Les morts des auxiliaires médicaux de Gaza : le dernier épisode d’une longue histoire d’Israël modifiant ses récits sur les assassinats de civils

Après l’assassinat par les forces israéliennes de 15 auxiliaires médicaux et travailleurs de la défense civile palestiniens le mois dernier, Israël s’est lancé dans un schéma familier de déni.

Le récit changeant des Forces de défense d’Israël (FDI) sur l’assassinat de 15 auxiliaires médicaux et travailleurs de la défense civile palestiniens fait partie d’un schéma familier de longue date dans les cas à grande visibilité impliquant l’assassinat de civils.

Souvent, d’abord, les FDI dénient l’implication. Parfois — dans le contexte de Gaza — elles suggèrent que l’une des propres roquettes du Hamas a raté son objectif, causant des victimes.

Sinon, elles peuvent alléguer que ceux qui ont été tués étaient soit des combattants eux-mêmes, soit des dommages collatéraux alors qu’elles ciblaient des combattants.

Et le cas des auxiliaires médicaux de Gaza n’est que le dernier incident pour lequel Israël a altéré son compte-rendu d’un assassinat à haute visibilité.

L’assassinat de la célèbre journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh, qui travaillait pour Al Jazeera, alors qu’elle couvrait une manifestation en Cisjordanie en 2022, a fait l’objet d’une modification analogue des explications données.

Initialement, le Premier ministre israélien Naftali Bennett a suggéré qu’Akleh avait « probablement » été tuée par un tir palestinien. Un jour plus tard, le gouvernement a publié une déclaration où il décriait les accusations « hâtives » de l’un de ses soldats d’être à l’origine de l’assassinat comme « irresponsable et prêtant à confusion ».

Ensuite, sous la pression des témoignages, les FDI ont admis qu’elle avait été abattue par un soldat israélien, tout en disant qu’elle n’était pas la cible, mais avait été frappée par accident.

Quand les preuves émergent pour contester le récit de l’armée israélienne, l’histoire montre que les FDI modifient alors leur histoire pour suggérer que les circonstances ne sont pas le résultat d’ordres militaires ou de problèmes systémiques, mais d’une « erreur » ou — rarement— d’une culpabilité individuelle, et non organisationnelle.

Dans le cas des auxiliaires médicaux tués le 23 mars, l’explication initiale des FDI alors que les corps étaient découverts dans une fosse commune était que leurs véhicules avaient « avancé de manière suspecte vers les troupes des FDI sans phares ni signalisation d’urgence ».

Comme des témoignages oculaires et une vidéo sur le téléphone d’un des auxiliaires tués ont émergé pour montrer que ce compte-rendu était mensonger, que les ambulances voyageaient lumières allumés et que les auxiliaires médicaux portaient des gilets haute-visibilité les identifiant, Israël a suggéré — sans fournir aucune preuve — que six des morts étaient d’une certaine façon connectés au Hamas, même s’ils n’étaient pas armés.

La semaine dernière, les briefings aux médias israéliens se sont fixés sur l’une des affirmations les plus familières des FDI depuis des années : l’affirmation que les soldats sentaient qu’ils étaient menacés et que le Hamas avait utilisé des ambulances pour déplacer des hommes et des armes.

Le récit mouvant des FDI dans de tels cas est souvent appuyé par des allégations faites par des comptes-rendus pro-Israël sur les réseaux sociaux.

Dans le cas présent, une vidéo a été postée sur X par un compte pro-Israël affirmant montrer sur une image brouillée que l’une des personnes tuées pourrait avoir porté une arme dans les mains. Cependant, un examen de la vidéo par le diffuseur allemand DW (Deutsche Welle) a jugé que tout ce qui était visible était une ombre créée par les lumières.

Si certains ont identifié un schéma d’offuscation au fil des ans, le soupçon existe aussi que c’est au service d’un objectif plus large : brouiller les pistes quand une enquête est lancée.

Et quand les FDI lancent effectivement une enquête, sous les auspices du bureau de l’Avocat général militaire, les résultats sont souvent opaques et conduisent rarement aux accusations les plus sérieuses.

Selon l’analyse menée par l’organisation israélienne des droits humains Yesh Din, publiée l’an dernier, le mécanisme mis en place par le personnel général des FDI pour enquêter sur des crimes de guerre potentiels est conçu pour éviter toute responsabilité, tout en donnant l’impression qu’une procédure a lieu.

Un examen par Yesh Din de « toutes les plaintes transférées à l’armée » pendant des campagnes militaires israéliennes importantes de la dernière décennie montre qu’« au moins 664 plaintes ont été transférées … pour examen ». De tout cela, dit l’organisation, 542 (81, 6%) plaintes sur des incidents ont été clôturées sans investigation criminelle, « seulement 41 incidents (6%) » menant à une telle investigation.

Cela a amené Yesh Din à conclure que « les résultats du travail du mécanisme de maintien de l’ordre en Israël pendant la dernière décennie montre qu’il ouvre rarement des investigations contre des soldats de rang junior et s’abstient complètement d’enquêter sur les décideurs aux niveaux élevés du commandement ».

Tout cela a suscité des questions urgentes sur le compte-rendu d’Israël non seulement dans des endroits familiers, mais cette fois en Allemagne, un des soutiens les plus forts d’Israël en Europe.

« Il y a maintenant des questions très importantes sur les actions de l’armée israélienne », a dit lundi le porte-parole du ministre des Affaires étrangères, Christian Wagner, après l’apparition des images de la vidéo sur l’incident concernant les auxiliaires médicaux.

« Il est nécessaire d’enquêter en urgence et de faire rendre des comptes aux coupables de ces actes », a-t-il dit, ajoutant qu’une investigation complète de l’incident serait « une question qui affecte à terme la crédibilité de l’État constitutionnel d’Israël. »

Comme Amos Harel l’a suggéré dans le journal israélien Haaretz plus tôt cette semaine, toutes ces manœuvres de présentation autour de l’incident pourraient obscurcir une vérité plus brutale : que tous les Palestiniens de Gaza – civils inclus– sont perçus comme une menace à laquelle il faut opposer une force létale.

Il y a quelques jours, une vidéo a été diffusée, montrant un commandant de bataillon parlant à ses soldats la veille de leur retour dans l’enclave.

« Toute personne que vous rencontrez là-bas est un ennemi. Vous identifiez n’importe qui, vous l’éliminez. »