Nous, étudiants de l’Université Columbia, vous exhortons à écouter nos voix

S’il vous plaît, écoutez-nous – pas les personnalités politiques, les franges radicales et les médias mal avisés.

Mardi soir, nous avons regardé avec horreur des centaines de policiers anti-émeute envahir notre campus et brutaliser nos camarades. Le lendemain, les étudiants se sont réveillés, le visage gonflé, les poignets contusionnés et marqués de lacérations – tous effets d’un traitement inhumain de la part de la police. Les deux dernières semaines ont été tumultueuses, marquées par des arrestations massives d’étudiants qui manifestaient, par un campement sur nos pelouses, par l’attention des médias et d’actes infâmes de haine. On ne compte plus le nombre de ceux qui se sont exprimés en notre nom. Mais à parler par-dessus nous, les médias et les politiciens ont créé un narratif déformé – qui présente notre communauté de façon injuste.

Il est temps maintenant de faire apparaître les points de vue des étudiants, les « nous » plutôt que les « eux ». L’environnement traumatisant et la militarisation de notre campus ne sont pas le seul produit de protestataires mal intentionnés ou d’éléments extérieurs irresponsables, ainsi que le prétendent des mails administratifs ; ce sont plutôt la faute de l’administration supérieure elle-même. Depuis des mois, cette crise a couvé alors que les administrateurs ont ignoré la voix des étudiants et des enseignants. Nous devons être clairs : l’administration a mis en danger nos étudiants et a échoué à préserver de meilleures conditions d’apprentissage. Pour nous, dirigeants étudiants, il est temps que notre voix soit entendue.

Les graines de la descente de la police de New York (NYPD) le 30 avril à l’Université Columbia ont été plantées il y a environ six mois. Le 24 octobre, la haute administration de Columbia a unilatéralement créé une politique illégitime sur les événements universitaires, dans la foulée de manifestations propalestiniennes pacifiques, leur accordant le pouvoir de réguler les manifestations et « le pouvoir discrétionnaire de définir les sanctions concernant les organisations étudiantes et leurs membres ». Ainsi, la haute administration a contourné le processus et la procédure et a sapé la gouvernance partagée, plutôt que d’adhérer aux règles de la conduite universitaire adoptées par notre sénat universitaire et inscrites dans les statuts de l’université.

Ce n’était que le début de ce qui allait devenir un modèle d’exagération de l’autorité de l’exécutif. Les résultats de cette action sans précédent se sont manifestés pour la première fois le 3 novembre, lorsque les sections de Columbia de Jewish Voice for Peace (JVP) et de Students for Justice in Palestine (SJP) ont été suspendues sur des accusations sans fondement de « rhétorique menaçante et d’intimidation« .

Quand ce motif a été questionné en janvier, le vice-président de la haute administration, Gerald Rosberg, a admis que « ce n’était pas une tentative d’insinuer qu’un groupe était menaçant » et que « si le motif était compris en ce sens, il présentait ses excuses« . Cette apologie condescendante et sans effet concret fut inadéquate et improductive. Les commentaires de Rosberg n’ont pas rectifié la conduite erronée de l’université et n’ont fait qu’introduire une norme d’étouffement de la parole libre. Le changement, condamné à la fois par les enseignants et les étudiants, a suscité un engagement de la part de l’administration à réévaluer ses actions et à s’engager dans des processus décisionnels plus transparents.

Sans surprise, cette promesse fut sans suite. L’administration a continué à prendre des décisions sans notre apport, ignorant le bien-être, les valeurs et les règles de notre communauté. La taskforce créée pour traiter de l’antisémitisme n’a pas intégré d’étudiants et a été inefficace. L’administration a aussi failli à reconnaître correctement et encore plus à s’attaquer à la présence croissante de l’islamophobie et à la haine antipalestinienne sur notre campus.

Jetant de l’huile sur le feu, la haute administration a alors fait de notre campus un point névralgique pour les politiciens, les radicaux et les opportunistes, en dépit d’affirmations répétées de l’administration selon lesquelles elle travaillait à « assurer la sécurité physique de tous les membres de notre communauté« . Shaï Davidaï, un assistant de l’École de commerce, a publiquement décrit les étudiants juifs qui participaient à des manifestations propalestiniennes comme des “terroristes” et des “Judenrat”, ce qui lui a valu 50 plaintes. Il a été autorisé à rester sur le campus pendant des mois. Le professeur Joseph Massad a décrit l’attaque du 7 octobre comme formidable ; il reste sur le campus. Même le cofondateur de la milice terroriste du groupe Proud Boys a pu accéder à Columbia.

Ces choix administratifs permettant d’éviter des procédures disciplinaires ou d’interdire des extrémistes ont exposé nombre de nos collègues à des menaces connues ; ils ont perpétué le narratif selon lequel Columbia est guidé par la haine et ont posé la scène d’une théâtralité politique sans avancer sur la sécurité des étudiants juifs.  Tandis que notre communauté brûlait lentement, notre président, le coprésident de la task force sur l’antisémitisme et les coprésidents du Conseil d’administration ont été interrogés au Congrès sur la question d’une tolérance de l’antisémitisme par Columbia, via des manifestations haineuses. À l’inverse de ces allégations, les manifestations à Columbia ont été organisées par Désinvestissement de l’apartheid de l’Université de Columbia (Columbia University Apartheid Divest – Cuad), une coalition non violente décentralisée de plus de 100 groupes étudiants reconnus de l’ensemble du spectre politique et culturel. À l’audience, les administrateurs ont aussi failli à défendre l’engagement de notre université à la liberté académique – une exigence légale et un principe central de toutes les institutions d’éducation, prolongeant ainsi le faux narratif de haine qui continue à représenter notre communauté de façon erronée.

Le 17 avril, en réponse au mépris persistant de nos administrateurs, des activistes étudiants ont choisi de manifester sous la forme d’un campement pacifique sur les pelouses de notre université – ce qui a été corroboré par le chef de patrouille de la police de New York. Les médias et des politiciens ont fait dans le sensationnel en présentant ces étudiants comme des extrémistes fortement violents. Pourtant, nous avons été témoins que ces étudiants ont créé et soutenu des lignes directrices communautaires désavouant toute forme de haine. Nous avons été témoins de personnes de différentes obédiences et religions se protégeant mutuellement pendant leurs prières. Nous avons été témoins d’une forme de communauté dans laquelle des groupes d’étudiants dansaient, chantaient, enseignaient et faisaient de l’art ensemble.

Mais, au lieu de s’engager avec ces protestataires ou de les accuser de violations des règles de conduite de l’université, l’administration a choisi d’appeler la NYPD sur le campus – ce qui a conduit à l’arrestation de 108 étudiants protestataires et à l’arrestation non sanctionnée de deux observateurs juridiques le 18 avril 2024. Cette action a marqué une escalade considérable dans la négligence de l’administration vis-à-vis d’une gouvernance partagée consistant à ignorer un veto unanime du comité exécutif du sénat de l’université, qui doit être consulté avant que la police entre sur le sol de l’université. Cette décision tout à fait négligente fut durement réprimandée par la plupart de Columbia et elle caractérise à tort notre communauté comme faite de violents extrémistes. Plutôt qu’apaiser la contestation, les tensions se sont enflammées et un second campement, même plus grand que le premier, a été édifié dans les heures qui ont suivi.

De toutes les actions de l’administration, les Jours qui ont précédé la descente de la NYPD de cette semaine ont été les plus emblématiques de sa tactique consistant à faire monter la tension et la peur sur notre campus, en faisant taire la parole dans ce contexte. Son geste initial visant à mettre fin au deuxième campement a impliqué la mobilisation du titre VI, une loi anti-discrimination permettant d’exercer une discipline de masse, à force de narratifs à sensation mis en avant par des politiciens et des médias nationaux. En réponse aux suspensions massives suivant l’échec à parvenir à un accord dans les négociations, un « groupe autonome » d’activistes étudiants a occupé le bâtiment Hamilton vers 12h30 le 30 avril.

En quelques heures l’administration a imposé un blocus sur tout le campus, empêchant les étudiants d’accéder à des ressources vitales – nourriture et assistance médicale – ainsi que de se rencontrer – en session d’examens finaux. L’immense majorité parmi nous s’est réveillée choquée de cette réponse universitaire disproportionnée. Ensuite, l’administration a refusé l’accès au campus aux équipes de management exécutif et aux observateurs juridiques – claire démonstration de l’isolement des occupants auquel elle voulait aboutir.

Tandis que le ciel s’assombrissait mardi soir, les étudiants ont reçu une directive inquiétante les obligeant à rester sur place. Tandis qu’apeurés, nous appelions désespérément nos parents, des camions de la police de New York et des bus pénitentiaires se sont mis en file dans nos rues, empêchant toute échappatoire depuis les Hauts de Morningside. Nous étions piégés dans nos résidences universitaires ou dehors sous la pluie tandis que l’attaque se développait. La police a passé des personnes présentes au peigne fin dans des bâtiments proches et a fait sortir de force tous les reporters présents sur le campus.

Tandis que Columbia s’était vidée et que les occupants étaient stratégiquement isolés, la NYPD a frappé. L’action, alors qu’elle était une réponse à des violations de règles, s’est distinguée par son caractère militaire et disproportionné. Bien que les prises de vue de NYPD montraient que les policiers, dont des équipes-choc et des équipes de réponse stratégique, surpassaient numériquement de loin les protestataires, ils ont utilisé des grenades traumatisantes, brandi des matraques et dégainé des armes à feu sur les quelques dizaines d’étudiants non armés. La police a continué à limiter la documentation vidéo en flashant des téléphones qui enregistraient depuis les chambres d’étudiants proches.

Les quelques clips disponibles montrent des policiers faisant descendre des escaliers aux étudiants en les poussant, un étudiant inanimé étendu en face du bâtiment Hamilton et des échanges hostiles entre policiers et témoins. Il a même été interdit à un étudiant de quitter un bâtiment pour se procurer un remède essentiel à sa condition cardiaque. L’administration a prétendu tenter de restaurer la sécurité et l’ordre en autorisant des centaines de policiers de NYPD à prendre le commandement de notre école. Au lieu de cela, ils nous ont terrifiés, rendus malades et traumatisés.

En ce moment, nous devrions nous concentrer sur nos examens finaux. Mais, les agissements de l’université ont rendu impossible de nous centrer sur quoi que ce soit d’autre que la sécurité physique de nos collègues et l’accès à la nourriture. La représentation fallacieuse des événements perpétrée par l’administration lui a permis de justifier la présence d’une force policière et d’une brutalité extrêmes contre ses propres étudiants. L’administration nous a trahis. En tant que représentants étudiants, nous détestons cette présentation fausse et nuisible de notre communauté. Ce n’est que grâce au journalisme étudiant tels Columbia Spectator et la couverture radio 24/24 de WKCR-FM que nous avons commencé à reconquérir notre narratif.

Nous vous exhortons à nous écouter – et non les personnalités politiques, les franges radicales et les médias mal avisés. Dans tout le pays, des manifestations et campements non-violents sur les campus ont été perçus comme haineux par les administrations, les médias et des acteurs de mauvaise foi, en l’absence de journalisme d’investigation approprié. Alors que cela a été un sujet majeur dans le cycle de l’information récemment, nous ne voyons que rarement la représentation de points de vue étudiants, en dehors de quelques citations symboliques. Lorsque nous, un groupe de 60 et plus élus pour représenter le corps étudiant, avons essayé de partager nos voix par ce texte, nous avons été refusés, publication après publication.

Maintenant nous vous demandons de nous rendre la parole, nous les étudiants. De ne pas porter l’attention sur nous mais là où elle appartient de droit : au Moyen Orient.

  • Cette déclaration a été votée au Conseil Étudiant de Columbia par 22-4-2