Le nombre de prisonniers détenus sans procès dans les prisons israéliennes atteint son plus haut pic depuis 2008

Le nombre de détenus administratifs en Israël a monté en flèche depuis la vague d’attaques terroristes de mars dernier, atteignant un nombre de plus de 700 détenus, dont 11 Israéliens arabes

Israël détient actuellement 723 personnes en prison sans procès, le nombre le plus haut depuis 2008 et une augmentation importante par rapport aux 671 détenus début août. Onze des détenus sont des citoyens israéliens – aucun n’est juif – et les autres sont des Palestiniens.

Le nombre des détenus administratifs en Israël a monté en flèche depuis la vague d’attaques terroristes de mars, avec 52 détenus de plus depuis le commencement d’août. Des arrestations ont été faites depuis les combats à Gaza contre le Djihad islamique plus tôt dans le mois et la répression contre cette organisation en Cisjordanie.

Les suspects maintenus en détention administrative sont incarcérés en Israël sans procédure engagée contre eux, selon un système de « détention préventive ». Ils ne sont pas traduits devant un tribunal et leurs avocats n’ont pas accès aux preuves contre eux, à part un bref résumé des principaux soupçons. Un rapport confidentiel des renseignements et l’ordonnance de détention administrative signée par le chef du Commandement central des Forces de défense d’Israël sont présentés au juge qui doit approuver la détention, sans que le détenu soit présent.

Ahlam Haddad, l’avocate représentant le gréviste de la faim Khalil Awawdeh, a dit à Haaretz que beaucoup de détenus administratifs avaient été arrêtés parce qu’ils exprimaient leur soutien à son client. Selon Haddad, dans cinq affaires qu’elle représentait récemment, le résumé des charges mentionnait la participation à des rassemblements, des discours à de tels rassemblements ou la possession de symboles du Djihad islamique. Elle a dit que jusqu’à présent, les accusations portées dans ses résumés avaient été plus substantielles.

« La détention administrative est prévue pour être utilisée dans des cas extrêmement rares et, ici, elle est utilisée de manière abusive », a dit Haddad. « Si vous savez qu’il y avait un rassemblement et que c’était filmé, pourquoi ne pas présenter de preuve par une photo ou une vidéo et pourquoi ne pas déposer un acte d’accusation ? »

Elle a remarqué que dans plusieurs affaires récentes dans lesquelles elle a été impliquée, le service de sécurité du Shin Bet a dit au tribunal qu’il sollicitait des ordonnances ponctuelles de détention pour les accusés, pour une durée de trois à quatre mois, bien que la pratique habituelle soit d’avoir une ordonnance étendue plusieurs fois, jusqu’à atteindre plus d’une année.

Les chiffres fournis par le Service des prisons d’Israël au Mouvement pour la liberté d’information montrent que, mi-juin, 184 Palestiniens, dont un mineur, étaient maintenus en détention pour plus d’un an. Les détenus administratifs constituent environ 15% de l’ensemble des prisonniers, presque deux fois le taux du record précédent, établi en mai 2008, quand le total de ces détenus était de 803.

Selon les avocats représentant les détenus administratifs, beaucoup de personnes ont été arrêtés depuis mars pour leur appartenance au Hamas ou pour leur identification avec l’organisation. Les raisons qui sont données pour les détentions sont exprimées de manière laconique.

Bashir Rajbi, un résident de Hébron qui a été arrêté à la mi-juin, est soupçonné d’« implication dans des activités qui soutiennent le terrorisme, de trafic d’armes et d’association avec des activistes du Hamas », selon la version résumée des charges mise à la disposition de son avocat.

Abeidan Samara, du village de Burkin, a été considéré comme un membre du Hamas impliqué dans des actions contre les forces de sécurité. Un autre détenu administratif, Mohammad Zain de la région de Hébron, a été accusé de trafic important d’armes et de contrebande depuis la Jordanie. Les appels contre leur détention ont été refusés par la Haute Cour de justice.

Dans un autre cas, celui du jugement dans un appel déposé par Omar Omar, qui était détenu en connexion avec ses activités dans l’organisation d’étudiants du Hamas à l’université An-Najah de Naplouse, les juges ont écrit qu’ils étaient persuadés que « ses activités mettent en danger la paix et la sécurité de la région. Par conséquent, nous ne voyons pas de raison d’intervenir dans la décision de le placer en détention administrative ».

L’avocat d’Omar, Hamza Abu Maizer, a parlé de la frustration éprouvée par les avocats lorsqu’ils représentent des personnes dans une telle situation. « Ce que vous dites n’a aucun poids. Vous parlez de la famille ou de la situation personnelle, vous essayez d’expliquer les actes soupçonnés sous un autre angle et cela ne marche pas — ce qui importe est le matériel confidentiel », a-t-il expliqué.

Une enquête de Haaretz a montré que dans les 18 appels à la Haute Cour pour annuler les détentions administratives, les juges n’ont agi dans aucune affaire en faveur des requérants. Dans quelques cas, les avocats des détenus ont retiré les requêtes à la suite de l’annonce par le Shin Bet — après une audition au tribunal — que l’ordonnance de détention ne serait pas étendue une fois expirée.

En janvier, dans une mesure inhabituelle, la Haute Cour a réduit la détention administrative de Maher Anati, un résident du camp de réfugiés d’al-Fawar près de Hébron, qui avait été accusé d’entrer en Israël sans permis et d’interférer avec un soldat en service.

Dan Yakir, un avocat de l’Association pour les droits civiques en Israël, a dit qu’il ne pouvait pas se souvenir d’une autre occasion dans laquelle la Haute Cour était intervenue dans une affaire de détention administrative, à part une au début des années 1990. Il a dit qu’il ne pouvait se souvenir que d’un seul cas où l’ordonnance de détention avait été complètement annulée.

Le général de réserve Nitzan Alon, qui était à la tête du Commandement central des Forces de défense israéliennes de 2012 à 2015, a déclaré que l’usage des ordonnances de détention administrative était crucial dans certains cas. « En général, je pense que la détention administrative a un objectif propre », a-t-il dit. il a expliqué que c’était un outil aidant à empêcher les attaques terroristes alors que les forces de sécurité sont confrontées à deux obstacles majeurs — le fait que les organisations terroristes donnent des instructions à leurs membres sur la manière de se comporter pendant les interrogatoires et le besoin de protéger les sources de renseignement qui pourraient être dévoilées pendant une procédure criminelle normale.

Alon a dit que le nombre des détentions administratives était lié aux politiques établies par des dirigeants politiques. « Pendant mon mandat, à cause de toutes sortes de considérations politiques, nous avons essayé très sérieusement de réduire le nombre d’arrestations administratives, même si nous avons parfois commis des erreurs », a-t-il dit.

Un exemple qu’il a cité concernait les personnes impliquées dans le kidnapping des trois jeunes Israéliens en Cisjordanie en 2014. « Nous avions une certaine connaissance de la menace qu’elles représentaient, et nous avons décidé de ne pas leur appliquer de détention administrative – et nous avons eu tort », s’est souvenu Alon.

Alon a attribué partiellement l’énorme fossé entre les nombres de détenus administratifs palestiniens et juifs au fait que les détenus juifs potentiels « bénéficient d’un système juridique solidaire mobilisé sur cette question, comme le groupe Honenu. Le soutien juridique qu’ils obtiennent est plus important » que celui dont disposent les Palestiniens.

Cela étant dit, les chiffres montrent que quatre juifs ont été placés en détention administrative dans les cinq dernières années. Deux d’entre eux, Avraham Yared et Ariel Dahari, ont été arrêtés cette année et détenus trois mois avant d’être amenés devant un juge. Yared a d’abord été arrêté dans le cadre de la procédure normale et la police a annoncé qu’ils avaient l’intention d’engager des poursuites contre lui. Mais l’acte d’accusation n’a jamais été déposé et son statut de détenu a été changé en celui de détenu administratif. Pendant sa détention, 22 députés de droite de la Knesset ont signé une pétition pour sa libération.

L’avocat Or Sadan, de la Faculté de droit du College of Administration et membre du Mouvement pour la liberté de l’information, a dit que « l’usage de la détention administrative est une mesure extrême, qui en pratique conduit à l’incarcération d’une personne sans procès ». Autant de détails que possible devraient être visibles pour le public en ce qui concerne l’usage de cet outil, pour que toute personne, y compris des responsables élus, puisse examiner l’étendue de son utilisation, a-t-il dit.

L’unité du porte-parole des Forces de défense israéliennes a dit en réponse que « l’outil de détention administrative est utilisé seulement dans des situations où les autorités de la sécurité ont des informations fiables et bien fondées indiquant un réel danger posé par le détenu pour la sécurité de la région et en l’absence d’alternatives pour éliminer ce risque. La décision de détention administrative est une décision individuelle basée sur une information bien fondée sur chaque détenu, en partie en prêtant attention à la situation de la sécurité dans la région. »

L’unité a indiqué de plus que « dans tout cas où une ordonnance de détention administrative est émise, une procédure d’examen juridique est menée par le tribunal militaire … Les décisions du tribunal militaire sont sujettes à l’examen de la Cour d’Appel et de la Haute Cour de justice. »

Le Shin Bet n’a pas répondu.