Les efforts pour soutenir les scientifiques palestiniens se heurtent aux réalités de la guerre

Des nouvelles initiatives visent à fournir des opportunités aux universitaires et aux étudiants de Gaza

Mou’yed Issa Talab Ismail a été ravi quand, le mois dernier, il a reçu une offre pour commencer un programme en physique médicale à l’université de Sherbrooke. «  Le Canada est considéré comme l’un des meilleurs pays au monde dans mon domaine de recherche », dit-il. « Cela m’ouvrira la voie pour terminer mes études. »

Une des initiatives récemment lancées pour soutenir les scientifiques et les étudiants en technologie dans un Gaza déchiré par la guerre a permis de faire correspondre Ismail avec le programme canadien. Mais jeter cette ligne de survie aux universitaires palestiniens s’avère difficile et qu’Ismail réussisse à aller au Canada n’est pas clair. Il s’abrite actuellement avec sa famille dans le centre de Gaza, qui a été une cible fréquente de bombardements et de frappes aériennes de la part de l’armée israélienne depuis que la guerre entre Israël et le Hamas a commencé, il y a près de six mois. Il n’y a pas d’aéroports à Gaza, seulement une poignée d’endroits où les gens peuvent aller pour traiter les formalités d’obtention d’un visa, et obtenir des autorités israéliennes la permission de quitter Gaza peut être difficile. Le voyage est dangereux, les réseaux de communication irréguliers et la survie est devenue un combat quotidien.

En tout, au moins 1200 résidents d’Israël et plus de 31000 résidents de Gaza sont morts dans la guerre, et beaucoup d’autres ont été blessés. À Gaza, les attaques israéliennes ont probablement endommagé ou détruit plus de la moitié des bâtiments de la région, selon le Groupe décentralisé de cartographie des dommages, une association ad hoc de chercheurs universitaires qui utilise des données de détection pour analyser l’impact de la guerre. Depuis qu’Israël a lancé son invasion terrestre fin octobre 2023, toutes les universités et institutions d’enseignement supérieur ont été rasées ou endommagées, et des centaines d’enseignants et de professeurs, ainsi que des milliers d’étudiants, ont été tués, selon les rapports dans les médias.

Malgré la destruction étendue, et les restrictions qu’Israël a imposées depuis des décennies aux chercheurs de Gaza, les gens y maintiennent le désir de contribuer à la science mondiale, dit Rana Dajani, une biologiste moléculaire palestino-jordanienne de l’Université hashemite en Jordanie, qui supervise plusieurs initiative éducatives à Gaza.

« C’est le manque de stabilité et de sécurité qui bloque la science, pas le manque de volonté », dit-elle. Ce sentiment a incité les scientifiques du monde entier à appeler à des efforts supplémentaires pour soutenir les chercheurs et les étudiants de Gaza. Certains remarquent que, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, beaucoup d’institutions partout dans le monde ont accueilli des enseignants et des étudiants et ont pris des engagements pour soutenir les chercheurs ukrainiens. Mais beaucoup de ces institutions sont restées en général silencieuses sur la guerre entre Israël et le Hamas. Par exemple, le gouvernement du Royaume-Uni a offert d’accélérer l’obtention de visas pour les citoyens ukrainiens et leurs familles, mais en décembre 2023, il a répondu à une pétition réclamant un programme analogue pour les Palestiniens en affirmant qu’il n’y avait « aucun projet » pour en créer un.

«  La réponse a été inégale dans le monde et c’est une situation très triste, très révélatrice », dit Ayman Oweida, un immunologue palestinien spécialiste du cancer à Sherbrooke. «  Vous auriez pensé que de nos jours répondre aux crises humanitaires aurait fait partie intégrante de nos institutions. »

La réponse personnelle d’Oweida a été, en janvier, de co-fonder Palestinian Students & Scholars At Risk (Etudiants et universitaires palestiniens en danger, PSSAR), une association sans but lucratif qui aide à mettre en contact les étudiants palestiniens qui souhaitent étudier au Canada et les scientifiques qui cherchent des étudiants de troisième cycle. Elle relie aussi les étudiants à des groupes qui fournissent des financements pour les « universitaires en danger ».

Au cours des deux premiers mois de fonctionnement de PSSAR, le programme a reçu environ 150 demandes — beaucoup plus que ce qui était attendu — presque toutes venant d’étudiants de Gaza. Oweida dit que le groupe travaille actuellement à placer une cohorte initiale de 20 à 30 étudiants. Ismail, qui travaillait comme physicien médical au Centre de diagnostic palestino-allemand de Gaza jusqu’à la guerre, a été le premier à être accepté (Ismail dit qu’un ami lui a raconté que l’établissement est maintenant détruit).

D’autres associations bénévoles, comme Reach Education Fund basée dans l’Illinois et Oxpal, fondé par des étudiants en médecine de l’université d’Oxford, rassemblent actuellement des financements pour aider les étudiants palestiniens déplacés.

Beaucoup de programmes existants prévus pour encourager la science à Gaza et en Cisjordanie se débattent dans les difficultés, cependant. À l’Académie palestinienne pour la science et la technologie en Cisjordanie, les échanges de talents avec les universités du Canada et d’ Allemagne sont maintenant à l’arrêt à cause des problèmes logistiques posés par la guerre. L’Académie se concentre à la place sur son Science Explore Program [programme d’exploration de la science] qui s’appuie sur les expatriés palestiniens pour donner des exposés en ligne, dit Rana Samara, une entomologiste palestinienne de l’Université technique de Palestine Kadoorie en Cisjordanie qui organise plusieurs de ces programmes.

L’organisation internationale Scientists for Palestine [Scientifiques pour la Palestine] a depuis logntemps organisé des tutorats pour les étudiants de Gaza, ainsi que des écoles et conférences d’été de niveau universitaire en Cisjordanie. Elle aussi a dû suspendre la plus grande partie de ses programmes, et beaucoup d’étudiants sont maintenant confrontés au fait que leur documentation — y compris des transcriptions et des notes de recherche— a été perdue ou détruite. Le groupe travaille à aider les étudiants à résoudre ce problème mais « continuer leur formation a été difficile », dit Deema Totah, une ingénieure en mécanique palestino-américaine à l’université de l’Iowa et membre du groupe.

Il y a un besoin urgent de faire plus pour aider les chercheurs et étudiants palestiniens, dit Somaya Albhaisi, médecin au Centre médical de la Virginia Commonwealth University, et qui est née dans un camp de réfugiées de Gaza. « Notre responsabilité comme scientifiques et chercheurs est de soutenir la science palestinienne maintenant », a-t-elle récemment écrit dans The Lancet. Cela pourrait vouloir dire réclamer aux institutions d’offrir de l’aide, dit-elle, ou au moins inviter les chercheurs palestiniens pour des collaborations.

Le simple fait de prendre contact avec un collègue palestinien qui pourrait se sentir stressé et isolé pourrait aussi aider, dit Nirmeen Elmadany, une biologiste palestinienne spécialiste du cancer qui demeure actuellement avec sa belle-famille aux États-Unis. Elle a pu récemment déplacer sa mère, qui a des problèmes de santé chroniques, de Gaza en Égypte pour des soins. Mais le reste de sa famille demeure dans un camp de réfugiés de Rafah au sud de Gaza, un camp qu’on s’attend à voir envahi par les forces israéliennes. Peu de ses collègues lui ont demandé des nouvelles de son état, dit-elle. « Chaque jour, matin et soir, je regarde les informations pour voir ce qui se passe », dit-elle. « Chaque jour, je vérifie les noms des martyrs et me demande si un membre de ma famille sera la prochaine victime ».

Les chercheurs palestiniens espèrent qu’à terme les hostilités s’arrêteront et que la reconstruction des institutions scientifiques de Gaza pourra commencer. Mais pour le moment, dit Albhaisi, « c’est impossible de faire des plans spécifiques quand les gens perdent l’espoir, sont affamés et meurent ».