Un nouveau rapport de la Coalition pour la Palestine du MIT donne des détails sur les recherches subventionnées par Israël, des essaims de drones à la surveillance sous-marine.

Depuis 2015, le ministère israélien de la Défense a versé plus de 3, 7 millions de dollars [3, 6 millions d’euros] pour le développement d’une technologie de guerre à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), révèle un rapport récent d’étudiants et de membres du corps enseignant organisés contre la guerre à Gaza.
Leurs conclusions sortent alors que les administrateurs du MIT subissent une pression croissante à cause de leur censure des publications d’étudiants critiquant les recherches du MIT et promouvant les droits humains palestiniens. L’université a aussi été confrontée à des critiques pour avoir exclu des manifestants étudiants du campus.
Le rapport a été publié le mois dernier par la Coalition pour la Palestine du MIT, qui représente 19 groupes d’étudiants et de membres du personnel enseignant sur le campus, dont MIT Divest [MIT Désinvestissement], MIT Jews for Collective Liberation [Juifs du MIT pour une libération collective] et MIT Faculty and Staff for Palestine [Personnel du MIT pour la Palestine].
Les membres de la Coalition ont utilisé le logiciel interne de l’université qui assure le suivi des subventions pour obtenir de nouveaux détails granulaires sur les projets qui ont reçu des financements militaires israéliens. Parmi les projets figurent des partenariats de recherche sur la surveillance sous-marine, la détection des missiles et les algorithmes pour des drones.
Après que les organisateurs étudiants ont commencé à examiner de plus près l’information sur les subventions, l’université a ôté l’accès au logiciel des subventions qui avait été utilisé pour l’enquête de la Coalition, a dit Rich Solomon, membre et étudiant diplômé du MIT qui a travaillé sur le rapport.
« Le MIT s’est engagé dans une campagne durable et organisée de désinformation et de propagande afin de taire et de supprimer cette information », a dit Solomon à The Intercept.
Ce nouveau rapport détaille aussi l’étendue des partenariats du MIT avec des entreprises militaires israéliennes comme Elbit Systems, qui fournit 85% des drones tueurs d’Israël, et Maersk, une des plus grandes compagnies de transports du monde, qui a envoyé des millions de kilos de marchandises militaires à Israël depuis le début de la guerre contre Gaza. L’armée israélienne a aussi sponsorisé plusieurs projets du MIT avec des fonds provenant du Département de la Défense des États-Unis.
La porte-parole du MIT Sarah McDonnell n’a pas répondu à des questions spécifiques à propos du rapport mais a attiré l’attention sur les déclarations des présidente, doyenne et chancelière de l’université condamnant « le harcèlement, l’intimidation et le ciblage » de professeurs spécifiques et de leurs recherches.
« Nous respectons le fait qu’il y a une gamme d’opinions dans ce groupe sur bon nombre de sujets et d’une façon générale notre bureau ne commente pas auprès des médias les opinions individuelles et librement exprimées d’étudiants ou d’anciens étudiants particuliers », a dit McDonnell dans une déclaration à The Intercept. « Le MIT et sa direction s’engagent à promouvoir le bien-être des étudiants, à protéger la libre expression et à répondre à des violations de sa politique comme il convient. »
Les manifestations contre la guerre à Gaza ont commencé sur le campus du MIT fin 2023 — dans le cadre de la vague de manifestations sur les campus dans tous les États-Unis à propos de l’attaque d’Israël. La direction du MIT a depuis résisté aux appels massifs d’étudiants et de membres du personnel à se désinvestir des recherches qui soutiennent ce que les critiques disent être le génocide d’Israël à Gaza.
Au moins 10 étudiants du MIT ont été arrêtés après les manifestations de mai, et plusieurs autres ont été suspendus et exclus du campus, perdant l’accès au logement et aux repas sur le campus. En octobre, l’université a banni la distribution d’un journal géré par les étudiants et soutenant la Palestine.
En réponse à des questions fréquemment posées (FAQ) en mai, le bureau de la chancelière du MIT, Melissa Nobles, a dit que seulement trois contrats étaient actifs actuellement avec l’armée israélienne, pour un total de 180 000 dollars (175 000 euros).
Solomon, l’étudiant diplômé, a dit que les administrateurs du MIT ont essayé de supprimer les récentes découvertes de la coalition.
Un journal du campus a retiré un article sur leur rapport au début du mois ; sa section des articles d’opinion a été depuis suspendue jusqu’à nouvel ordre. L’équipe éditoriale du journal a dit qu’elle avait retiré l’article —un examen de la recherche subventionnée par Israël de la professeure du MIT Daniela Rus, originellement publié le 7 novembre — après délibération de son comité exécutif et de conseillers du personnel enseignant.
McDonnell, porte-parole du MIT, a dit que la publication, The Tech, est indépendante, sur les plans éditorial et financier, de l’université et que le MIT n’avait joué aucun rôle dans la décision de suspendre temporairement la page d’opinion de la publication ou de supprimer l’article. Rus n’a pas répondu à une demande de commentaires.
« Notre décision a été prise à la lumière d’une rhétorique et d’actions de plus en plus hostiles contre la professeure Daniela Rus et son laboratoire », a écrit l’éditeur Ellie Montemayor dans un addendum à l’article le 9 décembre.
« Notre article détaillait comment Prof. Daniela Rus, directrice du laboratoire d’informatique et d’intelligence artificielle du MIT, utilise l’argent du ministère israélien de la Défense pour développer des algorithmes ayant des applications dans ‘la sécurité multi-robot pour la défense et la surveillance’ », ont écrit les auteurs dans un post sur le site d’informations Mondoweiss. « Plutôt que de discuter ces faits publiquement vérifiables, le bureau éditorial du Tech (après consultation avec Prof. Rus) a retiré notre article d’opinion. »
Des recherches subventionnées par des fonds israéliens
« Autonomous Robotic Swarms: Distributed Coordination and Perception » [« Essaims robotiques autonomes : coordination distribuée et perception] et « Terahertz Quantum-Cascade Lasers and Imaging » [Lasers à cascade quantique terahertz et Imagerie] — ne sont que deux des projets subventionnés par l’armée israélienne dans les laboratoires de recherche du MIT cités dans le récent rapport.
Les liens des recherches du MIT avec Israël ont été au centre de l’attention des manifestations sur le campus au cours des deux dernières années. Mais le récent rapport souligne l’étendue de la collaboration de l’université avec des entreprises militaires majeures, comme Maersk and Elbit, ainsi que les applications potentielles des recherches de l’université aux plus récentes opérations militaires d’Israël à Gaza.
Un laboratoire a exploré la surveillance sous-marine et les technologies d’accostage autonome qui pourraient aider la police d’Israël dans son blocus maritime de la Bande de Gaza côtière. Il y avait aussi le projet du MIT centré sur les essaims de drones, dont des quadricoptères armés fonctionnant à l’aide d’intelligence artificielle, qui peuvent imiter les sons de femmes et d’enfants en détresse. Israël aurait utilisé cette technologie pour tromper et tuer des personnes à Gaza.
« Un ou une scientifique éthique et une institution éthique poursuivent des voies scientifiques qui affirment la vie, qui aident à réparer le monde et qui refusent de permettre à des militaires violents de blanchir leurs réputations tout en commettant des assassinats de masse », ont écrit les auteurs du rapport.
Le MIT a aussi des partenariats avec des corporations multinationales dont le travail aide à fournir à Israël des armes et de l’équipement pour assurer son occupation de la Palestine — des compagnies comme Elbit Systems, Maersk, Lockheed Martin, Caterpillar et d’autres. Raytheon, qui a commencé à MIT et a un partenariat actif avec l’université pour placer des étudiants dans la compagnie, approvisionne Israël en missiles et en bombes. Le MIT est aussi partenaire d’autres entreprises importantes des États-Unis qui fournissent à l’armée israélienne armes, recherche et services informatiques dématérialisés comme Boeing, Aurora Flight Sciences, Google et Amazon.
« Ces collaborations offrent aux profiteurs d’un génocide un accès privilégié aux talents et à l’expertise du MIT », ont écrit les auteurs.
Couper les partenariats de recherche avec Israël a émergé comme une demande clé des manifestations sur le campus au printemps dernier. En mars, dans un referendum appelant l’Association des étudiants de premier cycle à promouvoir un cessez-le-feu à Gaza, la motion a été approuvée par 63% des étudiants qui ont voté — un des votes avec le plus fort taux de participation dans l’histoire de l’université. En avril, des membres d’une Association des étudiants diplômés du MIT, UE Local 256, ont adopté à une écrasante majorité une résolution appelant à un cessez-le-feu permanent à Gaza et demandant que l’université coupe tous ses liens de recherche avec l’armée israélienne.
Le Bureau de la chancelière du MIT a dit que les négociations avec les étudiants ont échoué parce qu’elles s’articulaient autour de la demande que le MIT coupe ses liens de financement avec l’armée israélienne. « Il y a plusieurs raisons contraignantes pour ne pas mettre fin unilatéralement aux accords de recherche actifs conclus par des responsables de programme individuels — dans le respect de la loi et de notre politique », a expliqué le Bureau de la chancelière dans la section de FAQ (questions fréquemment posées) sur les manifestations étudiantes.
Le MIT a déjà coupé ses liens avec d’autres acteurs internationaux dans des cas où il existait des inquiétudes que les recherches de l’université puissent légitimer ou exacerber des violations des droits humains et civils. L’université a mis fin à des partenariats avec Saudi Aramco en 2020, par exemple, après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi. Le MIT a aussi mené des évaluations des risques élevés sur des projets financés par des personnes ou des organisations en Arabie saoudite et en Chine pour répondre aux inquiétudes sur la légitimation ou l’aggravation des violations des droits humains et civils.
Un rapport de 2022 sur l’implication de l’université avec la Chine recommandait que le MIT n’entre pas « dans des collaborations qui pourraient contribuer à des violations des droits humains par des gouvernements étrangers contre leurs propres citoyens ». Le rapport listait des circonstances qui disqualifieraient une entreprise chinoise pour un partenariat avec le MIT, en particulier toute implication directe avec les activités de renseignement du gouvernement, les forces armées ou d’autres services avec des applications militaires.
« Les liens des recherches du MIT avec le gouvernement israélien contribuent de même à améliorer la réputation de ce dernier malgré ses crimes en cours contre l’humanité », dit le rapport. « Pourquoi le MIT devrait-il s’engager du tout dans des parrainages de recherche avec le gouvernement israélien, étant donné l’étendue de ses violations des droits humains en Palestine ? »
- Photo : Des manifestants pro-Palestine font face à la police, au MIT le 9 mai 2024, Cambridge, Mass. Photo : Josh Reynolds/AP