les prix et rendant la nourriture inaccessible pour les gens sur l’ensemble de Gaza. D’après l’ONU, la pénurie est même pire dans les parties nord de la bande, où Israël a concentré son offensive militaire dans les premiers jours de la guerre. Les coupures de communication bloquent les efforts pour informer sur la famine et la déshydratation dans la région.

« Des gens ont abattu un âne pour manger sa viande », dit Hamouda après que des amis de Jabalya le lui ait dit au début de ce mois alors que la pénurie empirait.

Dans ce qui pourrait être un coup sévère contre les efforts humanitaires, plusieurs pays occidentaux ont suspendu leur financement de la principale agence de l’ONU à Gaza, l’Agence des Nations Unies de Secours et de Travaux pour les Réfugiés palestiniens au Proche Orient (UNRWA) ces derniers jours à la suite d’allégations explosives d’Israël disant que plusieurs de ses membres avaient participé aux attaques du 7 octobre. L’ONU a licencié plusieurs de ses employés à la suite de ces allégations.

Le ministre jordanien des Affaires étrangères a exhorté ces pays qui suspendaient leur financement de reconsidérer leur décision, disant que l’UNRWA était une « bouée de sauvetage » pour plus de 2 millions de Palestiniens à Gaza et que l’agence ne devait pas être « punie collectivement » sur des allégations contre une douzaine de ses 13.000 membres.

Pas d’eau potable’

Gihan El Baz berce un tout-petit sur ses genoux tout en réconfortant ses enfants et petits-enfants, dont elle dit qu’ils se réveillent tous les jours en « criant » pour avoir à manger.

« Dans les abris, il n’y a pas assez à manger, le soleil se couche et nous n’avons eu aucun repas », a dit à CNN El Baz, qui partage une tente usée par les intempéries à Rafah avec 10 membres de sa famille. Elle soigne son mari, dont elle dit que, à cause de vertiges dus à l’épuisement, il est tombé et s’est cassé le bras.

« Il n’y a pas de boissons, pas d’eau propre, pas de salles d’eau propres, la petite pleure pour un biscuit et nous n’en trouvons aucun à lui donner. »

Les parents déplacés à Rafah, où, comme OCHA l’a rapporté, plus d’1.3 million de résidents de Gaza ont été obligés de fuir, disent que le stress d’être incapables de protéger leurs enfants contre les bombardements se mêle à leur incapacité à leur donner assez à manger. L’accès limité à l’électricité fait qu’il est impossible de réfrigérer les denrées périssables. Les conditions de vie sont le surpeuplement et l’insalubrité.

« Les gens sont obligés de couper des arbres pour avoir du bois pour le chauffage et la préparation de la nourriture. Il y a de la fumée partout et les mouches envahissent tout et transmettent des maladies », a dit Hazem Aid Al-Naizi, directeur d’un orphelinat à Gaza ville qui a fui au sud avec ses 40 protégés – dont la plupart sont des enfants et des bébés atteints de handicaps.

Hamouda, travailleur de santé déplacé, avait l’habitude de nourrir ses enfants – âgés de six, quatre et deux ans – d’un mélange de fruits et de légumes, de biscuits, de jus de fruits, de viande et de produits de la mer. Cette année, a-t-il dit, la famille n’a mangé qu’à peine un repas par jour, vivant sur du pain sec et de la viande et des légumes en boîtes.

« Les enfants deviennent violents entre eux pour avoir à manger et à boire », dit Hamouda, qui travaille à l’Hôpital Abu Youssef Al-Najjar et comme bénévole dans un abri voisin. « Je ne peux retenir mes larmes quand je parle de tout ça, parce que ça fait vraiment mal de voir vos enfants et d’autres enfants avoir faim. »

La totalité des 350.000 enfants de moins de cinq ans à Gaza sont spécialement vulnérables à une grave malnutrition, a rapporté l’UNICEF le mois dernier.

Risque accru de mort

L’« ampleur et la rapidité » d’une potentielle famine à Gaza condamnera les enfants survivants à une vie de risques pour leur santé, a dit Rebecca Inglis, médecin en soins intensifs en Angleterre qui va régulièrement à Gaza enseigner les étudiants en médecine.

Les 1.000 premiers jours de la vie d’un enfant sont « absolument essentiels » pour sa croissance physique et son développement cognitif, a dit Inglis à CNN. Les enfants mal nourris ont un risque 11 fois plus grand de mourir que les enfants bien nourris, a-t-elle dit. Les déficiences en vitamines et en minéraux forcent l’organisme à se mettre dans un « état d’arrêt d’urgence » dans lequel il perd la capacité de faire de l’énergie, de prendre du poids, ou de maintenir les fonctions des reins et du foie, a-t-elle ajouté.

Les enfants mal nourris, spécialement ceux qui sont victimes d’une sévère malnutrition aiguë, sont en grand risque de mourir de maladies telles que la diarrhée et la pneumonie, d’après l’Organisation Mondiale de la Santé. Les cas de diarrhée chez les enfants de moins de cinq ans ont augmenté d’environ 2.000 % depuis le 7 octobre, a dit l’UNICEF.

Hamouda a dit que ses propres enfants ont de la diarrhée, et des symptômes de rhume et de grippe. « Le corps des enfants est déshydraté … leur peau est déshydratée. »

En cas de stress intense, les femmes enceintes sont davantage susceptibles de faire une fausse couche ou d’accoucher prématurément, avaient dit auparavant à CNN le personnel de santé. A Gaza, il y a 50.000 femmes enceintes, d’après le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA). Les bébés qui survivent in utero sont davantage susceptibles de naître en insuffisance pondérale et sont par conséquent en plus grand risque de mourir, a dit Inglis. Les seins des mères affamées et déshydratées ne peuvent produire assez de lait pour leurs bébés.

Les défis de la distribution alimentaire, l’aide bloquée

Shadi Bleha, 20 ans, essaie de nourrir une famille de six personnes. Deux fois par semaine, ils reçoivent deux bouteilles d’eau, trois biscuits et « parfois » deux boîtes de nourriture en conserve de la part de l’UNRWA, a-t-il dit.

« Cela ne suffit pas du tout pour satisfaire les besoins de ma famille », a dit à CNN l’étudiant qui s’abrite sous une tente à Rafah.

Les Palestiniens dans le sud de Gaza ont dit également à CNN que la distribution alimentaire réglementée à la baisse signifie que certains civils n’obtiennt absolument aucune aide, tandis que ceux qui l’obtiennent peuvent se faire de l’argent en la vendant.

Dans d’autres cas, des vendeurs achètent de l’aide à des marchands et la revendent sur les marchés à des coûts surévalués. Certaines personnes, qui ont une voiture, partent plus loin pour trouver de l’eau et reviennent dans les camps de déplacés pour revendre l’eau à des prix gonflés. L’intensification des frappes augmente aussi les prix. Trois semaines plus tôt, un sac de farine de 25 kg coûtait 20 $ à Khan Younis, d’après Al-Naizi, mais après l’intensification des attaques des FDI sur la cité méridionale, il est monté à 34 $.

D’autres disent qu’il reçoivent des colis humanitaires qui ont été ouverts, certains éléments manquant. On dit que des dattes, de l’huile d’olive et de l’huile de cuisine trouvés dans les colis d’assistance sont vendus au marché noir au double de leur valeur.

Le fossé entre ce dont les civils palestiniens ont besoin et ce qu’on leur donne est énorme

Après le début de la guerre Israël-Hamas, les Nations Unies ont estimé que les Palestiniens avaient besoin de plus de 1.2 milliards de dollars d’aide humanitaire, dont plus de 90 % pour les résidents de Gaza. Jusqu’ici, à peine plus de la moitié du financement requis en urgence a été fourni.

Note : Ces données recouvrent la Bande de Gaza et la Cisjordanie. Les chiffres comprennent les fonds engagés et payés et excluent les promesses de dons. Les fonds non affectés sont des fonds qui ont été déclarés pour de multiples usages, mais l’organisation bénéficiaire doit cependant décider quels besoins elle va couvrir. Ils comprennent aussi les financements qui sont soit non attribués, soit où manque le mode d’emploi. Source : Service de Surveillance Financière de l’OCHA

Le 21 janvier, le Coordinateur du Gouvernement israélien pour les Activités dans les Territoires (COGAT) a dit que 260 camions humanitaires ont été « inspectés et transférés à Gaza », soit le nombre le plus élevé depuis le début de la guerre.

Mais les agences d’aide disent que cela ne suffit pas. En janvier, l’armée israélienne n’a autorisé l’accès à Gaza qu’à un quart des missions d’aide planifiées par les agences humanitaires, a dit OCHA le 21 janvier. CNN s’est adressé au COGAT pour des commentaires sur les statistiques d’OCHA, mais sans réponse.

Le PAM a demandé de nouvelles voies d’accès pour l’aide, l’autorisation de passage de davantage de camions par le contrôle quotidien aux frontières, moins d’obstacles aux déplacements des travailleurs humanitaires et des garanties pour leur sécurité. Le 5 janvier, l’agence a rapporté que six boulangeries de Deir al-Balah et de Rafah avaient recommencé à travailler, mais trois demeuraient hors d’usage. « Le pain est le produit alimentaire le plus demandé, surtout étant donné que de nombreuses familles manquent des moyens élémentaires pour cuisiner », a-t-il dit.

Entre temps, l’offensive militaire israélienne a rasé au moins 22 % de la terre agricole de Gaza, d’après OCHA. Le bétail est affamé et les produits frais sont difficiles à trouver.

Juliette Thouma, directrice des communications pour l’UNRWA, a dit que les besoins des civils déplacés de Gaza dépassent le montant de l’aide autorisée dans la bande par les autorités. « Nous n’avons tout simplement pas assez et nous ne pouvons faire face aux besoins considérables des personnes sur le terrain », a-t-elle dit à CNN. « Cela rend la livraison de l’aide humanitaire extrêmement difficile. »

Et l’UNRWA et le PAM ont dit à CNN qu’alors qu’ils ne pouvaient pas vérifier les rapports sur les personnes qui revendent l’aide plus cher, c’est tout à fait possible étant donné le niveau de désespoir et de faim à Gaza.

« C’est un chaos absolu et les gens sont absolument désespérés, les gens sont absolument affamés », a ajouté Touma. « L’horloge annonce en effet une famine. »

Le PAM a dit à CNN que la distribution de l’aide se fonde sur des listes vérifiées de bénéficiaires et surveillée par des contrôleurs alimentaires qui « rapportent que la nourriture est livrée à ses bénéficiaires prévus ».

« Parfois, des familles prennent la décision personnelle de vendre la nourriture du PAM en échange d’autres articles ménagers dont ils auraient besoin. Mais pour être clair, toute nourriture distribuée par le PAM n’est pas à vendre », a dit l’agence dans une déclaration.

La guerre a aussi provoqué une perte à grande échelle de l’emploi à Gaza, entraînant une nouvelle baisse du pouvoir d’achat des résidents alors que les prix grimpent en flèche.

Hamouda dépense maintenant 250 $ par semaine pour acheter de la nourriture et des provisions pour sa famille – comparés aux 50 à 70 $ avant la guerre. Dans une facture vue par CNN, les fournitures mensuelles pour les orphelins dont s’occupe Al-Naizi ont été achetées à une société d’approvisionnement pour 6.814 $ – dont 2.160 $ pour le seul lait maternisé. Avant la guerre, la même quantité de ce lait aurait coûté 1.680 $.

« Nous vivons presque dans une jungle où la guerre, le meurtre, la cupidité des marchands, l’injustice des institutions dans la distribution de l’aide, et l’absence de gouvernement conduisent à ce chaos mortel », a dit al-Naizi.

Correction : Cette histoire a été corrigée pour présenter le fait que CNN a contacté le COGAT à propos des chiffres d’OCHA sur les missions d’assistance, par les FDI.

Nourhan Mohamed, Christiane Amanpour, Eyad Kourdi, Céline Alkhaldi et Hira Humayun ont contribué à ce reportage.