L’effroi ressenti par les Israéliens, moi y compris, après l’agression d’aujourd’hui, est le vécu quotidien de millions de Palestiniens depuis bien trop longtemps.
C’est une journée terrible. Après un réveil au son des sirènes sous un barrage de centaines de roquettes tirées sur des villes israéliennes, nous avons été informés sur l’agression sans précédent par des combattants de Gaza dans les villes israéliennes à la frontière de la Bande.
Les nouvelles affluent d’au moins 40 Israéliens tués et de centaines de blessés, ainsi que de certains apparemment kidnappés et emmenés dans Gaza. Entre temps, l’armée israélienne a déjà entamé sa propre offensive sur la bande sous blocus, des troupes se rassemblant le long de la clôture et des frappes aériennes tuant et blessant jusqu’ici quantité de Palestiniens. L’effroi absolu des gens qui voient des militants armés dans leurs rues et leurs maisons, ou la vue d’avions de combat et de tanks en approche, est inimaginable. Les attaques sur des civils sont des crimes de guerre, et je suis de tout cœur avec les victimes et leurs familles.
Contrairement à ce que disent beaucoup d’Israéliens et alors que l’armée a été complètement prise au dépourvu par cette invasion, il ne s’agit pas d’une attaque « unilatérale » ou « non provoquée ». L’effroi ressenti à cet instant par les Israéliens, moi y compris, est une miette de ce que les Palestiniens ressentent au quotidien sous les décennies de régime militaire en Cisjordanie, et sous le siège et les agressions répétées sur Gaza. Les réactions que nous entendons de la part de nombreux Israéliens aujourd’hui – de gens qui appellent à « écraser Gaza », que « ce sont des sauvages, pas des gens avec qui on peut négocier », « ils assassinent des familles entières », « il n’y a pas de place pour parler avec ces gens » – sont exactement celles que j’ai entendu prononcer d’innombrables fois par les Palestiniens occupés à propos des Israéliens.
L’attaque de ce matin a également des contextes plus récents. L’un d’entre eux est l’horizon imminent d’un accord de normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël. Depuis des années, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a fait valoir qu’on pouvait arriver à la paix sans parler aux Palestiniens ou faire des concessions. Les Accords d’Abraham ont dépouillé les Palestiniens de l’un de leurs derniers éléments de négociation et bases de soutien : la solidarité des gouvernements arabes, même si cette solidarité est depuis longtemps douteuse. La forte probabilité de perdre peut-être le plus important de ces États arabes peut très bien avoir aidé à pousser le Hamas dans ses derniers retranchements.
En attendant, les commentateurs avertissaient depuis des semaines que les récentes escalades en Cisjordanie occupée conduisaient vers des voies dangereuses. Tout au long de l’année dernière, plus de Palestiniens et d’Israéliens ont été tués que pendant toute autre année depuis la Seconde Intifada au début des années 2000. L’armée israélienne effectue régulièrement des raids dans les villes palestiniennes et les camps de réfugiés. Le gouvernement d’extrême droite donne aux colons l’entière liberté d’installer de nouveaux avant-postes illégaux et de lancer des pogroms sur des villes et villages palestiniens, les soldats accompagnant les colons et tuant ou mutilant les Palestiniens qui essaient de défendre leurs maisons. Au cœur des grandes fêtes religieuses juives, les extrémistes juifs défient le « statu quo » autour du Mont du Temple / Mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, soutenus par les politiciens qui partagent leur idéologie.
A Gaza pendant ce temps, le siège en cours détruit continuellement la vie de plus de deux millions de Palestiniens, dont beaucoup vivent dans une extrême pauvreté, avec très peu d’accès à de l’eau potable et environ quatre heures d’électricité par jour. Ce siège n’a pas de date de fin officielle ; le rapport d’un Contrôleur de l’État a même trouvé que le gouvernement n’a jamais discuté de solutions à long terme pour mettre fin au blocus, ni sérieusement envisagé quelque alternative que ce soit aux cycles répétitifs de guerre et de mort. C’est littéralement la seule option que ce gouvernement, comme ses prédécesseurs, a sur la table.
Les seules réponses que les gouvernements israéliens consécutifs ont offert aux attaques palestiniennes depuis Gaza l’ont été sous forme de pansements : si elles arrivent par terre, nous construirons un mur ; si elles arrivent par des tunnels, nous construirons une barrière souterraine ; s’ils tirent des roquettes, nous mettrons en place des intercepteurs ; s’ils tuent quelques uns des nôtres, nous tuerons bien plus des leurs. Et ainsi de suite.
Tout ceci ne cherche pas à justifier l’assassinat de civils – c’est absolument faux. C’est plutôt fait pour nous rappeler qu’il y a une raison à tout ce qui arrive aujourd’hui et que – comme dans tous les cycles précédents – il n’y a pas de solution militaire au problème d’Israël avec Gaza, ni à la résistance qui naît en réponse au violent apartheid.
Ces derniers mois, des centaines de milliers d’Israéliens ont défilé à travers le pays pour « la démocratie et l’égalité », beaucoup d’entre eux disant même qu’ils refuseraient le service militaire à cause des tendances autoritaires de ce gouvernement. Ce que ces manifestants et soldats de réserve ont besoin de comprendre – spécialement aujourd’hui alors que nombre d’entre eux ont annoncé qu’ils arrêteraient les manifestations et rejoindraient la guerre avec Gaza – c’est que les Palestiniens se sont battus pour ces mêmes exigences et d’autres encore depuis des décennies, affrontant un Israël qui face à eux est déjà, et a toujours été, complètement autoritaire.
Alors que j’écris ces mots, je suis assis chez moi à Tel Aviv, essayant d’imaginer comment protéger ma famille dans une maison sans abri ni pièce sécurisée, suivant dans une panique croissante les rapports et rumeurs d’événements horribles qui ont lieu dans les villes israéliennes proches de Gaza qui subissent l’agression. Je vois des gens, dont certains sont mes amis, demandant sur les réseaux sociaux qu’on attaque Gaza plus farouchement que jamais jusqu’ici. Certains Israéliens disent qu’il est maintenant temps d’éradiquer entièrement Gaza – appelant essentiellement à un génocide. Au milieu de toutes les explosions, de l’effroi et du carnage, parler de solutions pacifiques, pour eux c’est de la folie.
Pourtant, je me souviens que tout ce que je ressens maintenant, que tout Israélien doit partager, a été depuis bien trop longtemps l’expérience de la vie de millions de Palestiniens. La seule solution, comme ce fut toujours le cas, c’est de mettre fin à l’apartheid, à l’occupation, et au siège, et de promouvoir un avenir fondé sur la justice et l’égalité pour nous tous. Ce n’est pas malgré l’horreur que nous devons changer de cap – c’est exactement à cause d’elle.
Hagai Matar est un journaliste israélien primé et un militant politique, et il est le directeur général de +972 Magazine.