“Mon fils a pleuré de faim toute la nuit” : les autorités israéliennes font mourir de faim les enfants palestiniens

Un enfant palestinien attend qu’on lui donne de la nourriture à un lieu de distribution alimentaire à Beit Lahia, dans le nord de la Bande de Gaza, le 18 juillet 2024, dans le contexte du génocide israélien qui se poursuit (Photo : Omar AL-QATTAA / AFP)

Ramallah, 24 juillet 2024—“Il n’y avait pas de lait pour bébé à cause du siège israélien, et il n’y avait pas de lait dans mes seins à cause de la malnutrition et des obstacles apportés à l’entrée de l’aide”, a dit à Defense for Children International – Palestine la mère d’Anwar Al-Khudari, trois mois, de Al-Shujaiya, à l’est de Gaza Ville.

« J’ai été déplacée à l’hôpital Al-Shifa, ainsi que mon mari et mon fils unique, Anwar”, a-t-elle continué.

Le petit Anwar est mort de malnutrition à l’hôpital Kamal Adwan le 14 février.

“Mon fils a pleuré de faim toute la nuit. Sa température est montée et il s’est mis à avoir des convulsions. Il est décédé quatre jours après », a dit la mère d’Anwar. 

Anwar Al-Khudari, trois mois

Anwar compte au nombre de plusieurs dizaines au moins d’enfants palestiniens morts dans la Bande de Gaza à cause de la malnutrition et de la déshydratation au cours de ces derniers mois.

Les autorités israéliennes refusent systématiquement aux enfants palestiniens de Gaza l’accès à une alimentation et à une nutrition appropriées, exacerbant ainsi la faim et la malnutrition. Cette privation délibérée entraîne de graves problèmes de santé, des retards de croissance et un accroissement alarmant de la mortalité infantile. Le blocus et les restrictions de l’aide humanitaire pendant le génocide israélien créent une crise humanitaire et perpétuent la souffrance de toute la population de la Bande de Gaza. 

“De jeunes enfants palestiniens meurent de faim et dans la souffrance parce que les autorités israéliennes ont délibérément bloqué l’aide humanitaire destinée au nord de Gaza, ce qui constitue un acte de génocide”, souligne Ayed Abu Eqtaish, directeur du programme de responsabilisation à DCIP. “Entre le bouclage de la Bande de Gaza et les attaques incessantes de l’armée israélienne, nous ne pouvons pas mesurer l’étendue réelle de la crise de la faim. Sans un cessez-le-feu et un embargo sur les armes immédiats, mis en œuvre par la communauté internationale, d’autres enfants palestiniens de Gaza mourront de faim.”

Des chercheurs de terrain de DCIP ont recueilli des témoignages de parents d’enfants morts de malnutrition et de déshydratation à l’hôpital Kamal Adwan, dans la ville de Beit Lahia dans le nord de Gaza, en résultat de la campagne génocidaire d’Israël.

“L’hôpital reçoit chaque jour environ 70 à 100 enfants qui souffrent de malnutrition”, indique à DCIP le Dr Husam Abu Safia, directeur de l’hôpital Kamal Adwan. “Il y a trois niveaux de malnutrition infantile : légère, modérée et sévère, et la plupart des cas admis à l’hôpital sont au niveau modéré, tandis que les cas sévères représentent cinq à sept pour cent du total des cas. Ce pourcentage peut augmenter si la privation de nourriture se poursuit et si un approvisionnement alimentaire n’est pas effectué.” 

“La propagation de la faim dans le nord de Gaza et les morts d’enfants qui en résultent, dues à la malnutrition, sont devenues une douloureuse réalité. Plus de 25 enfants sont morts à l’hôpital Kamal Adwan à cause de la faim, des morts supplémentaires ayant été signalées dans des centres d’accueil et des domiciles privés. Souvent, les personnes n’ont pas pu arriver jusqu’à l’hôpital à cause du siège et de l’agression israéliens”, poursuit le Dr Abu Safia.

 Karam Qadadah, 10 ans

“Karam aimait le foot et la photo, il s’était ouvert un compte sur TikTok”, a dit à DCIP la mère de Karam Qadadah, 10 ans. 

Karam a été piégé pendant une semaine avec sa famille à l’hôpital Al-Shifa dans une situation de grave insuffisance d’approvisionnement alimentaire causée par le siège israélien contre l’hôpital. Pendant le siège, l’enfant a reçu l’autorisation d’être évacué de l’hôpital Al-Shifa et a été transféré à l’hôpital arabe Al-Ahli.

L’état de Karam s’est aggravé en raison du manque de nourriture, de traitement médical et d’antibiotiques à l’hôpital arabe Al-Ahli. Sa santé s’est détériorée fortement, avec une perte de poids très importante. Il a alors été transféré à l’hôpital Kamal Adwan.

“Mon fils a été placé dans le secteur des femmes [à son arrivée à l’hôpital Kamal Adwan] parce qu’il n’y avait pas de place pour lui dans l’unité de soins intensifs. Cela a aggravé son état et, plus tard, il a été transféré à l’unité de soins intensifs. Il est mort au bout d’une semaine dans cette unité », a dit la mère de Karam à DCIP.

Karam est mort le 30 mars pour cause de malnutrition et d’un taux élevé de sel dans le sang.

L’hôpital Kamal Adwan et d’autres hôpitaux de Gaza ne sont pas parvenus à recueillir des données exhaustives sur l’étendue de la mortalité infantile due à la malnutrition et à la déshydratation, en raison du génocide qui se poursuit et d’un grave manque de personnel.

Abdulaziz Salem, âgé de sept jours, est mort à l’hôpital Kamal Adwan le 2 mars en raison d’un arrêt cardiaque et d’un manque d’oxygène. Il était né dans le même hôpital sans l’assistance de médecins car le personnel médical était insuffisant. Abdulaziz a passé une semaine en couveuse pendant que sa mère était dans un état critique, souffrant de jaunisse et des conséquences de la malnutrition au cours de sa grossesse.

“Je ne pouvais pas allaiter mon fils parce que je n’avais pas de quoi manger et que je suis tombée malade”, a dit la mère d’Abdulaziz à DCIP. Sa famille est d’Al-Faluja, à l’ouest du camp de réfugiés de Jabalia dans le nord de Gaza ; les membres de cette famille ont été déplacés de force au moins six fois au cours de sa grossesse. 

“Il n’y avait pas d’oxygène ni de lait pour nourrisson dans cet hôpital. Mon fils est mort privé d’air et de nourriture”, a-t-elle dit.

Les hôpitaux dans le nord de Gaza sont en mauvais état parce que les autorités israéliennes privent délibérément les Palestiniens de Gaza de fournitures médicales essentielles, cessent la fourniture d’électricité et limitent l’eau propre nécessaire pour dispenser aux enfants des soins de santé corrects.

Joud Al-Barsh, âgée de sept jours, du camp de réfugiés de Jabalia, est morte elle aussi à l’hôpital Kamal Adwan le 2 mars pour cause de malnutrition, car sa mère ne pouvait pas l’allaiter en raison de sa propre malnutrition. Elle a été placée à la pouponnière de l’hôpital pour une semaine du fait d’un manque grave de lait et de préparation nutritive lactée. 

« Joud est morte de faim, et je reste avec sa sœur jumelle, que DIeu m’a donnée au bout de 10 ans de mariage », a dit la mère de Joud.

“Il y a des centaines d’enfants qui courent le risque de mourir d’inanition, en résultat des restrictions et de la guerre qui perdurent depuis le 7 octobre”, dit à DCIP le Dr Said Salah, pédiatre et chargé des questions de nutrition au ministère palestinien de la Santé à Gaza. « Plus de 3 500 enfants de moins de cinq ans courent le risque d’une mort lente à cause des politiques israéliennes consistant à affamer les enfants et à bloquer l’entrée de l’aide humanitaire [dans le nord de Gaza] pendant deux mois d’affilée.”

Mila Abdulnabi, trois ans

« Je suis infirmière en soins intensifs à l’hôpital Kamal Adwan”, a dit à DCIP la mère de Mila Abdulnabi, trois ans. “Ma fille est morte sous mes yeux et je n’ai pas pu la sauver.”

“Je reprenais le travail ce jour-là [celui de sa mort] et mes collègues ont fermé la porte pour m’empêcher d’entrer. Mais quand je suis entrée, j’ai trouvé ma fille morte et couverte d’un linceul », a-t-elle continué.

Mila Abdulnabi est morte à l’hôpital Kamal Adwan le 2 mars pour cause de malnutrition et d’un manque de potassium et de calcium. 

« Quand l’armée israélienne a envahi la zone nord et nous a privés de nourriture, ma fille a souffert d’une carence en minéraux et elle est restée sous respirateur du 29 février jusqu’au jour de sa mort. Mila était très intelligente, et très attachée à moi car c’était ma seule fille”, a dit sa mère.

Musab Abu Asr, quatre ans

« Musab est devenu un squelette à cause de la famine”, a dit à DCIP la mère de Musab Abu Asr, de Al-Shujaiya, à l’est de Gaza Ville. “Les prix sont terriblement élevés, et personne n’avait les moyens d’acheter quoi que ce soit.”

Musab Abu Asr quatre ans, a été admis à l’hôpital arabe Al-Ahli le 3 février, avant d’être transféré à l’hôpital Kamal Adwan car l’unité de soins intensifs était fermée en raison de coupures d’électricité. Sa santé s’est dégradée et il a perdu du poids jusqu’au jour de sa mort, le 11 février.

“Mon fils Musab était notre premier enfant. Il était intelligent et joyeux au jardin d’enfants. Tous les enseignants faisaient son éloge. Il était sociable et jouait avec ses camarades de classe. Il adorait faire du vélo. Il aimait beaucoup les fraises et les bananes. Il était la joie de mon cœur », a dit la mère.

Nahed Haboush, deux mois

« Mon fils a été admis deux fois à l’hôpital. La première fois, à cause d’accès sévères de pleurs et de déshydratation, et son état s’est amélioré à l’aide de solutions et de traitements”, a dit la mère de Nahed Haboush, deux mois, du camp de réfugiés de Jabalia.

Nahed souffrait d’une dégradation de son état de santé et de déshydratation : il a été placé en unité de soins intensifs où il est resté sous assistance respiratoire pendant trois jours, jusqu’à sa mort, le 3 avril. “Nahed est mort affamé à cause d’un allaitement insuffisant parce que je n’avais pas de nourriture, ou d’un manque de lait pour nourrisson à cause du siège israélien  » a dit sa mère.

Au moins 34 enfants palestiniens sont morts par famine, selon le bureau gouvernemental des Médias. Cependant, le décompte palestinien officiel des morts ne comporte que ceux dont le décès est survenu à l’hôpital ou dont la mort est signalée par leur famille. 

Le black-out des télécommunications, l’effondrement du système médical, l’invasion terrestre israélienne et les bombardements aériens israéliens incessants ont empêché de nombreux Palestiniens d’accéder à des hôpitaux, le nombre de Palestiniens impactés étant pour cette raison supérieur au nombre publié officiellement.

Environ 3 500 enfants courent un risque de mort à cause de la malnutrition et du manque de soins médicaux nécessaires et au moins 40 000 nourrissons n’ont pas reçu les vaccins et rappels nécessaires en suivant un calendrier régulier, selon le bureau gouvernemental des Médias. 

Environ 82 000 enfants ont manifesté des symptômes de malnutrition, selon le même bureau, et plus de 50 000 enfants doivent être traités pour une malnutrition aigüe, selon l’UNRWA.  

Le manque de moyens de transport et d’ambulances, ainsi qu’une pénurie critique de médicaments essentiels, restreint l’accès aux soins de santé. Les femmes sont exposées à des difficultés d’allaitement du fait de carences nutritionnelles, de l’absence d’intimité, du stress et des traumas, situation aggravée par une pénurie de préparation lactée pour nourrissons, une limitation des examens relatifs à la malnutrition, et des incohérences dans la distribution des suppléments nutritifs, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (ONU) .

Les gouvernorats de Gaza-Nord et de Gaza connaissent la famine, et environ 70 pour cent de la population, approximativement 210 000 personnes, sont dans des situations catastrophiques, selon le rapport le plus récent du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC).

La famine est considérée comme un crime contre l’humanité et un crime de guerre aux termes des Conventions de Genève et du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), quand elle est utilisée comme une méthode de guerre ou comme un acte commis délibérément contre une population.

L’Article 8(2)(b)(xxv) -Crimes de guerre- du Statut de Rome de la CPI met en cause le fait d’affamer délibérément des civils comme méthode de guerre en les privant de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l’envoi des secours prévus par les Conventions de Genève.

L’Article 54 du Protocole I additionnel aux Conventions de Genève (Protection des biens indispensables à la survie de la population civile) est ainsi rédigé : “ Il est interdit d’utiliser contre les civils la famine comme méthode de guerre.

Il est interdit d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie de la population civile, tels que des denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d’eau potable et les ouvrages d’irrigation, en vue d’en priver, à raison de leur valeur de subsistance, la population civile ou la Partie adverse, quel que soit le motif dont on s’inspire, que ce soit pour affamer des personnes civiles, provoquer leur déplacement ou pour toute autre raison.”

Le droit pénal international interdit strictement les atrocités les plus graves, notamment les crimes majeurs : crime de génocide, crime d’agression, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, et prévoit la responsabilité pénale individuelle des auteurs. Le crime de génocide implique l’élimination délibérée d’un grand nombre de personnes d’un groupe national ou ethnique dans l’intention de détruire cette nation ou ce groupe ethnique en tout ou en partie. Le génocide peut être le résultat de meurtres ou de la création de conditions de vie si insupportables qu’elles aboutissent à la destruction du groupe. L’utilisation intentionnelle de la famine des civils comme méthode de guerre est, de façon sous-jacente, un acte de génocide, assimilable à un crime de guerre.