Parfois, le dernier jour d’audience n’est pas vraiment le dernier. Le 24 mai, les juges de la Cour suprême israélienne Sohlberg, Baron et Willner rendaient une décision de justice censément….
Parfois, le dernier jour d’audience n’est pas vraiment le dernier.
Le 24 mai, les juges de la Cour suprême israélienne Sohlberg, Baron et Willner rendaient une décision de justice censément juste pour Khan al-Ahmar, une communauté palestinienne située à quelques kilomètres à l’est de Jérusalem. Ce dernier jour devant les tribunaux aurait dû être suivi par la démolition imminente de toute la communauté, par les autorités israéliennes.
Mais aussi unanime et sans équivoque soit-elle, cette décision n’était rien d’autre qu’une tentative de délivrer un semblant de justice pour couvrir des actions étatiques profondément immorales – et fondamentalement illégales. Faisant preuve d’un aveuglement formaliste du plus cynique qui soit, les juges ont aisément ignoré certains « détails », comme le fait qu’Israël ait établi un régime de planification systématique, qui ne permette quasiment jamais aux Palestiniens de recevoir des permis de construire. L’essence contextuelle allègrement reléguée au second plan, les juges ont ouvert la voie à un raisonnement fondé sur l’ »Etat de droit » pour démolir une école, des dizaines de maisons – et la vie de plus de 170 Palestiniens.
De telles décisions – dont celle-ci – devraient être contestées localement et internationalement.
Le leadership communautaire pacifique d’Eid Jahalin et d’autres ; la résistance non-violente d’activistes, quelques jours plus tôt où les bulldozers israéliens préparaient les démolitions à venir – onze personnes ont été arrêtées et des dizaines d’autres blessées par la brutalité des forces de sécurité israéliennes ; une action diplomatique manifeste – à travers des déclarations et une présence physique comme la visite, le 5 juillet, de diplomates français, anglais, suédois, italiens, suédois, belges, norvégiens, finlandais, danois, suisses, allemands, espagnols et irlandais ; une lettre ouverte internationale, signée par plus de 300 élus, juristes, universitaires, artistes, leaders religieux et militants du monde entier ; et le fait de présenter clairement la démolition de la communauté comme un crime de guerre si jamais elle devait être mise à exécution – tous ces facteurs combinés ont peut-être été à l’origine de la soudaine volonté de la Cour suprême de ne pas rejeter une nouvelle requête.
Désormais, une nouvelle journée d’audience pour Khan al-Ahmar est fixée : au 1er août.
La décision du 24 mai n’a pas rendu la démolition de Khan al-Ahmar plus acceptable, ni ne lui a conféré la moindre once de moralité. Elle n’a fait que donner le feu vert à un crime de guerre imminent – et rendre les juges complices, et personnellement responsables. Maintenant qu’ils ont cela en tête, comment les juges vont-ils se prononcer lors de la prochaine audience ?
Comme cela a déjà été démontré ces dernières semaines, nous devons œuvrer pour que le sujet reste au premier plan de l’attention internationale. La protestation officielle de l’Union européenne des 5 (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie et Espagne) était essentielle – mais comme on a pu l’apprendre dans les documents déposés par Israël dans le cadre d’une nouvelle requête, elle était aussi insuffisante : Israël s’est montré déterminé à aller de l’avant. La demande faite à la cour, le 10 juillet, prouve que l’Etat n’est pas prêt à céder d’un pouce : « Montrer clairement que les autorités de contrôle de l’Administration civile, la police israélienne et diverses autres parties, au nom des défendeurs, sont actuellement dans la dernière phase de préparation avant l’exécution des ordres de démolition finale de Khan al-Ahmar, selon les grandes lignes présentées par l’Etat. Par souci de clarté d’opinion et pour lever tout doute – cette dernière phase signifie que l’exécution des ordres de démolition sera mise en œuvre dans un délai de quelques jours. »
Pour autant, les juges semblent maintenant faire preuve de davantage de considération. Considération que peut-être, avec des actions plus concrètes, nous pourrons également obtenir des décideurs israéliens. L’Union européenne des 5 s’est prononcée avec fermeté. Et le 18 juillet, Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union européenne, a menacé de conséquences « très graves ». Lesquelles ? Et qu’aurait fait l’Europe des 5 si aucune nouvelle requête n’avait été déposée et si le tribunal n’avait pas délivré une ordonnance temporaire et que les démolitions avaient eu lieu, puisqu’Israël avait officiellement insisté sur le fait qu’il prévoyait leur mise à exécution sans délai ?
Pour que ce scénario ne devienne pas réalité, ils – et d’autres – doivent redoubler d’efforts pour sauver cette communauté.
Les efforts déployés à ce jour ont fait en sorte que le 24 mai ne soit pas, au bout du compte, le dernier jour. Deux mois plus tard, Khan al-Ahmar est toujours debout. Nous avons de sérieuses chances de sauver cette communauté – et des dizaines d’autres : Israël a pour intention de transférer de force des milliers de Palestiniens. Manifeste, la pression publique a permis à Khan al-Ahmar de tenir jusqu’ici. Le 1er août est la nouvelle date cible, pour qu’Israël reconsidère ses intentions et fasse marche arrière. Le moment de vérité pour Khan al-Ahmar est notre moment de vérité.
Pendant des décennies, Israël a refusé à Khan al-Ahmar une route d’accès appropriée. Ce mois-ci, l’Etat en a finalement pavé une : pas pour desservir les habitants, mais pour démolir leurs maisons. Peut-être, si justice est rendue, non seulement la communauté sera sauvée, mais elle bénéficiera également de sa propre route d’accès goudronnée. Le dernier tronçon vers les démolitions pourrait alors devenir le premier pas vers la construction, le développement – et la justice.
Hagai El-Ad est le directeur de B’Tselem.