Au Président Shafik : « Nous vous écrivons en tant qu’enseignantes et enseignants juifs de l’université Columbia et de Barnard College en prévision de votre comparution le 17 avril devant la Commission sur l’Éducation et la Main d’oeuvre de la Chambre des représentants, où vous devrez répondre à des questions concernant l’antisémitisme sur les campus. Sur la base des précédentes auditions de la Commission, nous sommes extrêmement inquiets des faux récits qui encadrent ces procédures pour piéger les témoins. Nous vous demandons instamment, en tant que président de l’université, de défendre notre engagement commun envers les universités comme lieux de savoir, de pensée critique et de production de connaissances contre ce nouveau McCarthyisme. »
Cher Président Shafik,
Nous vous écrivons en tant qu’enseignantes et enseignants juifs de l’université Columbia et de Barnard College en prévision de votre comparution le 17 avril devant la Commission sur l’Éducation et la Main d’oeuvre de la Chambre des représentants, où vous devrez répondre à des questions concernant l’antisémitisme sur les campus. Sur la base des précédentes auditions de la Commission, nous sommes extrêmement inquiets des faux récits qui encadrent ces procédures pour piéger les témoins. Nous vous demandons instamment, en tant que président de l’université, de défendre notre engagement commun envers les universités comme lieux de savoir, de pensée critique et de production de connaissances contre ce nouveau McCarthyisme.
Plutôt que de s’inquiéter de la sécurité et du bien-être des étudiants juifs sur les campus, la Commission exploite l’antisémitisme dans une tentative plus large de caricaturer et de diaboliser les universités comme des foyers d’« endoctrinement woke ». Cette utilisation opportuniste de l’antisémitisme dans un moment de crise étend et renforce des efforts de longue date pour miner les institutions d’éducation. Après avoir déclenché des attaques contre les universités publiques de la Floride jusqu’au Dakota-du-Sud, cette campagne a ouvert un nouveau front, cette fois contre les institutions privées.
La perspective que la députée Elise Stefanik, membre du Congrès qui a adopté dans le passé des politiques du nationalisme blanc, appelle les présidents d’université à rendre compte d’un prétendu antisémitisme sur leur campus révèle que cette procédure n’est qu’un fallacieux théâtre politique.
Devant ces attaques coordonnées contre l’enseignement supérieur, les universités doivent insister sur leur liberté de faire des recherches à propos de vérités dérangeantes et de les enseigner. Cela inclut les injustices historiques et les structures contemporaines qui les perpétuent, que ces faits soient ou non politiquement inopportuns pour certains groupes d’intérêt.
Évidemment, l’antisémitisme est une grave préoccupation qui doit être examinée de près, ainsi que le racisme, le sexisme, l’islamophobie, l’homophobie et toutes les autres formes de haine. Ces odieuses idéologies existent partout et nous serions ignorants de croire qu’elles n’existent pas à Columbia. Quand l’antisémitisme revient à la charge, il devrait être rapidement dénoncé et ses auteurs tenus de rendre des comptes. Cependant, il est absurde d’affirmer que l’antisémitisme
— « la discrimination, les préjugés, l’hostilité ou la violence contre les juifs en tant que juifs selon la définition de la Déclaration de Jérusalem— est endémique sur le campus de Colombia. Arguer que prendre position contre la guerre d’Israël à Gaza est antisémite, c’est pervertir la signification du terme.
Étiqueter un discours pro-palestinien de discours de haine anti-juif exige une assimilation dangereuse et fausse du sionisme avec la judéité, d’une idéologie politique avec une identité. Cette assimilation trahit une compréhension lamentablement inexacte — et une déformation fallacieuse — de l’histoire, de l’identité et de la politique juives. Elle efface plus d’un siècle de débats parmi les juifs eux-mêmes sur la nature d’une patrie juive dans l’Israël biblique, y compris sur le statut d’Israël en tant qu’État-nation juif. Elle rejette les expériences des juifs post-sionistes, non-sionistes et anti-sionistes qui travaillent, étudient et vivent sur notre campus.
Les passions politiques qui naissent du conflit au Moyen-Orient peuvent ébranler profondément les étudiants, les enseignants et le personnel, qui ont des opinions divergentes. Mais se sentir inconfortable n’est pas la même chose qu’être menacé ou discriminé. L’expression libre, qui est fondamentale à la fois pour la recherche universitaire et la démocratie, implique nécessairement d’être exposé à des opinions qui peuvent être profondément déconcertantes. Nous pouvons apporter notre soutien aux étudiants et étudiantes qui ressentent un inconfort réel et valide face aux manifestations demandant la libération de la Palestine tout en affirmant aussi clairement et fermement que cet inconfort n’est pas une question de sécurité.
En tant qu’enseignants, nous nous dédions, nous et nos classes, à assurer la sécurité de chaque élève contre les préjudices réels, le harcèlement et la discrimination. Nous nous engageons à les aider à apprendre de l’expérience de l’inconfort, et même de la confrontation quand elle fait partie du processus d’apprentissage des compétences et des connaissances — et à les aider à se rendre compte que les idées auxquelles nous nous opposons peuvent être contestées sans être supprimées.
En imposant une discipline stricte, en invitant la présence de la police et en surveillant largement ses étudiants pour des délits mineurs, l’université trahit sa mission éducative. Elle a pris des mesures drastiques contre des étudiants, dont des procédures disciplinaires, des mises à l’épreuve, pour des infractions telles que le soupçon de participer à une manifestation non autorisée, ou le déplacement de barricades pour entourer d’un drapeau une statue. Le véritable harcèlement, l’intimidation physique et la violence sur le campus doivent être combattus sérieusement et ses auteurs doivent rendre des comptes. En même temps, l’université devrait s’abstenir autant que possible d’utiliser discipline et surveillance comme des moyens de réagir à des dommages moins sérieux et elle ne devrait jamais utiliser des mesures punitives pour des conflits d’idées et les sentiments d’inconfort qui en résultent. Là où l’université encourageait et défendait naguère l’expression politique des étudiants, elle la supprime maintenant et la discipline.
Les récentes politiques de l’université représentent un changement dramatique par rapport à sa pratique historique et les conséquences en sont désastreuses pour notre communauté et ses principes. Dans le passé, Columbia a périodiquement été confrontée à des attaques contre l’expression pro-palestinienne, qui allaient de viles calomnies contre le professeur E. Said aux accusations inconsidérées du Projet David. Mais là où pendant des décennies, l’université a résisté fermement aux campagnes de dénigrement ciblant ses professeurs, elle a maintenant accepté volontairement le job de censurer ses enseignants dans et hors de la classe.
L’engagement de Columbia envers la recherche libre et le solide désaccord est ce qui fait d’elle une institution de classe internationale. Limiter la liberté académique quand il s’agit des questions d’Israël et de la Palestine ouvre la voie à des limitations sur d’autres sujets contestés, de la science du climat à l’histoire de l’esclavage. Plus encore, les étudiants doivent avoir la liberté d’être en désaccord, de faire des erreurs, d’offenser sans intention de le faire et d’apprendre à réparer le mal causé si nécessaire. L’expression libre n’est pas seulement cruciale pour le développement et l’éducation des étudiants hors de la classe ; la tradition des manifestions étudiantes a aussi joué un rôle vital pour la démocratie américaine. Columbia devrait être fière de sa participation aux organisations étudiantes nationales qui ont contribué à garantir les droits civils et les droits reproductifs et à mettre fin à la guerre du Vietnam et à l’apartheid en Afrique du Sud.
Nous exprimons notre soutien à l’université et à l’enseignement supérieur contre les attaques qui seront probablement lancées contre eux lors de la prochaine audition au Congrès. Nous objectons à la transformation de l’antisémitisme en une arme. Et nous défendons un campus où tous les étudiants, juifs, palestiniens et tous les autres, peuvent apprendre et prospérer dans un climat de recherche ouverte et honnête et de débats rigoureux.
Beaucoup de membres de la communauté universitaire partagent notre perspective, mais ils n’ont pas encore été entendus. Les étudiants, le personnel, les anciens étudiants et les enseignants peuvent signer ici pour montrer leur soutien au message de cette lettre.
Par Debbie Becher, Helen Benedict, Nina Berman, Susan Bernofsky, Elizabeth Bernstein, Amy Chazkel, Yinon Cohen, Keith Gessen, Nora Gross, Jack Halberstam, Sarah Haley, Michael Harris, Jennifer Hirsch, Marianne Hirsch, Joe Howley, David Lurie, Nara Milanich, D. Max Moerman, Manijeh Moradian, Sheldon Pollock, Bruce Robbins, James Schamus, and Alisa Solomon • 10 avril 2024
Les 23 auteurs de cette lettre sont des enseignants juifs de Barnard College et de l’université Columbia. Cette lettre dérive d’une beaucoup plus longue lettre de ces mêmes 23 auteurs envoyée au Président Shafik le 5 avril.