La formation du Groupe de La Haye est une étape cruciale pour sauver l’ordre juridique international. D’autres États doivent les suivre pour garantir la fin de l’impunité systémique.
En Palestine, c’est un fait que les mauvais traitements et les violations du droit international soient devenus la norme. Un autre fait est que l’impunité est la règle, plutôt que l’exception, dans les 76 années depuis la fondation d’Israël. Et pourtant après 15 mois d’une attaque brutale et vengeresse d’Israël contre Gaza et ses plus de 2 millions d’habitants pris au piège, la Palestine se trouve à un paroxysme. La destruction catastrophique du paysage entier, la création de conditions de vie calculées pour mener à la destruction de la vie, les tentatives pour écraser la dignité humaine, ont conduit à une nouvelle ère : celle du génocide, télévisé et diffusé en direct à la vue du monde entier.
Pourtant ce que nous avons vu à Gaza, ce à quoi la Cisjordanie est maintenant de plus en plus confrontée, comme nous le voyons, n’est pas seulement une attaque criminelle contre les Palestiniens en tant que peuple — c’est l’érosion de la fonction de protection même du droit international et la dangereuse régression du système multilatéral créé pour prévenir les conflits et protéger les vies des civils. C’est la création d’un monde sans civils, où n’importe qui, n’importe quoi, est soit une cible soit un dommage collatéral, et donc susceptible d’être tué ou détruit.
Ainsi, après le génocide de Gaza, le droit international se trouve au bord d’un précipice : si les lois qui ont été écrites pour être des lois universelles, pour être appliquées également au fort et au faible, sont violées systématiquement en défense d’intérêts géopolitiques particuliers, alors le système juridique international tout entier, reposant sur l’égalité de toutes les nations, est menacé — pour tous les peuples.
À la lumière de ces développements, l’initiative tri-continentale lancée à La Haye par neuf États engagés à faire rendre des comptes à Israël pour son attaque contre l’existence collective des Palestiniens ne pourrait pas être plus opportune. Les engagements que le groupe a pris dans cet effort collectif — respecter les mécanismes juridiques intérieurs après les mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale, refuser l’accueil et imposer un embargo sur les armes — font partie des obligations les plus fondamentales qu’ont tous les États selon le droit international, à la lumière des crimes de longue durée d’Israël dans le territoire palestinien occupé. Ces mesures sont une première étape essentielle vers la résolution de la question de la Palestine ou du « conflit Israël-Palestine », conformément au droit international.
Pourtant une solution ne sera jamais à notre portée jusqu’à la fin de l’impunité durable d’Israël. Malgré les efforts du peuple palestinien et de quelques Israéliens engagés, la situation ne peut être changée de l’intérieur d’Israël. Une action internationale est nécessaire.
C’est la tâche à laquelle sont confrontés tous les États maintenant. Les États ont des responsabilités légales contraignantes vis-à-vis des violations prolongées du droit international, comme c’est le cas avec l’occupation illégale d’Israël et l’annexion du territoire palestinien occupé, le régime d’apartheid qu’Israël a imposé aux Palestiniens et, plus récemment, le génocide à Gaza. À la lumière de la gravité des actions d’Israël, les États sont appelés à mettre fin à toutes leurs relations économiques, à tous les accords commerciaux et à toutes les relations académiques avec Israël. Sinon, de telles relations constitueraient une aide et une assistance à une action délictueuse internationalement. Selon le droit de la responsabilité des États, les États doivent coopérer pour mettre fin par des moyens légaux à la violation en question — en pratique, cela signifie que tous les États membres des Nations Unies doivent couper toutes les relations avec Israël aussi longtemps qu’il continue à opprimer le peuple palestinien. C’est une obligation qui est encore plus urgente avec le répit d’un cessez-le-feu difficilement négocié.
Dans ce moment crucial, le Groupe de La Haye offre un exemple excellent aux autres États sur la manière dont ils peuvent satisfaire à leurs obligations selon le droit international. Les États qui ont signé l’initiative — le Belize, la Bolivie, la Colombie, Cuba, le Honduras, la Malaisie, la Namibie, le Sénégal et l’Afrique du Sud — sont des États avec un passé d’engagement consistant et basé sur des principes envers la question palestinienne. Ce sont aussi des États qui portent les blessures d’un passé colonial douloureux ainsi que de la lutte pour les droits humains qui a suivi. Leur décision instaure un puissant précédent et personnellement j’applaudis ces pays pour leur courage.
Les États qui ont fondé le Groupe de La Haye montrent le chemin pour ce qui doit devenir une impulsion mondiale pour une action collective par le droit international — pas d’armes pour le génocide, pas d’aide pour l’occupation et pas de tolérance pour l’apartheid.
J’ai confiance que d’autres États rejoindront bientôt ce groupe. L’objectif du Groupe de La Haye est de mettre fin à l’exceptionnalisme d’Israël et d’assurer que ce qu’Israël a fait pendant les 15 derniers mois ne devienne pas la nouvelle normalité des États dans les années à venir.
De même que les États du monde entier se sont unis pour mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud, la communauté internationale doit maintenant se rassembler pour garantir la fin d’un des régimes d’apartheid les plus brutaux de l’histoire. Si nous devons sauvegarder un ordre juridique international à l’heure actuelle et avancer vers un ordre dans lequel ni l’impérialisme ni la colonisation ne continueront à dicter son application, la communauté internationale et les Palestiniens plus que tous les autres, doivent voir grandir cette initiative.
Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les territoires palestiniens occupés