Nous avons servi sur la base israélienne de Sde Teiman. Voici ce que nous faisions aux Gazaouis qui y sont détenus

Pieds et mains menottés. Yeux bandés. Interdiction de bouger. De parler. Et parfois, des passages à tabac violents. Jour après jour, semaine après semaine passent ainsi à l’établissement de Sde Teiman destinés aux terroristes du Hamas et aux civils palestiniens de Gaza. Les personnes que nous avons interviewées le savent. Elles ont servi là-bas.

Dans les jours qui ont suivi l’attaque surprise sur le sud d’Israël le 7 octobre, un total de quelque 120 militants du Hamas, membres de l’aile militaire Nukhba du mouvement et civils palestiniens de la Bande de Gaza ont été emprisonnés en Israël. Ils ont été envoyés à un établissement de détention spécialement créé sur une base de la police militaire au camp de Sde Teiman, entre les villes d’Ofakim et de Be’er Sheva dans le Néguev. Dans les mois qui ont suivi, plus de 4500 autres habitants de la Bande de Gaza, parmi lesquels des terroristes de diverses organisations et des civils, y ont été incarcérés.

Peu de temps après la mise en fonctionnement de l’établissement, des témoignages ont été publiés dans des médias israéliens et étrangers, disant que les détenus y étaient affamés, battus et torturés. Il a aussi été allégué que les conditions de détention n’étaient pas conformes au droit international. D’autres allégations ont été faites à propos du traitement à l’hôpital de campagne installé à proximité. Le personnel a témoigné que les patients détenus étaient nourris avec une paille, contraints à se soulager dans des couches et menottés si étroitement, 24 heures par jour, qu’il y avait eu plusieurs cas d’amputations des membres.

Il y a deux mois, on a appris que les Forces de défense israéliennes menaient une enquête criminelle contre des soldats qui auraient été impliqués dans la mort de 36 détenus du camp. Le mois dernier, 10 réservistes ont été arrêtés, soupçonnés d’abus sexuels violents sur un prisonnier. Les soldats, réservistes ou non, assignés à Sde Teiman, sont subordonnés à la police militaire, qui a l’autorité suprême sur ce qui se passe là-bas.

À la suite des nombreux témoignages qui ont fait surface, cinq organisations de défense des droits humains ont saisi la Haute Cour de justice, demandant la fermeture du site. Début juin, l’État a annoncé en réponse qu’il prévoyait de transférer la plupart des détenus dans des établissements gérés par le Service israélien des prisons et de redonner au camp sa mission originelle « d’établissement pour une [incarcération] temporaire, de courte durée, à des fins d’interrogatoire et de classification seulement ». Dans une autre réponse à la Haute Cour de justice au début de ce mois, l’État a déclaré qu’il n’y avait plus maintenant que 28 détenus dans l’établissement.

Depuis que la guerre a éclaté, des milliers de soldats israéliens des forces régulières ou de réserve ont servi à Sde Teinam. La plupart ont été postés là dans le cadre d’une mission à laquelle leur unité était affectée. D’autres ont été volontaires pour y servir pour diverses raisons. Ces derniers mois, plusieurs soldats et professionnels de santé ont accepté de parler avec Haaretz de la période où ils s’y trouvaient. Huit de ces témoignages suivent, anonymement et en ordre chronologique, depuis le séjour le plus ancien jusqu’au plus récent.

N., un étudiant du Nord, réserviste

« J’ai été mobilisé avec tout le bataillon le 7 octobre. Nous avons été envoyés pour sécuriser des communautés dans la partie ouest du Neguev, et après deux semaines, nous nous sommes déplacés vers Be’er Sheva. J’étais engagé dans une activité sans lien avec le bataillon quand j’ai vu sur le groupe What’sApp de la compagnie des annonces pour une autre mission — quelque chose de nouveau : service de garde à Sde Teinam. Ce n’était pas très clair au début.

« Quand je suis retourné à ma compagnie, les gens chuchotaient déjà entre eux à propos de l’endroit. Quelqu’un a demandé si j’avais entendu parler de ce qui se passait là-bas. Quelqu’un d’autre a dit : « Tu sais que tu dois frapper des gens là-bas », comme s’il me provoquait et voulait tester ma réaction, voir si j’étais un gauchiste ou quelque chose comme cela. Il y avait aussi un soldat dans la compagnie qui se vantait d’avoir frappé des gens dans cet établissement. Il nous a dit y être allé avec un officier de garde de la police militaire et qu’ils avaient frappé un des détenus avec des matraques. J’étais curieux de voir l’endroit et les histoires me semblaient un peu exagérées, donc je me suis plus ou moins porté volontaire pour aller là-bas.

À Sde Teinam, nous gardions le lieu de détention des prisonniers. Nous avions de périodes de travail de 12 heures, jour ou nuit. Les médecins et le personnel médical du bataillon faisaient des périodes de 24 heures à l’hôpital de campagne. À la fin de chaque garde, nous retournions dormir à Be’er Sheva.

Les détenus étaient dans un vaste hangar avec un toit et des murs sur trois côtés. Au lieu du quatrième mur, face à nous, il y avait une clôture avec une double porte et deux serrures, comme dans les parcs pour les chiens. Une clôture de barbelés entourait le tout. Nos positions étaient proches des deux coins de la clôture, à une sorte de diagonale, derrière des blocs de béton en forme de U. Un soldat se tenait à chaque poste, observant les détenus et assurant la protection du personnel de la police militaire chargé de gérer l’endroit. Nous étions en poste deux heures de suite, avec deux heures de repos entre. Si vous n’étiez pas de garde, vous pouviez aller dans l’aire de repos, une sorte de tente où il y avait des boissons et des collations.

« Les prisonniers étaient assis sur le sol sur huit rangs, avec à peu près huit personnes dans chaque rang. Un des hangars contenait 70 personnes et le deuxième environ 100. La police militaire nous a dit qu’ils devaient rester assis. Ils n’étaient pas autorisés à jeter un coup d’oeil à travers leur bandeau. Ils n’étaient pas autorisés à bouger. Ils n’étaient pas autorisés à parler. Et que si … ce qu’ils [la police militaire] ont dit, c’est que s’ils enfreignaient les règles, il était permis de les punir. »

Comment étaient-ils punis ?

« Pour de petites choses, vous pouviez les forcer à se tenir debout [pour environ 30 mn]. Si la personne continuait à causer des problèmes, ou pour des violations plus sérieuses, l’officier de la police militaire pouvait aussi le prendre à part — et le frapper avec une matraque. »

Est-ce que tu te rappelles un tel incident?

«  Une fois, quelqu’un a jeté un coup d’oeil sur une soldate — au moins c’est ce qu’elle a dit … Elle a dit qu’il la regardait par-dessous son bandeau et faisait quelque chose sous sa couverture. Le truc, c’est que c’était l’hiver et qu’ils avaient des « couvertures anti-gale » — comme celles de l’armée [des couvertures rugueuses, grossières]. Et ils se grattaient toujours dessous. J’étais à l’autre poste et je ne regardais pas dans cette direction. Alors elle a appelé l’officier et lui a dit. Le détenu était assis au premier rang et il était un peu … bon, c’était un type un peu problématique. Après tout, ils ne sont pas autorisés à parler. Il m’a semblé qu’après un certain temps, certains d’entre eux sont à cran … instables. Parfois ils commençaient à pleurer, ou à perdre la tête. Il faisait partie de ceux qui ne semblaient pas très stables.

« Quand l’officier de la police militaire est arrivé, le shawish [un terme méprisant avec beaucoup de connotations en arabe, mais utilisé ici pour décrire un détenu en charge d’autres détenus] a essayé de lui expliquer : « Écoutez, c’est dur. Il est ici depuis 20 jours. Il ne change pas de vêtements et ne se douche presque jamais ». C’est-à-dire, le type a essayé de faire de la médiation. Mais la soldate a encore dit qu’il l’avait regardée. L’officier a dit au shawish d’amener le type à la double porte et de de le sortir. Dans l’intervalle, lui [l’officier] a appelé un autre soldat de sa compagnie, qui était à ce moment-là dans l’aire de repos, et qui était toujours en train de dire qu’il voulait frapper les détenus.

« Le soldat a attrapé une matraque et ils ont fait sortir le détenu de l’enclos et l’ont emmené à une sorte d’endroit caché derrière les toilettes chimiques près de notre aire de repos. Je suis resté à mon poste, mais j’entendais les sons, une sorte de cognement. Environ une minute, une minute et demie est passée, et ils sont revenus avec le type. Vous pouviez voir des marques rouges sur ses bras, autour des poignets. Quand ils l’ont ramené dans la cellule, il a crié en arabe : « je jure que je ne l’ai pas regardée ». Il a levé sa chemise et vous pouviez voir qu’il y avait des ecchymoses et un peu de sang autour des côtes.

« J’ai fait plusieurs tours de garde là-bas, c’était assez pour moi. Et ensuite nous avons été relevés. Ce n’était pas une tâche très demandée dans la compagnie ; on pourrait dire que c’était même du semi-volontariat, à cause de sa complexité. Les soldats étaient conscients que c’était une tâche rude … Cela pue là-bas, dans ces cellules. Cela pue, donc les gens portent des masques toute la journée, ce qui n’aide pas réellement, d’ailleurs.

« Mais parfois il y avait une sorte d’atmosphère d’amusement. Surtout vers la fin, la tâche devenait une sorte de plaisanterie, les gens faisaient des blagues ou des vidéos des détenus ou des plaisanteries sur le shawish. Nous commandions toujours le café à Aroma [un café] à Bee’er Sheva et quelqu’un a dit au caissier que son nom était shawish —tout le monde s’est tordu de rire lorsqu’ils l’ont appelé par haut-parleur [pour prendre la commande].

« Je n’ai pas trouvé cela drôle. Je pensais que la situation du shawish était déchirante. Il y avait des moments où les gardes criaient « Silence ! » parce que les prisonniers n’avaient pas le droit de parler. Et alors l’officier de la police militaire disait au shawish : « Écoute bien, s’ils ne taisent pas, nous les mettons tous debout maintenant ! Donc dis-leur de se taire ». Et le shawish leur disait : « Hé, écoutez, taisez-vous, sinon tout le monde sera puni ». Lui, il essayait d’être gentil, même si la situation était impossible de son point de vue. Et quand les murmures continuaient, il s’énervait et leur criait encore dessus et ce n’était plus très clair si c’était d’inquiétude — pour qu’ils ne soient pas frappés — ou s’il se sentait de l’autre côté, du côté des gardes.

« Sa condition était assez similaire à celle des autres détenus, mais il n’était pas menotté et n’avait pas les yeux bandés. Il n’avait pas à rester assis tout droit sur le sol. Et il était en fait assez libre de se déplacer, mais seulement dans la cellule. Je l’ai vu une fois, après que chacun avait fini de manger, prendre une autre tranche de pain qui restait, pour lui-même. Je ne sais pas ce qu’il faisait à Gaza, mais avec des conditions comme cela … il est clair qu’il n’était pas un Nukhba ou totalement Hamas.

« Quand j’étais là-bas, j’ai lutté avec moi-même pour décider si je devais rester et essayer de faire la chose correctement, le mieux possible en tant que personne morale, ou si je devais juste me lever et déclarer que je refusais de participer à tout cela. La pensée que l’endroit allait continuer à fonctionner après mon départ me déprimait, que plein d’autres soldats finiraient par remplir ce poste concret. Même si je n’ai été là que pour une courte période, j’en suis sorti avec un. lourd sentiment de culpabilité.

Dr. L., médecin dans un hôpital public

« Je suis arrivé à l’établissement médical de Sde Teiman au cours de l’hiver. Sous une tente d’hospitalisation, il n’y avait pas plus de 20 patients. Tous avaient leurs quatre membres attachés à de vieux lits d’acier, comme ceux utilisés dans nos hôpitaux il y a des années. Tous étaient conscients et ils avaient les yeux bandés tout le temps.

« Il y avait là des patients dans des conditions différentes. Certains étaient arrivés très peu de temps après une opération chirurgicale importante. Il y en avait beaucoup avec des blessures par balles. Il y en avait un qui avait été reçu des balles dans sa maison à Gaza seulement quelques heures auparavant. Tout médecin sait que ce dont une personne dans cette situation a besoin c’est de passer un jour ou deux en soins intensifs et ensuite d’être déplacé dans une salle ; c’est seulement là que la récupération commencera vraiment. Mais cette personne avait été envoyée dans une prison à Sde Teiman deux heures après une opération. Dans une tente. Ils auraient dit à l’hôpital qu’il pouvait sortir. Je conteste. Des patients comme cela sont en soins intensifs dans les hôpitaux. C’est parfaitement clair.

« Il y avait un autre patient souffrant d’une infection systémique — septicémie. Il était dans une condition critique et même selon le protocole, il n’aurait pas dû être là. Seuls les patients qui sont complètement stables sont supposés être hospitalisés à Sde Teiman. Mais il était là et ils disaient qu’il n’y avait pas d’alternative.

« À part le fait qu’il n’y avait pas de chirurgien là-bas, ce qui est inconcevable pour un endroit comme celui-là, l’équipe médicale était très professionnelle. Chacun essayait vraiment — si vous ignorez le fait qu’à mes yeux au moins, maintenir une personne sans lui laisser bouger aucun membre, les yeux bandés, nu, sous traitement, au milieu du désert — à la fin ce n’est rien d’autre que de la torture. Il y a des manières d’administrer un traitement médiocre, ou même de torturer une personne sans écraser de cigarettes sur lui. Et les maintenir comme cela, incapables de voir, de bouger ou de parler, pour une semaine, dix jours, au moins — ce n’est rien moins que de la torture. Particulièrement quand il est clair qu’il n’y a aucune raison médicale pour cela. Pourquoi attacher les jambes d’une personne qui a une blessure à l’estomac de deux jours ? Les mains ne suffisent pas ?

« Le truc est que quand j’étais là, tout me semblait d’une certaine façon normal, parce qu’il y a des excuses [pour les envoyer à un hôpital de campagne] et le travail médical a lieu dans un espace normal, familier. Mais à la fin, ce qui arrive là-bas est une déshumanisation totale. Vous n’avez pas vraiment de liens avec eux, comme s’ils étaient des êtres humains réels. C’est facile d’oublier cela quand ils ne bougent pas et que vous n’avez pas à leur parler. Vous avez juste à vérifier qu’une certaine procédure médicale a été faite et en cours de route vous enlevez toute la dimension humaine de la médecine. »

Mais à la fin, ce qui arrive là-bas est une déshumanisation totale. Vous n’avez pas vraiment de liens avec eux, comme s’ils étaient des êtres humains réels. C’est facile d’oublier cela quand ils ne bougent pas et que vous n’avez pas à leur parler.

Est-ce que vous aviez des interactions avec les patients ?

« Non. Absolument pas. Ils n’étaient pas autorisés à parler, et les interprètes sont là seulement pour aider quand il s’agit strictement de sujets médicaux. Ils [les patients] ne savent même pas qui je suis, si je suis un soldat ou … ils ne me voyaient pas. Ils m’entendaient probablement, seulement, et sentaient que quelqu’un était arrivé pour les examiner, ou quelque chose comme cela.

« Cela me frustrait terriblement de ne pas pouvoir les regarder dans les yeux. Ce n’est pas comme cela que j’ai appris à traiter des patients, quoi qu’ils aient fait. Et ce qui est le choquant, c’est que quand j’étais là-bas, je dois l’admettre … je n’étais même pas triste. Cela avait l’air tout à fait surréaliste, à juste un quart d’heure de route de Be’er Sheva. Comme si tout ce qu’on m’avait enseigné, toutes les années à l’université et dans les hôpitaux, sur la façon dont on traite les gens — tout cela existe, mais dans un environnement dans lequel 20 personnes sont maintenues nues dans une tente. C’est quelque chose que vous ne pouvez pas imaginer. Je comprends que si nous combattons en Afghanistan, je peux d’une certaine façon concevoir [l’existence d’]un hôpital de campagne comme cela là-bas. Mais ici ?

« En y repensant, ce qui est le plus difficile pour moi est ce que je ressentais, ou en fait ce que je ne ressentais pas, quand j’étais là-bas. Cela me perturbe de savoir que cela ne me dérangeait pas, que d’une certaine façon je regardais ces choses mais ne les voyais pas, ou d’une certaine façon — je ne me sentais pas mal à leur propos. Comment est-ce que j’ai pu ne pas poser de questions sur certains petits détails ? Pourquoi étaient-ils recouverts avec des couvertures ? Pourquoi étaient-ils anonymes ? Pourquoi étions-nous anonymes ? Comment pouvait-il se faire qu’ils urinent et défèquent dans une couche jetable ? Pourquoi leur donnait-on une paille pour manger … mais, pourquoi ?

« Je suppose qu’il était déjà clair pour moi là-bas que ce qui se passait n’était pas correct, mais pas à quel point. Peut-être y-a-t-il un processus d’accoutumance. Vous êtes parmi des professionnels, parlant hébreu et nous sommes déjà habitués à voir des prisonniers menottés dans des hôpitaux. Donc d’une certaine façon … le processus devient normalisé là-bas et à un certain stade cela cesse simplement de vous déranger.

T., 37 ans, réserviste du Nord

« Mon bataillon a été appelé quelques jours après le 7 octobre et nous avons fait un mois de protection dans des communautés près de la frontière de Gaza. Pendant l’hiver nous avons été appelés encore une fois pour le service de réserve, mais soudainement ils ont dit que nous ferions aussi des tâches de surveillance à Sde Teiman. Cela a été une surprise totale.

« J’ai été là-bas pendant 20 jours. L’endroit était divisé alors en quatre enclos principaux, avec deux hangars dans chacun. Un des enclos avait aussi un petit hangar supplémentaire, pour les mineurs. En tout il y avait neuf hangars et entre 50 et 100 détenus dans chacun, excepté dans celui avec les mineurs, où ils étaient peut-être entre 10 et 20.

« Dans chaque hangar, tous avaient le même vêtement, bleu, et une sorte de bandeau jaune-orange. Ils portaient des tongs et avaient chacun comme un tapis de yoga, mais plus fin, et ils n’étaient pas autorisés à en bouger. Se tenir debout n’était pas permis du tout sans autorisation. Et ils n’avaient pas le droit de parler. La majeure partie du temps, ils restaient assis, les bras entravés et les yeux bandés. En fait, pas la majeure partie — ils étaient comme cela tout le temps, jour et nuit.

Entravés derrière ou devant ?

«  Généralement devant. Ils avaient les bras entravés derrière comme punition, il y en avait certains dont les jambes étaient aussi entravées. Il y avait cette échelle pour leur niveau de dangerosité, de 1 à 4. Ceux qui étaient en haut, avec 4, étaient assis devant, de façon à être plus proches des gardes. J’ai vu un peu les listes. Principalement, les Nukhbas étaient classés à 4. Je ne sais pas si les listes étaient supposées ouvertes à tout le monde, mais elles trainaient dans le bureau de la police et il y a eu des soldats qui les ont vues. J’ai compris qu’un rang de 3 est pour un militant du Hamas qui n’est pas Nukhba, mais est quand même un combattant. Deux est pour quelqu’un qui est affilié au Hamas mais n’est pas un combattant. Et quelqu’un avec le rang 1 n’est affilié à aucune organisation. Environ 20% étaient rangés dans le groupe 4 et ils étaient tous assis devant et leurs jambes aussi étaient entravées. Je ne sais pas pourquoi.

« Le réveil est autour de 5h du matin, quand les officiers de la police militaire arrivent pour leurs périodes de travail. Ils utilisent des mégaphones et font se lever tout le monde. Immédiatement après, il y a un décompte. L’officier de service arrive et fait l’appel. Quiconque entend son nom répond « oui, capitaine » (en hébreu) et ensuite s’assoit. Ensuite ils font des prières. Chaque personne prie pour soi-même, ensuite ils apportent un récipient avec de la nourriture que le shawish distribue ; d’habitude c’est quatre ou cinq tranches de pain et quelque chose à étaler dessus. Le matin c’est du fromage, à midi, du thon et le soir de la confiture ou quelque chose comme cela. Et aussi un fruit ou un légume.

Qui étale ce qu’il y a sur le pain ?

« Ils le font eux-mêmes ».

Les yeux bandés ?

« Oui. Ils peuvent le faire même avec un bandeau. Ce n’est pas totalement hermétique ; ils voient probablement ce qui est à proximité et en dessous d’eux. Ils marchent aussi aux toilettes comme cela et ne se heurtent pas aux murs. Donc je suppose qu’ils voient quelque chose. »

Et ils ont des ustensiles jetables ?

« Je ne pense pas avoir vu quoi que ce soit comme cela »

Donc ils étalent le fromage ou le thon avec les doigts ?

« Oui ».

Et où sont les toilettes ?

« Dans l’enclos. Il y a deux ou trois toilettes chimiques là. Mais ils doivent demander la permission d’y aller. S’ils veulent boire de l’eau, ils lèvent les mains et le shawish va la chercher et la prend. Parfois l’officier de police peut leur donner deux minutes pour se mettre debout et s’étirer. Je n’ai pas compris complètement les règles ou quand cela arrive. Parfois c’est une fois par jour, parfois trois fois par semaine.

Quiconque viole les instructions, murmure ou essaie de bouger son bandeau reçoit une punition. La punition la plus légère était d’être obligé de se tenir debout. Le stade suivant est de se tenir debout avec les bras levés. Le suivant est qu’ils sont sortis de l’enclos et qu’on leur donne quelque chose comme quatre ou cinq coups avec une matraque. Quelque part dans la partie supérieure du corps, pas au visage. »

Où est-ce que cela se passe ?

«  En dehors de la zone des cellules. La personne est amenée dans un endroit plus caché, ou dans un coin où les gens ne voient pas [ce qui se passe]. »

De qui les gens [appliquant la punition] doivent-ils se cacher ?

«  Bonne question… Je ne sais pas. Peut-être de la salle de contrôle [dans une zone fermée sur le site, non accessible aux soldats] qui les observe. On dit qu’il y a quelqu’un qui les observe tout le temps, au moins en théorie . »

Qui donne les coups ?

« D’habitude les officiers de la police militaire ».

Pourquoi dites-vous « d’habitude » ?

« Bon, il y a eu effectivement des cas de soldats qui étaient réellement tout feu tout flamme à l’idée de frapper, donc ils demandaient … et eux [de la police militaire] étaient parfois d’accord pour les laisser faire. Mais d’habitude c’étaient les officiers eux-mêmes ».

Et alors pourquoi acceptaient-ils parfois de laisser faire les soldats ?

«  Je ne sais pas, je pense que c’était une sorte de déviation, mais je ne suis pas sûr que c’était contre les règles ou juste contre la coutume. Il y avait un peu le sentiment que ce n’était pas vraiment correct de permettre aux soldats de le faire. »

Comment les détenus réagissaient-ils ?

«  Généralement, ils étaient assez tranquilles à ce stade. Parce que parfois ils criaient pendant les coups, mais après cela, quand on les ramenait aux cellules, ils étaient assez dociles ».

Pendant une garde moyenne, combien y avait-il de punitions ?

« Je dirais… une fois toutes les deux heures il y avait un cas de bastonnade. Il y avait plus de punitions du type ‘être contraint à rester debout’. La plupart du temps, quelqu’un était debout. »

Est-ce qu’il y avait d’autres incidents impliquant de la violence?

« Oui. Les punitions impliquaient une violence relativement mineure. La violence la plus extrême venait des fouilles au corps de tous les détenus dans l’enclos. Une fouille était réellement quelque chose de très, très, … de bien plus violent. La plupart du temps, c’était fait par Force 100. Au début, ce n’était pas clair si ils étaient quelque chose d’officiel ou si c’était juste des gens qui s’appelaient eux-mêmes Force 100 [une unité de réservistes des Forces de défense israéliennes qui est sous le commandement de la police militaire] et qui avaient cette espèce d’étiquette attachée à leurs uniformes. Après c’est devenu plus institutionnalisé. Ce sont des réservistes, mais ils ont tout le wassah [la prétention arrogante des soldats] qui est intense dans l’armée maintenant, toute la façade. Ils ont un uniforme tactique et ils déambulent avec des masques de ski et tout un attirail spécial, et il y a aussi un air de secret autour d’eux.

La violence la plus extrême venait des fouilles au corps de tous les détenus dans l’enclos. Une fouille était réellement quelque chose de très, très, … de bien plus violent.

« Des gens disaient que c’était des types des unités d’opérations spéciales qui étaient supposés gérer les troubles sérieux. Donc ils dirigeaient ces fouilles, une ou deux fois par semaine, dans chaque enclos. Quand ils apparaissaient pour une fouille, toute une foule de personnes et d’officiers les accompagnaient. Je ne sais pas exactement quel était leur rôle. Ils se tenaient là, plus ou moins pour observer.

« D’habitude pour une fouille, une équipe de Force 100 d’environ 10 combattants arrivait. Ils faisaient mettre les détenus sur le ventre, les mains derrière la tête. Pendant la première fouille que j’ai vue, après qu’ils se sont allongés, les prisonniers ont été sortis par cinq à chaque fois, selon un certain ordre. Ils les ont emmenés à l’extérieur violemment, ils les ont mis debout dehors face à la clôture et ils les ont fouillés. D’habitude, ils en tiraient un à l’extérieur — je ne sais pas s’il était choisi au hasard ou non — et ils le jetaient à terre. Ils le fouillaient là et le frappaient aussi un peu. Cela ressemblait à une excuse pour semer la terreur. Ce n’était pas une fouille ordinaire. C’était très violent, certainement pour les types qu’ils jetaient sur le sol, qui étaient frappés méchamment. Ils continuaient, cinq à la fois, jusqu’à ce qu’ils les aient tous fouillés et ramenés à l’intérieur.

« Et il y avait quelque chose d’autre. Force 100 emmenait quelque chose comme 10 personnes de chaque enclos. Ils arrivaient avec des listes et savaient qui étaient les gens. Ils prenaient ces types à part et réellement les mettaient à mal. Je sais que cette liste était préparée par la police militaire et pas par le renseignement militaire ou le Shin Bet [service de sécurité]. En d’autres termes, ce n’était pas pour extraire des renseignements d’eux. ils arrivaient avec une liste de noms et les frappaient vicieusement. C’était des coups à un niveau que … je pense que chaque fois des dents étaient brisées, des os étaient brisés. Parce que c’était réellement des coups puissants.

Où était-ce fait ?

« Pour les coups eux-mêmes ils étaient pris à part, dans un lieu plus caché. Le reste des soldats et des détenus restaient debout. …J’ai vu ces passages à tabac : six ou sept hommes, de Force 100, se tenaient autour d’un type et lui donnaient des coups de pied. Des coups, des gifles, des coups de poing, tout. Deux ou trois d’entre eux se tenaient sur le côté avec des armes, montant la garde. Et il y avait aussi un chien. »

Combien de temps cela durait-il ?

«  Jusqu’à ce qu’ils se fatiguent. Il y a eu aussi des moments où ils ont invité des soldats réguliers à participer aux passages à tabac des unités de gardes ou de la police militaire. Je ne sais pas si c’était coordonné à l’avance avec eux, ou s’ils les appelaient juste spontanément, mais c’était un genre de signes envers certains soldats, qui étaient dans la boucle.

« Il y a eu des occasions où je n’ai pas vu les passages à tabac, mais j’ai entendu les coups de poings ou les cris. Ils étaient très intenses, les cris. ils étaient plus intenses que ce que j’ai parfois entendu dans d’autres interrogatoires. Maintenant, tout ce temps, les chiens venaient aussi et aboyaient et sautaient sur eux. Avec une muselière, oui, mais en les griffant, et vraiment effrayants. Ah …au début il y avait aussi une grenade assourdissante. Oui, chaque fois qu’une fouille comme cela démarrait, Force 100 lançait une grenade assourdissante dans l’enclos. »

Combien de temps durait la procédure ?

« Cela prenait du temps. Il y a beaucoup de gens. Cela pouvait prendre une heure, une heure et demie. Longtemps.

« La deuxième fouille que j’ai vue était presque identique à la première, mais elle a eu lieu à l’intérieur — les détenus n’ont pas été sortis. Après avoir lancé la grenade assourdissante et quand tout le monde était allongé, Force 100 est entré et a pris cinq personnes à chaque fois, les a plaqués dans un coin de l’enclos et ils ont fait la même chose : une fouille très violente. Et ensuite, quand ils ont ramené les détenus, ils les lançaient simplement à leurs places. »

Qu’est-ce que vous voulez dire : « lançaient »?

« Ils les lançaient. Bon, ils lancent le type et il tombe, sur d’autres personnes. Il a les yeux bandés et des entraves, et il ne peut pas se préparer à la chute. »

Et personne autour ne disait rien ?

«  Personne. Il y avait beaucoup de gens, y compris des officiers, ce n’était pas quelque chose qui était fait dans l’obscurité. Cette sorte de choses arrivait dans l’enclos, donc tout le monde voyait ce qui se passait. Il y avait deux ou trois lieutenants colonels là, de la police militaire. Ce n’est pas quelque chose qui était fait derrière le dos du commandant du camp. Je ne sais pas si c’était la procédure, mais il semblait que les soldats savaient exactement ce qu’ils faisaient. Et les officiers … oui, il se tenaient là debout, c’étaient les commandants de Force 100. On n’avait pas l’impression que la force décidait toute seule de le faire. »

Savez-vous pourquoi ces détenus en particulier étaient frappés ?

« Je n’ai pas vu et je ne sais pas. Peut-être se comportaient-ils mal ? Il y avait aussi des gens là-bas que j’ai vus avec les listes de noms de la police militaire. Bon, il y en avait un qui était impliqué dans le 7 octobre, donc ils l’ont sorti à chaque fois et ils l’ont frappé ».

À plusieurs occasions?

« Exact ».

Quelles opportunités avait-il là-bas, pour le frapper ?

« À cause des fouilles, je pense que ses jambes étaient brisées, donc à chaque fois qu’il devait se tenir debout pour le décompte, par exemple, il ne pouvait pas le faire. Donc c’était une excuse pour le sortir et le frapper encore plus ».

Mais est-ce qu’il était frappé à chaque décompte ?

«  Pas à chaque fois, mais très souvent. Très souvent. »

Est-ce qu’il disait quelque chose ?

« Non, il semblait épuisé. Parfois il les suppliait d’arrêter. »

Et entre vous, parmi les soldats, est-ce que qui que ce soit se posait des questions sur ce qui se passait là-bas ?

«  Il y a eu des soldats, principalement des femmes, qui ont eu une sorte d’attaque de panique quand ils ont vu une fouille. Mais il y en avait plein qui étaient enthousiastes pour faire ces gardes, qui voulaient être là-bas. Même les officiers de ma compagnie cherchaient une excuse pour s’y montrer. Cela vous remplit d’adrénaline … quand j’étais dans la situation, aussi, … ce n’est pas un genre ordinaire de situation. Cela cause du stress. Le reste du temps, on s’ennuie sous la tente de l’aire de repos, et il n’y a pas beaucoup d’interaction entre les soldats. Il y a quelques tables, vous vous asseyez, vous passez le temps et soudainement cela arrive. Il y a de l’action.

« La plupart des gars étaient d’accord avec ce qui se passait. Il y en avait quelques-uns qui étaient un peu gênés par cela et il y en avait d’autres qui étaient gênés par cela au début et qui ensuite se sont alignés avec le système. Les excuses étaient que « c’était la guerre », « ils sont terribles », et « il n’y a pas d’autre façon pour leur imposer de la discipline ».

La plupart des types étaient d’accord avec ce qui se passait. Il y en avait quelques-uns qui étaient un peu gênés par cela, et il y en avait d’autres qui étaient gênés par cela au début et qui ensuite se sont alignés avec le système.

 « Une des choses les plus dures pour moi n’était pas nécessairement les passages à tabac, mais qu’ils étaient entravés tout le temps, sans être capables de voir ou de bouger. C’était la torture la plus dure qui soit. Quand nous parlions entre nous parfois, il y avait des gens qui dans la conversation mentionnaient soudainement le mot « torture ». Et alors nous disions, c’est de la torture. Mais vous n’approfondissez pas ; vous changez de sujet immédiatement.

« Je m’en suis préoccupé moins à mesure que le temps passait. Les premières gardes ont été très dures. Mais après cela, ne créait plus le même niveau de tension. Il n’y a rien que vous puissiez faire. Il y a le même stimulus, tout le temps. Le cerveau s’y habitue.

Est-ce qu’il y a eu des moments où des gestes d’humanité ont été faits là-bas ?

«  C’est arrivé. Mais c’était rare. Parfois la police militaire donnait aux mineurs des bonbons, comme le soir, avant de dormir. Une fois un détenu a commencé à pleurer. il était plus âgé, 60 ans. Alors l’officier de service a essayé de lui parler et de le réconforter un peu. Par le shawish, il a essayé de savoir : « Qui est-il ? Pourquoi est-il là ? » Le détenu a dit qu’il était un enseignant ordinaire, jusqu’à ce qu’il soit emprisonné. Il a demandé à être traité comme un être humain. Quelque chose d’analogue est arrivé avec le même officier et un des mineurs, qui commençait aussi à pleurer. Il lui a demandé ce qu’il voudrait être quand il sera adulte. Et à la fin, il lui a dit que les choses allaient s’arranger. »

«  C’était rare, très rare. Je pense que l’officier était dans une sorte d’humeur libérée ce jour-là, parce que c’était sa dernière garde. »

A., étudiant et réserviste dans la police militaire

« J’ai servi dans l’unité qui a reçu les détenus à Sde Teiman pendant les premiers mois de la guerre. Ils arrivaient presque chaque jour, et de nuit aussi. En général directement du terrain, escortés par des combattants ou la police militaire. Ils nous arrivaient les mains attachées, parfois avec des vêtements et parfois seulement en sous-vêtements ou avec quelque chose cachant leurs parties intimes. »

Qu’est-ce que c’était, « quelque chose » ?

«  Une étoffe ou un chiffon, quelque chose qu’ils avaient trouvée. Dans la zone d’entrée, ils étaient descendus du tiyulit [un camion ouvert avec des bancs pour transporter des gens] et organisés en rangs. Ils attendaient jusqu’à ce que nous les emmenions au bureau, un par un. Là on leur demandait des choses basiques, comme l’endroit d’où ils avaient emmenés en prison, où ils vivent et nous entrions les informations dans l’ordinateur. Ils avaient subi un interrogatoire préliminaire sur le terrain, mais nous n’avions pas les détails à l’avance sur qui ils étaient ou ce qu’ils avaient fait. Nous enlevions leurs bandeaux sur les yeux quelques minutes, juste pour la photographie.

« Je me suis enrôlé en croyant, et je le crois encore, que l’armée sait comment atteindre ses objectifs, même si ce n’est pas toujours compris par le soldat ordinaire. Même si cela semble mal de l’extérieur. J’ai rencontré beaucoup de gens avec des principes parmi les réservistes, mais il y en avait aussi quelques-uns qui n’en avaient pas. Quelques-uns de chaque sorte.

« Au début, parce qu’il n’y avait pas assez de réservistes qui s’étaient présentés, ils ont amené des filles de l’unité Gabelet de la police militaire pour recevoir les détenus. Elles sont pour la plupart dans l’armée régulière et travaillent avec les prisonniers [en réinsertion], mais elles n’étaient pas préparées pour les Nukhbas. Au début les gens sont arrivés ici, quelques-uns avaient été blessés dans la zone de combat. Pas très beau à voir, surtout ceux qui avaient été pris en Israël et arrivaient après avoir subi un rude interrogatoire sur le terrain. C’était apparemment dur pour les soldates du Gabelet de gérer mentalement, donc ils ont amené un officier de santé mentale, qui a parlé avec elles. Après cela, elles sont retournées à leur mission. Quelques-unes ont craqué parfois.

« Vous devez aussi vous rappeler la période. Cette base était une réflexion de l’atmosphère dans le pays. Dans les premiers mois, quelqu’un est debout devant vous et vous ne savez pas ce qu’il a fait. S’il est Nukhba, s’il a violé, s’il a assassiné, si même il mérite de vivre. Et vous êtes rempli de rage. Tout le monde est rempli de rage. Il y a un désir de revanche. Bien sûr, personne ne pense qu’ils doivent être dorlotés ou quoi que ce soit de ce genre, mais malgré tout la majorité ne pensait pas que nous devions être ceux qui doivent les punir.

« Mais dire qu’il n’y avait pas des personnes qui ont pris un petit peu de ce travail [de punition] dans leurs mains ? Certainement il y en avait. Mais ce que j’ai vu, au moins de mes yeux, était réellement à petite échelle. La plupart du temps, quand les détenus ne se tenaient pas tranquilles, ou quelque chose comme cela. Et parfois pour aucune raison, je ne sais pas, j’appellerais cela des personnes instables qui essaient de faire sortir leur agressivité. Mais pas vraiment de choses extrêmes. Pas des choses dont je dirais qu’elles m’ont bouleversé.

Pouvez-vous donner un exemple ?

«  Alors, parfois, dans la zone d’arrivée, il y avait des gens qui brusquement poussaient quelqu’un qui n’avait rien fait, ou frappaient quelqu’un qui ne se tenait pas tranquille. C’était d’habitude les soldats qui les avaient amenés du terrain. J’ai vu des choses comme des gifles, humilier des gens, pousser quelqu’un sur le sol et ensuite lui dire de s’asseoir même s’il avait été assis avant. Mais il n’y avait jamais un ordre d’en haut de se comporter comme cela, c’était seulement des personnes spécifiques qui se sentaient à l’aise de le faire.

Est-ce que c’était des événements exceptionnels?

« Maintenant que vous parlez de cela, je me souviens d’une histoire avec un tiyulit. Il y avait des soldats qui les ont jetés de là. »

Jetés ?

« Au lieu de les faire descendre par les marches, ils les ont simplement tirés en dehors, de la hauteur du véhicule. Jusqu’au sol. »

Est-ce qu’ils étaient attachés et les yeux bandés ?

« Oui. Menottés. Peut-être aussi les jambes attachées. Ils sont juste tombés, comme une pierre. »

Est-ce que quelqu’un a été blessé ?

«  À mon avis, oui. Une personne a été blessée là ».

Je me suis reposé sur l’idée que le système en haut sait ce qui doit être fait et pourquoi ils avaient besoin de moi là. J’ai confiance dans l’armée. Et tout ce que j’ai vu à Sde Teiman m’a semblé, au total, très logique, vu les circonstances. 

Est-ce que quelqu’un a été puni pour cela ?

« Pas que je sache. Dans les jours qui ont suivi, on nous a dit que ce n’était pas ok. Les commandants de l’établissement ont dit que nous devions nous assurer que cela ne se reproduirait pas. »

Est-ce que vous avez eu des dilemmes pendant votre service là-bas ?

« Je suppose qu’il y en a eu, je ne me rappelle pas exactement. Mais comme j’ai dit, je suis allé faire le travail sans y penser trop. Je comptais sur l’idée que le système en haut sait ce qui doit être fait et pourquoi ils avaient besoin de moi là-bas. J’ai confiance dans l’armée. Et tout ce que j’ai vu à Sde Teiman m’a semblé, au total, très logique, vu les circonstances ».

R., étudiant et réserviste de Tel Aviv

« J’ai été appelé avec mon bataillon le 11 octobre. Pendant presque deux mois nous avons protégé des communautés. Nous sommes retournés en service de réserve en avril et soudainement nous avons été informés que nous étions envoyés à Sde Teiman. C’était vraiment bizarre dans un délai aussi court. Un ami de la compagnie qui est impliqué dans le quartier général des bataillons a dit qu’ils nous avaient balancé cela au dernier moment pour que nous n’ayons pas le temps de le digérer. Je pense qu’ils voulaient empêcher des objections.

« Quand nous sommes arrivés, le commandant de l’établissement, un membre de la police militaire avec le rang de lieutenant colonel, nous a immédiatement fait un discours.Il a dit que c’était « une tâche très importante, qui est difficile et pleine de défis ». Il a dit qu’ils observent toutes les conditions [légales], qu’ils « fournissent tous les services médicaux et la nourriture avec le nombre requis de calories », et que « tout est fait selon la loi ». Il a dit qu’il était soumis à des contrôles et qu’il se trouvait sous une supervision étroite. Il nous a dit que ses soldats étaient très disciplinés et que nous n’étions pas supposés avoir une interaction quelconque avec les détenus. À la fin, il est encore revenu sur le fait que tout là-bas était approprié et légal.

« Quand vous arrivez dans le camp, la première chose qui vous frappe est l’odeur. L’endroit pue vraiment, d’une manière extrême. Quand il y a un peu de vent, peut-être il est possible de changer de position un petit peu pour éviter [l’odeur]. Mais à proximité c’était intolérable.

Qu’est-ce que cela sent ?

« Comme l’odeur de dizaines de personnes qui sont restés assises, proches les unes des autres, pour plus d’un mois dans les mêmes vêtements et dans une chaleur démente. Ils les laissaient se doucher pendant quelques minutes environ deux fois par semaine, mais je ne me rappelle pas avoir jamais vu qu’ils changeaient leurs vêtements, en tout cas pas pendant mes gardes.

« Je suis arrivé là-bas dans l’état d’esprit d’un soldat. Faisons notre temps de service, sans poser de questions et ensuite rentrons à la maison. Mais deux incidents se sont produits à la suite desquels je n’ai pas pu continuer plus longtemps.

« Le premier était dans l’un des enclos. Des types sont venus de la force d’escorte, qui à mon avis étaient des réservistes de la police militaire. Ils sont arrivés comme des vedettes avec des masques de ski, et ont sorti trois ou quatre détenus. Ils les ont fait marcher penchés, menottés et avec une flanelle sur le visage. Chacun d’eux tenait la chemise de la personne devant lui. Et ensuite brusquement j’ai vu l’un des officiers de police, juste à l’entrée de l’enclos, prendre la tête du premier détenu et « boom » il l’a écrasée avec force dans une partie métallique de la porte. Et il l’a encore fait plusieurs fois et lui a dit « Yalla ». Au moment où j’ai vu cela, j’ai eu un vrai choc. C’était simplement juste en face de moi … soudainement j’ai vu quelqu’un à qui il passait par la tête que « Bon, ce n’est pas un être humain. Je peux simplement lui fracasser la tête contre la porte. Juste parce que j’en ai envie ». La façon nonchalante dont il l’a fait m’a sonné. Il n’avait pas l’air en colère ou plein de haine, il a même ri.

J’ai vu quelqu’un à qui il passait par la tête que « Bon, ce n’est pas un être humain. Je peux simplement lui fracasser la tête contre la porte. Juste parce que j’en ai envie ». La façon nonchalante dont il l’a fait m’a sonné.

Est-ce quelqu’un a dit quelque chose ?

« Non ».

Est-ce qu’il y a eu d’autres incidents violents pendant que vous étiez dans cet établissement ?

« Oui, mais ce n’était pas : « Yallah, mettons-les à part ». Et aussi, réfléchissez : c’est toute une procédure [qui demande un effort]. Vous devez prendre le type, obtenir une escorte, ouvrir deux serrures, le sortir, l’amener à un endroit sur le côté — disons sans caméras. C’est dur de faire cela. Donc vous ne le faites pas négligemment.

« Les cas le plus extrêmes surviennent comme conséquence d’autre chose… par exemple, une soldate de la compagnie a dit qu’un détenu l’avait regardée et s’était touché sexuellement. Alors ils ont amené Force 100 qui l’a frappé vicieusement. Il y a eu aussi un cas où Force 100 est venu gérer un détenu qui avait fait un doigt d’honneur à un soldat. Je ne l’ai pas vu, mais les gars étaient assez excités. Quand ils sont revenus de leur garde, ils ont parlé avec enthousiasme du passage à tabac qu’il avait subi. En gros, tout le monde sait où il y a des caméras. Toutes les choses relativement extrêmes qui sont arrivés là-bas étaient dans des zones non couvertes par les caméras.

« Le deuxième incident qui m’a sonné était pendant une garde de nuit à l’hôpital. J’étais assis, je m’ennuyais, avec un officier de la police militaire à l’extérieur, quand un des détenus à l’intérieur a demandé quelque chose ou a crié. L’officier était druze. Je lui ai demandé s’il savait ce qui se passait avec ce détenu. Il a dit que non et m’a demandé si cela m’intéressait. J’ai dit que oui. Alors il est entré dans la tente. »

C’est permis ?

« Absolument pas. Vous n’êtes pas autorisé à leur parler du tout, dans n’importe quelle circonstance, et sur n’importe quel sujet. On nous disait tout le temps ‘Faites attention à ce que vous dites quand vous êtes à proximité d’eux. Ne parlez de rien qui a à voir avec les informations, les gens tués, Rafah … Ils écoutent et ils collectent des renseignements.’ Vous ne pouvez même pas mentionner des noms quand vous êtes près d’eux. Vous vous appelez entre vous par votre initiale.

« Mais quand il n’y a pas d’officiers dans le voisinage, chacun fait ce qu’il a envie de faire. Personne ne fait particulièrement attention à quoi que ce soit. Ce sont les Forces de défense israéliennes … Par exemple, vous n’êtes pas autorisé à avoir un téléphone portable à aucun endroit où il y a une interaction avec des prisonniers. Pendant la journée, personne n’oserait. La nuit, quand il n’y a pas de personnel de rang élevé, des femmes officiers de la police militaire s’assoient et regardent des telenovelas turques pendant toute leur garde. Comment est-ce que la documentation est arrivée de là-bas ? Des soldats avec leurs téléphones.

« En tout cas, l’officier [druze] a parlé avec lui pendant quelques minutes en arabe et à la fin le Palestinien a commencé à pleurer. À sangloter frénétiquement. Alors l’officier est sorti, ricanant à moitié, essayant de ne pas rire. Il a dit que le gars parlait de sa vie à Gaza, de son travail, de sa famille. Il a dit qu’il était allé rendre visite à son frère qui était hospitalisé à l’hôpital de Shifa et qu’il avait été arrêté là-bas. Quand j’ai demandé : ‘Mais pourquoi est-ce qu’il pleure ?’, l’officier a dit : ‘Ah, sa femme, ses enfants, sa famille lui manquent. il ne sait pas ce qui leur est arrivé’.

« Je ne sais pas pourquoi l’officier riait. Peut-être c’était de l’embarras, peut-être il était méprisant, et ne croyait pas à cette histoire. Mais à la fin de la garde, quand j’étais sur le point d’aller dormir… Boom ! Mes pensées ont commencé à galoper. J’étais assis sur mon lit et pendant des heures j’ai cherché sur google les lois relatives à l’incarcération de combattants illégaux. J’ai fait une session sur ChatGPT et j’ai posé des questions sur les crimes et les règles de la guerre. Le jour suivant, j’ai réalisé que je ne pourrais pas continuer là-bas plus longtemps. »

Qu’est-ce qui était si dramatique dans ce moment ?

« L’histoire du détenu et le fait qu’il commençait à pleurer à la fin. C’était une manifestation très humaine et surprenante après toute la préparation et les choses qu’ils vous disent là-bas. Ils n’arrêtent pas de vous mettre dans le cerveau que vous devez vous déconnecter. Que ce ne sont pas des gens. Que ce ne sont pas des êtres humains ».

Qui a dit des choses comme cela ?

«  Les gars, le commandant de la compagnie, les officiers, tout le monde. Vous savez, il y avait une femme officier qui nous a donné un briefing le jour de notre arrivée. Elle a dit : ‘Ce sera dur pour vous. Vous voudrez avoir pitié d’eux, mais c’est interdit. Rappelez-vous que ce ne sont pas des gens. De votre point de vue, ce ne sont pas des êtres humains. La meilleure chose à vous rappeler c’est qui ils sont et ce qu’ils ont fait en octobre’.

« Jusque là j’avais vu des reportages [à la télévision], des choses qu’ils ont dit aux informations sur l’endroit. J’ai aussi vu des vidéos de Gazaouis relâchés qui parlent de ce qui se passe là. Mais brusquement, quand vous y êtes, ils deviennent des personnes réelles. Vous notez à quel point il est facile de perdre votre humanité, à quel point il est facile de sortir des justifications pour traiter les personnes comme s’ils ne sont pas des personnes. C’est comme dans le film « La Vague » [un film de 1981 sur un enseignant de lycée qui fait une simulation avec ses élèves pour voir avec quelle facilité on peut leur faire perdre leur humanité]. Seulement c’est devant vous et pour de vrai. C’était fou de voir comment cela arrive.

H., 27, ans étudiante et réserviste

« J’ai été commandante d’escadron de nouvelles recrues dans l’armée régulière et j’ai été libérée de mon service il y a environ six ans. Je n’ai jamais été rappelée pour le service de réserve, jusqu’en mai où j’ai reçu par SMS un ordre de mobilisation d’urgence, « pour une tâche importance dans le Corps de la police militaire ». Sans plus d’explications. J’ai compris par des amis que nous étions mobilisés pour garder des détenus, pour raison sécuritaire.

« Je suis arrivée là-bas et on m’a donné un numéro. Je me suis assise dans l’enceinte d’attente, sous un auvent avec des tables sur lesquelles il y avait du popcorn, des granités au café et de la barbe à papa. Il y avait de la musique en fond sonore, comme à un festival. Il y avait plein de monde et il faisait horriblement chaud. Dans l’intervalle, j’entendais les conversations autour de moi. Plusieurs personnes ont dit qu’ils avaient l’intention de frapper les détenus ou de cracher dans leur nourriture. Des gens bien, que je connaissais, parlaient d’être cruels ou violents envers ces gens, comme s’ils parlaient de quelque chose de banal. Personne autour n’a protesté ou ne s’est tortillé inconfortablement. Personne n’a parlé de la loi ou du rôle des autorités.

« La déshumanisation m’a effrayée. Je ne pouvais pas comprendre comment un groupe de jeunes gens qui étaient autour de moi chaque jour subissaient un tel processus dangereux en si peu de temps. Bien sûr je comprends la peine et la peur qui m’ont aussi accompagnée depuis octobre, mais je ne pensais pas qu’elles réussiraient à déformer à cette échelle le concept de réalité des gens autour de moi. Je me suis sentie l’obligation de documenter ce que j’ai entendu. J’ai sorti mon téléphone et j’ai commencé à transcrire tout ce que j’entendais [ce qui suit est un extrait de sa transcription, qu’elle a intitulée] : ‘témoignage du 2 juin 2024 : rappel de réserve de femmes commandantes d’escadron à la police militaire. Conversation alentour : ‘Nous les frapperons avec des matraques’. ‘Je veux juste leur cracher dessus’. ‘Comment prévoyez-vous de frapper des terroristes ?’. Je pense que c’est une mission, une tâche.’ ‘Pourquoi est-ce qu’ils méritent même des conditions comme celles-ci ?’ ‘La vérité, c’est que je suis entre deux jobs et qu’un billet en fait me convenait bien’. ‘Est-ce que tu veux vraiment faire cela ?. Oui, je veux de l’argent’, avec un clin d’oeil. 

« Donc, nous nous sommes assis pour le briefing. Un officier de police militaire sympathique est entré et a commencé à parler : ‘Vous vous demandez probablement ce que vous faites ici. Nous sommes la police militaire. Notre tâche urgente, ce sont les détenus ennemis’. Il a détaillé combien avaient été mis en détention et dans quels établissements ils avaient été emmenés et ensuite il a insisté : ‘Il est important que vous compreniez que, pour le retour des otages, nous devons retourner des prisonniers, donc vous les retenons pour les transactions. En ce moment, ils sont un atout stratégique des Forces de défense israéliennes’.

« Quand les questions et les objections ont commencé, il est devenu plus rude. ‘Vous êtes tous ici par un ordre d’urgence. Vous devez servir pour ce travail. Je suis ici pour faire le médiateur pour vous. Jusqu’au mois dernier, il n’y avait ni granité ni popcorn ici. Des personnes ont été appelées, bien sûr et on leur a dit : Shalom, vous allez servir de gardiens de prison pour un temps indéfini’.

 « Quelqu’un a demandé : ‘Comment pouvez-vous appeler des filles pour une tâche comme celle-là ?’ [Voulant dire] à cause du harcèlement et tout cela. L’officier a répliqué qu’ils étaient menottés, avec de flanelle sur les yeux, dans une cage avec des barreaux. ‘En d’autres termes, vous n’avez aucun contact direct avec eux’. Une des participantes a dit : ‘Ce qui me gêne est que moralement, je ne me vois pas moi-même leur apporter de la nourriture. Je ne peux pas m’imaginer m’occuper de leurs besoins’.

« L’officier a répliqué : ‘Selon le droit international nous sommes obligés de leur apporter une certaine quantité de nourriture. Après tout, l’armée pouvait simplement les tuer. Mais l’armée a besoin d’eux. Et ne vous inquiétez pas, ce n’est pas comme s’ils étaient chouchoutés ici ».

L’officier a répliqué : ‘Selon le droit international nous sommes obligés de leur apporter une certaine quantité de nourriture. Après tout, l’armée pouvait simplement les tuer. Mais l’armée a besoin d’eux. Et ne vous inquiétez pas, ce n’est pas comme s’ils étaient chouchoutés ici.

« Il a continué à nous ‘rassurer’ sur le fait que nous ne serions pas du tout en situation de danger. ‘Si, disons, les prisonniers veulent se quereller entre eux, pour autant que nous soyons concernés, ils peuvent se frapper et se tuer mutuellement. Nous n’interviendrons pas et nous ne mettrons en danger aucun d’entre nous’.

« À la fin, il a dit : ‘Rappelez-vous que c’est une mission morale, et une importante mission, et que l’armée a besoin de vous. Et aussi, parce que c’est un ordre d’urgence, vous serez payés et quiconque veut continuer après ce mois-ci recevra pas mal de subventions et des avantages. Cela paie réellement.

« Je suis revenue chez moi effrayée. On offrait à la sorte de discours que j’ai entendu dans des conversations informelles une plateforme militaire officielle. Cela m’a effrayée que l’officier ne réponde pas clairement à ce discours déshumanisant. Rencontrer des concepts tellement dangereux, qui sont devenus normaux dans notre société, était un traumatisme pour moi. Il était clair pour moi que je ne serais pas capable de prendre part à cela et je suis sortie du service de réserve avec l’aide d’un psychiatre.

A., étudiant et réserviste de Beer Sheva

« J’ai été appelé pour le service de réserve en octobre, j’ai combattu à Gaza et j’ai été libéré en janvier. En mai j’ai été volontaire pour une autre période de service de réserve, à Sde Teiman. J’ai vu une annonce sur Facebook disant que des soldats étaient demandés en soutien et il était dit qu’il y avait des gardes de jour et que le travail pourrait être approprié pour des étudiants, aussi. Donc j’y suis allé, principalement pour la paie. Je voulais aussi être là, un petit peu. Des amis à moi sont morts à Nova, et j’étais curieux de voir de près les personnes qui avaient fait cela.

« Il se trouve que j’ai servi là-bas avec quelques bataillons de réserve et vous pourriez dire que la plupart des soldats n’aimaient vraiment pas le job. À cause de cela, il y avait une énorme pénurie de main d’oeuvre et ils avaient besoin de personnes comme moi — des personnes qui venaient pour compléter les gardes.

« Je suis arrivé là-bas avec beaucoup d’appréhension. J’avais lu des choses dans les journaux et il y avait aussi la peur du lieu lui-même. Après tout, vous gardez des terroristes, des assassins, à un mètre de distance ; et ils savent aussi comment se battre. Mais c’était seulement pendant les premiers tours de garde. Avec le temps vous vous habituez et en général je ne ressentais pas un sentiment de vraie peur sur le terrain.

« J’ai fait des gardes dans les enclos et dans les hôpitaux. Aucune plainte sur le personnel médical. Ce sont des anges. Savez-vous ce que c’est que de changer une couche pour un terroriste et d’essuyer son derrière ? Et ils le faisaient avec une certaine dignité et sans humiliation. Parfois il y avait quelques rires à propos des patients ou ils les traitaient de plusieurs noms, peut-être insultants. Mais en général ils faisaient un sacré travail.

« Pendant que j’étais là, ils les ont déplacés dans un nouvel établissement. Six grandes tentes, avec un revêtement de sol et de l’air conditionné. Et ils ont apporté plein de nouveaux équipements. J’ai compris qu’ils avaient fait cela parce qu’il y avait eu quelques critiques à cette époque, plus le temps passait, plus cela devenait modéré là-bas. Il y a eu des discussions par exemple dans les briefings avant les missions, selon lesquelles ‘on avait eu l’habitude de les punir en les faisant rester debout avec les bras levés’, mais que ce n’est pas légal ou quelque chose comme cela.

« À cause de la pression de l’extérieur, il y avait une peur constante des fuites, des médias. Tout le temps, ils nous ont dit de parler aussi peu que possible. Du genre, ce qui arrive à Sde Teiman reste à Sde Teiman. C’est l’atmosphère. Prendre des photos est tabou. Ils ont dit que c’était très sérieux et que si des photos fuitaient, ils amèneraient la Division d’investigation criminelle de la police militaire.

« Eux [les détenus] étaient assis seulement sur leur tapis de sol et tout le temps avec des menottes et les yeux bandés. Et vous saisissez ce que cela leur fait. Vous voyez absolument la différence entre les nouveaux arrivants et ceux qui ont été là pendant des semaines. Les gens perdent la tête dans de telles conditions. J’ai fait une expérience à la maison, avec de l’air conditionné, sur le tapis. Je voulais vérifier. Je suis resté assis avec un mouchoir sur la tête, sans menottes et sans avoir faim. Seulement avec un bandeau sur les yeux et une montre qui sonnait au bout d’une heure. Après dix minutes, j’avais l’impression de vouloir mourir. Après encore 10 minutes, j’ai craqué.

 « Imaginez cela, jour après jour, une semaine, un mois. J’ai le sentiment que parce que l’État a peur qu’ils ne retournent à Gaza un jour, ils ont décidé d’en faire des zombies. Ils ont pris ces gens et ils ont décidé de les bousiller au point où, dans 50 ans, quand ils marchent dans la rue à Gaza, les gens vont les pointer du doigt en disant : ‘Tu le vois, ce pauvre type … il y a de longues années, il a décidé d’attaquer Israël.’

« Je crois que la plupart des gens qui étaient là n’étaient pas des gens bien. Ce n’est pas sans raison que l’armée est venu les arrêter. Mais ici il y a aussi juste quelqu’un du Hamas chargé de l’approvisionnement, ou un commis. Et il y avait aussi des gens innocents, spécialement au début, quand la classification sur le terrain était moins méticuleuse. Je ne comprends pas la logique de garder des gens dans des conditions comme celles-ci. Ce n’est pas une punition : la vie là-bas … est une torture quotidienne.

« Dans les briefings on nous expliquait que tout a une raison. Par exemple, parler est interdit pour qu’ils ne passent pas d’information et ne se coordonnent pas entre eux. Le tapis de sol est si fin qu’ils n’y cacheront pas d’armes. La punition — c’est dissuasif. Les menottes — parce qu’ils sont très dangereux. Un officier de police militaire, qui avait l’air d’un vétéran, m’a expliqué une fois que ‘l’armée n’était pas préparée à en prendre des milliers.’ OK. Mais six, sept, neuf mois ont passé et vous n’avez pas trouvé de meilleure solution ? Vraiment ?

Avez-vous été témoin d’irrégularités ?

« Tout dépend de comment vous définissez des irrégularités. Dans ma vie de tous les jours, je ne rencontre pas un tel degré de violence, de jurons et d’humiliation. Donc, oui, chaque minute là-bas est irrégulière. À un niveau personnel, je suis passé par un événement là-bas qui a changé toute mon attitude vis-à-vis de l’endroit.

« C’était pendant une de mes premières gardes. J’étais assis dans le kiosque du camp, pendant une pause entre deux périodes de travail quand un officier de la police militaire avec une matraque en caoutchouc est arrivé et a dit : ‘Viens avec moi, nous devons gérer quelqu’un qui fait du grabuge’. Je l’ai accompagné avec un autre soldat et nous avons sorti un détenu, qui avait à peu près 40 ans. Il avait une jambe bandée et il boitait un peu. Nous l’avons emmené sur un côté de l’enclos, dans une zone que vous ne voyez pas vraiment et l’officier de la police militaire l’a frappé quatre fois sur le dos avec la matraque et en faisant cela il lui criait dessus : ‘Reste tranquille ! À partir de maintenant uskut [‘reste tranquille’ en arabe]’.

Le Palestinien levait les mains et essayait de protéger l’arrière de son cou, même si la matraque n’atterrissait pas là. Et ensuite, pendant qu’il était frappé, il a déplacé par erreur le bandeau et c’est tombé sur son cou. Cela a énervé l’officier qui a commencé à le frapper encore plus durement. Le Palestinien est tombé au sol, comme s’il abandonnait, qu’il n’avait plus de force pour se tenir debout et qu’il s’était simplement écroulé. Et alors il a commencé à crier, en arabe ‘Laish ? Laish ? – Pourquoi ? Pourquoi ?’. Et du sol, pendant qu’il essayait peut-être de se protéger avec les mains, il m’a brusquement regardé.

« Il m’a regardé dans les yeux et a supplié ‘Laish ? Laish ?’ Ses yeux étaient bruns et grands et ils sortaient des orbites à cause de la douleur. Ses veines gonflaient, il était rouge et il souffrait visiblement. Je me tenais là, choqué. Jamais de ma vie, je n’avais vu un regard comme cela. Les cris ont un peu stressé l’officier de la police militaire, donc il l’a maudit et il a craché sur lui. Et ensuite il a été ramené dans l’enclos.

« L’événement m’a vraiment secoué. Je suis resté à Sde Teiman après, c’est vrai, mais beaucoup moins enthousiaste, beaucoup moins heureux. »

Avez-vous participé au passage à tabac ?

« Je préfère ne pas répondre. Et pas nécessairement pour la raison qui pourrait sembler évidente. C’était une situation irrégulière pour moi et je veux vraiment l’oublier. Mais ce n’était pas irrégulier pour l’endroit. Parfois un soldat donne une raclée à quelqu’un sans aucune raison. Beaucoup d’autres choses arrivent. Les gens s’autorisent [à faire des choses], particulièrement dans des endroits où il n’y a aucune supervision. Ou il y a eu des cas où les gens en arrivaient à tabasser quelqu’un pour se venger [du 7 octobre]. Ou … est-ce que …je ne sais pas si je dois l’appeler ainsi … les gens sont sadiques.

Vous voulez dire quoi ?

« Si la définition d’un sadique est quelqu’un qui aime causer de la souffrance à un autre, alors je peux donner des exemples à tous les niveaux. Un soir j’étais de garde dans le camp de prisonniers. Il y avait là-bas un bataillon de réserve, des vétérans qui faisaient beaucoup de barbecues et écoutaient de la musique dans la zone de repos. La tente était assez loin du camp, mais l’odeur flottait parfois dans l’air, et aussi la musique. Donc je sentais la viande quand j’étais à mon poste de garde ; je pouvais voir que les détenus la sentaient dans l’air, eux aussi. Je pense qu’ils étaient assez tourmentés par cela. Quand j’ai fini ma garde, je suis passé par la tente et un des gars m’a demandé si je voulais de la pita avec un kebab. Je lui ai dit que je ne me sentais pas à l’aise avec cela, il y avait des gens affamés si près. Il a fait une grimace. Comme si j’étais bien-pensant, un moraliste. Et ensuite il a souri : ‘Pourquoi ? Pour moi, cela a bien plus de goût comme cela, quand ils souffrent’.

« C’est clair pour moi qu’ils ne méritent pas de la viande. Et si j’avais su qu’ils avaient suffisamment de nourriture, même de la nourriture merdique, mais qu’ils n’étaient pas affamés, cela aurait été différent. Comment est-il possible de jouir de la nourriture quand vous savez que quelqu’un d’autre est affamé ? Même si c’est votre pire ennemi.

« À l’autre bout de l’échelle, il y avait des gens là-bas qui y allaient pour évacuer leur colère. Qui est volontaire pour servir là-bas ? Seulement ceux qui apprécient vraiment de frapper des Arabes. Je les ai vus tirant des gens des véhicules, toujours avec violence, des jurons, des crachats. Ils portent des uniformes tactiques, des gants, des masques et tout cela — toute la fanfaronnade macho de types gonflés à bloc. Là-bas il y a aussi ce truc d’avoir l’air effrayant et menaçant devant les détenus. En fait, nous parlons de gens frustrés. Ils fanfaronnent, mais ce n’est pas qu’ils combattent dans des tunnels ou font exploser des bâtiments à Rafah. Ils affrontent des gens menottés et affamés. Ce n’est pas très difficile d’être forts avec eux. Alors, bon, je ne suis pas un expert sur le terrain et je n’ai pas étudié la psychologie, mais oui, j’ai vu des sadiques là-bas. Des gens qui aiment causer des souffrances à d’autres..

Ils affrontent des gens menottés et affamés. ce n’est pas très difficile d’être forts avec eux. Alors, bon, je ne suis pas un expert sur le terrain et je n’ai pas étudié la psychologie, mais oui, j’ai vu des sadiques là-bas. Des gens qui aiment causer des souffrances à d’autres.

Comment les autres soldats réagissent-ils à cette situation?

« [Avec des réponses comme :] ‘Tu sais qui ils sont et ce qu’ils sont’, vous savez, les excuses usuelles : ‘ils l’ont cherché,’ ou ‘c’est nécessaire, parce que c’est une guerre’.

« Je sentais qu’il y avait de l’aveuglement là-bas par choix, parce que c’était le moyen de vivre avec la dissonance que crée l’endroit. C’est vraiment mis en évidence par le double sens que les mots ont. Vous dites une chose et tout le monde comprend exactement le sens additionnel. Par exemple, quand vous dites de prendre quelqu’un ‘à part’, c’est évident pour tout le monde que l’intention est de les mener hors du champ des caméras.

Ou dans l’une des fouilles de Force 100, ils ont choisi un détenu et l’ont pris à part dans un coin. Quand ils en sont arrivés à l’allonger sur le sol, brusquement l’un d’eux a dit : ‘Hé ! Est-ce que tu me résistes ?’ Et immédiatement tout le monde autour a commencé à donner des coups de pied, des coups de poing et à crier : ‘Il résiste’.

« Je me tenais là et je voyais exactement ce qui se passait. Il n’ a pas résisté du tout. Il a été jeté sur le sol, il a essayé de protéger sa tête, son visage, avec ses mains, de se mettre en boule. Et ils continuent. Il était clair pour n’importe qui se tenant là qu’il ne résistait pas réellement. Parce que ce qu’était la réalité. Mais après coup, quand j’ai parlé avec un soldat qui était là et a tout vu, il a justifié le passage à tabac et il a dit : ‘C’est ce qu’on doit faire à un détenu qui résiste’. Je suis resté silencieux. J’ai compris qu’il était aveugle à la vérité, par choix.

« Ils nous amenaient un prisonnier en disant : ‘Il est dangereux’. Et vous savez, cette affirmation, qu’il est dangereux, n’a aucun sens. Et même s’il l’est. Qu’est-ce qu’il va faire ? Ses mains et ses jambes sont déjà attachées et même ainsi il est placé dans la rangée du devant dans le hangar. J’ai compris que ce mot — ‘dangereux’— est comme un indice. Comme s’ils nous disaient que plus tard, il sera possible de le frapper sauvagement. Et c’était comme cela, aussi.

« Au fait, vous n’êtes plus autorisé à dire ‘prison’. À un certain stade, ils ont dit que ce n’était pas politiquement correct et qu’à partir de ce moment, nous devions dire ‘établissement d’incarcération’. Mais c’était seulement vers la fin.

« Rétrospectivement, c’était légèrement naïf de penser que si j’allais faire des gardes à Sde Teiman, je serais capable de comprendre quelque chose aux Nukhbas et à ce qu’ils ont fait en octobre. Je ne les imaginais pas avec des cornes vraiment, mais je pensais que je rencontrerais une haine extrême, une idéologie. À la fin, c’étaient juste de simples personnes méprisables, mais quand même, des êtres humains.

« Cela prend du temps de digérer les choses. Plus j’ai eu de la distance avec l’endroit, plus mes yeux se sont ouverts. Ce qui m’a perturbé le plus est de voir avec quelle facilité et quelle rapidité des gens ordinaires peuvent se déconnecter d’eux-mêmes et ne pas voir la réalité juste devant leurs yeux, quand ils sont au milieu d’une situation humaine choquante.

Y., une femme membre de l’équipe médicale

«  J’ai récemment achevé une période de travail à l’hôpital de Sde Teiman. J’y suis allée après un appel de l’armée aux hôpitaux il y a quelques mois pour trouver des gens afin de doter le site en personnel. Cela m’a accrochée comme citoyenne et comme mère d’un soldat qui était à Gaza. Donc quand l’appel est arrivé et que c’était décrit comme une ‘mission nationale’, j’ai dit oui. Sans savoir quoi que ce soit sur l’endroit ou la mission. Les premières vingt-quatre heures là-bas n’ont pas été faciles. [Mais] je n’ai pas pensé que je serai en état de choc.

Qu’est-ce qui vous a autant surprise?

« L’endroit était totalement inimaginable. Je n’avais jamais envisagé quelque chose comme cela. Ma première pensée a été : ‘qu’est-ce que j’ai fait ?’ Mais ensuite je suis entrée dans le travail. Le matin suivant, j’ai respiré un grand coup et je me suis dit : ‘Ok, je sais comment traiter des gens, l’objectif est clair — nous devons fournir un traitement pour obtenir des informations. Ils [les détenus] ont des informations qui peuvent aider à protéger mon fils. Ils ont des informations qui peuvent sauver les fils d’autres personnes’. J’ai décidé que je ferais du mieux possible. Comme je fais partout.

« L’établissement est géré en grande partie par le ministère de la Santé, parce qu’il n’y a pas d’autre option. Le 7 octobre, ils [le personnel du Hamas qui était blessé] ont été emmenés dans divers hôpitaux, mais ensuite La Familia [un groupe ultra-nationaliste de Jérusalem] s’est présenté et a fait du grabuge, il y a eu des menaces et c’était difficile de fournir un traitement. Aucun directeur d’hôpital ne veut ce genre de trouble.

Je ne sais pas ce qui s’est passé à Sde Teinam pendant les premiers mois, avant que je n’arrive là-bas. Mais apparemment, à cause de toutes les critiques, le premier hôpital de campagne a été déplacé vers un nouvel établissement, plus grand et équipé avec de l’air conditionné. Chaque matin nous arrivions pour aider aux procédures, aux traitements, aux suivis. Des cas urgents étaient aussi amenés pendant l’après-midi et la nuit. Parce qu’il n’y avait pas beaucoup de réponse [du personnel médical, pour servir dans ce site], la majorité de l’équipe consistait de réservistes assez vieux. Certains avaient même 70 et 80 ans. Ils sont plus compétents et mentalement plus résistants.

« Rien de compliqué n’est fait là-bas, c’est fait seulement dans d’autres hôpitaux. Ce que cela veut dire, c’est que si quelqu’un [amené de Gaza] est opéré, alors après quelques heures de récupération, s’il ne saigne pas et qu’il n’a pas une tension élevée, etc, il sera amené immédiatement chez nous, même si c’était au milieu de la nuit. Et ils essayaient très fortement que les médias n’en entendent pas parler ; ils entrent et ils sortent rapidement.

« Chaque jour ils ont des légumes, une protéine et un additif alimentaire deux ou trois fois par jour dans une sorte de bouteille. La plupart prennent leur nourriture avec les doigts et boivent dans la bouteille avec une paille, ou tiennent le légume. Ceux qui ne pourraient pas, quelqu’un du personnel les aidait.

Et les couches ?

«  Pour ceux qui en avaient besoin. Ceux qui pouvaient gérer avec un pot en utilisaient un ; sinon, alors une couche. Je ne sais pas pourquoi les médias ont rapporté qu’ils avaient une sonde. Ce qu’ils avaient n’étaient pas une sonde, c’est une chose externe, comme un préservatif avec un trou et un tube qui est connecté à un sac. En termes de confort, c’est préférable. Si vous restez couché avec une couche humide, ce n’est pas plaisant. C’est utilisé dans une situation où le prisonnier ne peut pas aller aux toilettes. Ceux qui pouvaient urinaient dans une bassine, comme dans un hôpital.

« Les conditions là-bas [dans le camp] ont été décrites comme de la torture. Peut-être. En beaucoup de sens, oui, je suis d’accord avec cela. Peut-être même une torture démente. Mais je n’ai pas les outils pour juger. Je n’ai pas les connaissances sur le sujet. Je peux parler des soins médicaux et le traitement là-bas est bon. Quand il y a eu des articles disant que tous leurs membres étaient entravés — ok, qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? Même avant octobre, chaque fois qu’un terroriste nous était amené pour un traitement dans un hôpital [ordinaire], il arrivait menotté. Donc je ne comprends pas ce qu’il y a de nouveau. »

Est-ce nécessaire ?

« Je n’étais pas là pour juger. C’est la réalité que j’ai rencontrée. Une fois par jour, la personne de service venait à l’hôpital vérifier qu’aucune des menottes n’était trop serrée. Que cela ne cisaillait pas la chair. Il y a une vérification chaque jour pour voir qu’il y avait de l’espace, qu’au moins deux doigts pouvaient passer sous chaque menotte.

Je ne savais absolument rien sur mes patients, même ceux qui étaient là longtemps. On nous donnait un numéro de prisonnier. Quand je suis retournée travailler comme d’habitude dans mon département, après une période à Sde Teiman, j’ai été heureuse. Quelle joie de connaître les noms de mes patients.

Je n’ai rien vu et si j’avais vu quelque chose, je l’aurais probablement dit à ceux au-dessus de moi. Parce que je n’aurais pas été capable de le supporter. Pas à cause d’eux : ce sont des terroristes et je n’ai aucune pitié pour eux. À cause de nous, parce que quand nous nous comportons comme cela, cela nous blesse.

Ont-ils les yeux bandés tout le temps ?

«  Oui. C’est une décision militaire, pas médicale. Et … une fois j’ai demandé pourquoi et on m’a dit que ces personnes sont dangereuses et qu’eux [les autorités militaires) ne veulent pas qu’ils voient les personnes de l’équipe.

Il y a eu des témoignages sur des actes de violence brutale dans l’établissement de détention. Est-ce que vous avez reçu des gens dont les membres étaient brisés, mais pas sur le champ de bataille ?

«  Non, je n’ai jamais vu … au-delà de… non. Jamais. Je ne sais pas non plus d’où ils ont été blessés avant d’arriver chez nous. Ce n’est pas mon job. »

Des dents cassées, des contusions sévères ?

“Non. Rien. Pas question. Non seulement je n’ai rien vu, je n’ai même rien entendu non plus. Et si de telles choses s’étaient produites, j’aurais été choquée. Peut-être les choses étaient différentes avant que je n’arrive. N’oubliez pas le 7 octobre et les deux à trois mois qui ont suivi. Ce n’est pas la situation aujourd’hui. Je crois qu’il y avait une très grande colère. Un traumatisme. Mais quand j’étais là, je n’ai rien vu et si j’avais vu quelque chose, je l’aurais probablement dit à ceux au-dessus de moi. Parce que je n’aurais pas été capable de le supporter. Pas à cause d’eux : ce sont des terroristes et je n’ai aucune pitié pour eux. À cause de nous, parce que quand nous nous comportons comme cela, cela nous blesse. Nous devons penser à nous-mêmes, seulement à nous-mêmes.

Dean Teplitsky a aidé à rassembler ce reportage d’investigation.