Le dramaturge Bashar Murkus se demande comment des gens peuvent attaquer une production du Théâtre Al-Midan sans l’avoir vue.
La décision, annoncée mardi, du ministre de l’Education Naftali Bennett de retirer « Un Temps Parallèle » du Théâtre Al-Midan du « panier de la culture » des écoles, contrairement à une décision antérieure de la Commission du Répertoire du ministère, n’est par ressentie comme une grosse surprise par l’auteur et metteur en scène de la pièce, Bashar Murkus.
« Honnêtement, ce genre de choses ne me choque plus dans ce pays », dit-il à Haaretz après avoir longtemps refusé de parler aux médias israéliens. Ce qui est inhabituel cette fois-ci, c’est que c’est si flagrant, si clair, que nous pouvons le voir comme quelque chose qui n’est pas dissimulé. C’est frustrant et cela nous rappelle où nous vivons et comment nous devons vraiment travailler et produire de l’art dans ce contexte.
« La seule chose surprenante est que tout ce tapage a pris place sans que personne n’ait réellement vu la pièce. Cela n’a rien à voir avec la pièce, mais plutôt avec des gens affligés de cécité, qui ne veulent pas voir et ne me donneront pas droit à la parole. Si vous me le demandez, c’est du fascisme. »
Murkus, 22 ans, a trouvé l’inspiration de « Un Temps Parallèle » dans l’histoire de Walid Daka, membre du Front Populaire de Libération de la Palestine, accusé d’implication dans l’enlèvement et le meurtre du soldat israélien Moshe Tamam en 1984 et condamné à la prison à vie.
La première de la pièce a eu lieu un an plus tôt et, ces mois derniers, a provoqué la controverse à de nombreuses occasions, par exemple lorsqu’elle a été présentée en clôture de la Journée du Prisonnier Palestinien à Haïfa.
Début mai, le conseil municipal de Haïfa a approuvé une motion du conseiller Shai Blumenthal (de Maison Juive) demandant le gel d’un mois du soutien de la municipalité à Al-Midan (qui s’élève à 1.275.000 NIS par an) jusqu’à ce qu’une commission présidée par le représentant du maire puisse examiner l’affaire. La commission n’a pas encore soumis ses recommandations mais, dans l’intérim, des pétitions de soutien ont été envoyées par des artistes de théâtre, ainsi que quelques protestations demandant aux organes gouvernementaux d’arrêter définitivement leur soutien à l’institution.
Pendant ce temps, diverses entités ont aussi fait appel au ministère de la Culture pour qu’il mette fin à son soutien au théâtre. La semaine dernière, Bennett a demandé à la commission du répertoire, qui détermine ce qui va dans le « panier de la culture », d’envisager de retirer la pièce de cet accord, mais la commission a persisté dans son approbation de la pièce. Mercredi, Bennett a annoncé qu’il invoquait son autorité en tant que ministre et retirait la pièce immédiatement.
Quelques uns de ceux qui s’opposent à la pièce disent que c’est « une pièce sur un meurtrier » ou se plaignent du fait qu’elle exprime de la sympathie pour lui, mais Murkus réfute vigoureusement ces critiques. « La pièce n’est pas sur Walid Daka, elle s’inspire de son histoire. Elle soulève un tas de questions qu’il pose, que d’autres personnages posent, et que moi en tant que metteur en scène et auteur de la pièce je pose », dit-il.
« Elle ne parle pas de meurtre mais de la guerre contre le temps en prison. Je ne pense pas que l’on verra jamais le jour où, à cause de ce qui est arrivé, nous nous arrêterons de présenter « Un Temps Parallèle » ou nous nous arrêterons de poser les questions que nous voulons poser. »
Comment en êtes vous venu à l’histoire de Daka ?
« Al-Midan m’avait demandé une suggestion pour un projet, et j’ai dit que j’avais envie d’explorer la question des prisonniers politiques. Ma recherche initiale fut très générale, sur les prisonniers israéliens et les prisonniers étrangers ainsi que sur des récits tirés de l’histoire. Alors que j’y travaillais, je tombai sur des histoires de Daka publiées en ligne et je vis là quelque chose d’intéressant. L’une des choses qui a vraiment capté mon intérêt fut une lettre qu’il écrivait à son fils pas encore né.
« Je rencontrai son avocat, ainsi que sa mère, sa femme et ses frères. Je vis que son histoire était réellement importante, une histoire qui contenait par ailleurs un tas d’histoires d’autres prisonniers. Pour nous, gens de théâtre qui cherchons un sujet et commençons à écrire une pièce, c’était un matériau brut très intéressant. En plus des histoires publiées, nous sommes entrés en possession de quelques lettres personnelles qu’il avait écrites à sa famille et à ses amis. Ce que nous voulons explorer, c’est la personne dans le prisonnier. »
L’avez-vous rencontré en prison ?
« Non, mais nous nous sommes écrit. Je lui ai posé une tonne de questions sur sa vie, Je lui ai demandé de m’écrire ce qu’il voyait alors à l’intérieur de la prison. Toutes choses qui nous aident dans notre recherche théâtrale. L’intérêt que nous lui portions le stimula énormément. Dans le théâtre palestinien, il y a longtemps que n’importe qui s’intéresse au sujet des prisonniers politiques. Je pense que si nous nous mettons à parler d’eux comme le fait Israël – des numéros, ou des héros – alors nous les mettrons fondamentalement à la même place. Il n’y a pas de différence entre un héro et un numéro. »
Le fait que vous ayez choisi une personne convaincue d’implication dans l’enlèvement et le meurtre d’un soldat fait que certaines personnes pensent que ce la veut dire que c’est « sa pièce ». Comment concilier cela avec la revendication comme quoi la pièce représente aussi l’histoire d’autres prisonniers ?
« Nous avons beaucoup réfléchi à cela. D’une certaine façon, vous voyez Daka, vous l’entendez, vous lisez qu’il veut un enfant, qu’il se marie, qu’il écrit et qu’il étudie, qu’il a obtenu des diplômes. Vous savez qu’il a un passé et qu’il a fait des choses à propos desquelles je me pose plein de questions. Ce n’est pas un sujet facile mais, pour moi, c’est très important parce qu’il fait partie de mon peuple. Je peux comprendre pourquoi il a choisi ce chemin, sans que je l’approuve ou le désapprouve. La question n’est pas ce que je pense. Il a fait quelque chose, et maintenant il est en prison, mais je veux cependant l’interroger, lui poser des questions sur lui. C’est quelque chose pour quoi je me battrai, et ainsi j’aurai toujours le droit d’interroger. Des pièces de théâtre et des films ont été réalisés sur des personnages bien pires que lui. »
Avez vous jamais parlé avec des gens de la famille de Tamam ?
« Non, mais dans ma recherche je portais beaucoup d’intérêt à ce qu’ils avaient écrit. J’ai collecté des choses publiées en ligne et que la famille du soldat avait postées. Nous ne parlons pas du tout du meurtre dans la pièce. La question que je pose dans la pièce, c’est comment une personne se bat avec le temps en prison. C’est ce qui m’intéresse. En tant que personne faisant du théâtre, j’ai le droit de parler de ma douleur, parce que je peux dire quelque chose à ce sujet. Mais je n’ai pas le droit de parler de la douleur de l’autre. Je ne peux me permettre de le faire. Peut-être un autre metteur en scène a-t-il besoin de s’en charger. »
Contactée, la famille de Tamam a répondu : « Nous ne souhaitons pas commenter les déclarations de quelqu’un qui a appelé le méprisable meurtrier de Moshe un ‘héro’. »
Murkus, diplômé du département de théâtre de l’université de Haïfa, y enseigne actuellement ainsi qu’au Conservatoire d’Art Dramatique de Ramallah. Il a récemment mis en scène « 1945 », la nouvelle pièce présentée par Al-Midan sur les relations entre Arabes et Britanniques ici avant la fondation de l’État, et il fait aussi des mises en scène dans d’autre théâtres arabes en Israël. Il croit que le théâtre est le lieu où les grandes questions sont posées, bien qu’il ressente que le théâtre israélien les évite généralement.
« C’est pourquoi nous avons un théâtre qui n’est pas toujours si intéressant », explique-t-il. « Il choisit des questions très faciles pour être sûr d’avoir un public, pour être sûr que les souscripteurs viendront et que tout ira bien. Pour moi, ce n’est pas du théâtre. Je fais du théâtre parce que j’ai une raison de faire du théâtre. Je veux me poser des questions, poser des questions à la troupe avec qui je travaille et au public. Je ne donne pas de réponses. »
N’est-ce pas l’un des buts du théâtre d’avoir un public qui s’identifie jusqu’à un certain point avec les personnages et l’action sur scène ?
« Non, non et non », objecte Murkus furieusement. « Le but du théâtre est de rendre le public témoin de quelque chose. C’est comme ça que je travaille et c’est ce en quoi je crois. J’ai le droit de parler de choses qui mettent les autres en colère, de gens que quelqu’un d’autre verra comme des ennemis. Le théâtre israélien a produit plein de pièces sur des gens que je considère comme mes ennemis. Lorsque vous faites des pièces sur la fondation de l’Etat d’Israël par exemple, c’est quelque chose avec quoi je ne suis pas d’accord. Mais, est-ce que je peux dire, ‘Eh les gars, ne faîtes pas ça’ ? Non. Alors, eux non plus n’ont pas le droit de me dire, ‘Ne fais pas ça’. Parce que c’est du théâtre et c’est de l’art. J’ai le droit de dire ce que je veux et n’importe qui d’autre a le droit de le voir et de se mettre en colère. Mais ils n’ont absolument pas le droit de me dire ‘Ne fais pas ça’. »
Vous êtes vous jamais inquiété de ce que « Un Temps Parallèle » pouvait causer des pertes financières ?
« Je n’ai pas du tout de craintes financières à son sujet. Cela ne me regarde pas. Tout ce qui me regarde, c’est le théâtre en tant qu’institution mais, comme je l’ai dit, je ne suis pas surpris. J’attendais des réactions. C’est pour cela que vous faîtes du théâtre. Pour faire bouger quelque chose. Ce qui est ennuyeux, c’est que les réactions sont arrivées sans que les gens aient vu la pièce, ce qui veut dire ce n’est pas la pièce qui a bouleversé le droit cette fois-ci, mais le fait qu’elle décrit un prisonnier comme un être humain, que nous avons fait une pièce à ce sujet et que l’argent de l’État y contribue. La fermeture du pipeline financier vers Al-Midan est alarmante et nous rend difficile la poursuite de notre travail, mais ce qui me fait vraiment peur c’est que, si cela arrive cette fois-ci, ce sera la même chose tout le temps. C’est de cela qu’il faut parler. Parce que ça n’arrive pas qu’avec ‘Un Temps Parallèle’, mais aussi à Arkadi Zaides [le Ministère de la Culture et des Sports a récemment révoqué son soutien au spectacle ‘Archive’ du chorégraphe]. Je devrais réaliser que je ne vis pas dans un pays démocratique, parce que ce pays me dit, ‘Bashar, tu ne peux pas dire ce que tu veux dire’. Je comprends ça maintenant, et maintenant je commence à travailler avec cette chose. »