L’aide étant insuffisante et les prix grimpant en flèche dans tout Gaza, les Palestiniens dans la ville surpeuplée de Rafah se battent pour nourrir leur famille.
Khalida Abu Ras, 55 ans, vit sous une tente à Rafah, ville la plus méridionale de Gaza. L’une parmi l’estimation de 1 million de Palestiniens – environ la moitié de la population de la Bande – qui résident maintenant dans la ville, elle a été obligée de fuir de sa maison au nord de Gaza au début de la guerre et est sans abri depuis. « Je ne peux décrire la souffrance que nous endurons », à-t-elle dit à +972. « Nous vivons les pires jours de nos vies. »
Beit Hanoun, son ancienne maison dans le coin nord-est de la Bande de Gaza, a été un des premiers endroits à devenir inhabitable quand les bombardements israéliens ont commencé. « Des ceintures de feu cernaient la zone jour et nuit », a raconté Abu Ras. « J’ai fui la mort avec mes cinq enfants et mes petits enfants. »
Au cours des mois suivants, Abu Ras et sa famille se sont déplacés du plein nord de la Bande jusqu’au plein sud, mais tous les endroits où ils se posaient avaient deux choses en commun : il n’y avait aucun répit dans les bombardements et l’invasion des forces israéliennes, et il y avait un grave manque de nourriture. Et c’est la même chose à Rafah : « Tous les trois jours, nous recevons de l’aide alimentaire, mais ce n’est qu’une aide – un simple repas qui ne satisfait pas une famille de 15 personnes. »
La réponse d’Israël à l’attaque menée le 7 octobre par le Hamas sur ses communautés méridionales a comporté la coupure immédiate de l’électricité et de l’eau qu’il fournit habituellement à Gaza, ainsi qu’une nette restriction de l’entrée de la nourriture, du carburant et de l’aide humanitaire – intensifiant ainsi un blocus de 16 ans déjà paralysant. Résultat, les fournitures élémentaires ont diminué dans l’ensemble de la Bande, tandis que leur prix a monté en flèche, rendant le peu de nourriture disponible, inabordable pour beaucoup.
« Un kilo de sel, qui coûtait un shekel, coûte maintenant 20 shekels ou plus [environ 5,50 $], a expliqué Abu Ras. « Une boîte de levure, qui ne coûte que 5 shekels, en coûte maintenant 25 [presque 7 $]. Nous ne pouvons rien acheter. »
Les organisations d’aide internationale mettent en garde contre des niveaux de faim catastrophiques. Un rapport de la Classification Intégrée de la Phase de Sécurité Alimentaire (IPC) a placé la totalité de la population de Gaza dans une situation d’insécurité alimentaire aiguë, qu’elle définit comme une « crise ou pire ». D’après l’ONU, 80 pour cent de la population mondiale qui fait face à une famine ou à une faim catastrophique se trouvent à Gaza. Les Palestiniens du nord de la Bande ont dit à CNN qu’ils mangent de l’herbe et boivent de l’eau polluée, parce qu’aucune aide n’arrive jusqu’à eux.
L’Office de Secours et de Travaux de l’ONU(UNRWA) – principal organisme fournissant de l’aide et des abris à des millions de personnes déplacées à l’intérieur de Gaza, et qui vient juste de voir son financement considérablement réduit par des pays occidentaux sur l’allégation que 12 de ses 13.000 membres à Gaza ont participé à l’attaque du 7 octobre – a déclaré au début de ce mois que « l’aide humanitaire seule ne peut satisfaire les besoins essentiels de la population [de Gaza] ». Et chaque jour de la semaine dernière, des dizaines de manifestants israéliens ont essayé – avec un certain succès – de bloquer le passage du peu d’aide dont Israël la autorisé l’entrée depuis son territoire.
‘Personne ne peut se permettre d’acheter quoi que ce soit pour sa famille’
Salem Al-Murr, âgé de 35 ans et père de trois enfants, venant de Gaza ville, a été déplacé trois fois depuis le début de la guerre. A chaque déplacement, trouver et acheter de la nourriture est devenu un défi de plus en plus grand.
« Nous n’avons pas mangé de fruits depuis le commencement de la guerre », a-t-il dit à +972. « Le prix de la viande a doublé. Un kilo de bœuf valait 35 shekels, il en vaut maintenant 90 [environ 25 $]. Ces prix sont déraisonnables. Nous ne pouvons nous les permettre dans les dures conditions de la guerre. Dans une seule maison vivent maintenant plus de 30 personnes. Comment pouvons nous acheter assez de nourriture à ces prix ? »
Al-Murr et sa famille vivent maintenant sous une tente près de la frontière égyptienne. « Nous n’avons nulle part ailleurs où aller », s’est-il lamenté. « Je ne peux croire que je vis dans une tente. Ce fut un douloureux voyage. »
Bien que vivant maintenant parmi des centaines de milliers de personnes déplacées dans ce qui est devenu une ville de tentes et se trouvant au plus près possible des convois d’aide qui entrent à Gaza depuis l’Égypte, Al-Murr et sa famille souffrent toujours d’une faim intense. « Parfois, je vais au marché pour acheter de la nourriture, mais je reviens les mains vides parce que tout est trop cher », a-t-il expliqué. « Quand nous demandons pourquoi les prix sont si hauts, ils disent que les marchandises manquent sur le marché et qu’il n’y a pas d’alternative [pour s’en procurer].
« Nous sommes sans travail depuis plus de trois mois, nous n’avons aucun revenu », a poursuivi Al-Murr. « Nous sommes obligés de ne manger qu’un repas par jour – les conserves que nous obtenons des organisations d’aide. Personne ne peut se permettre d’acheter quoi que ce soit pour sa famille. Je vois des enfants ici qui pleurent de faim, y compris mes propres enfants. Nous ne pouvons pas leur dire qu’il n’y a pas de nourriture. C’est une guerre de famine et de déplacement ; c’est une guerre contre le peuple et une punition à son encontre. »
A Gaza, les gens se tournent de plus en plus vers les réseaux sociaux pour réclamer l’entrée de plus d’aide afin qu’ils puissent acheter de la nourriture pour leurs enfants et les sauver de la faim et de la famine. En attendant, les prix incroyablement hauts ont même empêché les patients de l’hôpital d’avoir à manger.
Khaled Nabhan, du camp de réfugiés de Jabalia au nord de Gaza, a été hospitalisé avec de graves fractures au pied dues à une frappe aérienne israélienne sur le camp. Il a d’abord été emmené à l’Hôpital Al-Shifa de Gaza ville, avant d’être transféré à l’Hôpital Européen de Khan Younis. Là, a-t-il expliqué, il ne mange qu’un repas par jour – « du labneh ou de bahteh » [du riz avec du lait], et cela ne suffit pas, j’ai faim pendant des heures tous les jours. Ma famille essaie d’acheter de la nourriture dans la zone, mais tout est trop cher. Il n’y a pas de traitement, pas de nourriture, pas d’abri, rien pour nous permettre de supporter cette guerre douloureuse. »
Ruwaida Kamal Amer est une journaliste indépendante de Khan Younis.