Dans toute la Palestine, les prisons sont un lieu de premier plan d’une lutte sans relâche pour l’éducation, parmi d’autres droits fondamentaux. Grosso modo, 20% des Palestiniens ont été incarcérés,….
Dans toute la Palestine, les prisons sont un lieu de premier plan d’une lutte sans relâche pour l’éducation, parmi d’autres droits fondamentaux. Grosso modo, 20% des Palestiniens ont été incarcérés, ce qui représente jusqu’à 40% de la population masculine. Nombre d’entre eux sont étudiants et leur droit à l’éducation pâtit énormément de leur emprisonnement.
Les prisonniers politiques palestiniens sont accusés de délits dans le cadre des lois militaires israéliennes et jugés dans des tribunaux militaires. De multiples abus et violations du droit international se produisent dans le cours des arrestations et de la détention. Les Palestiniens sont fréquemment arrêtés aux checkpoints, aux postes frontières, dans la rue et chez eux en pleine nuit. Il et d’usage qu’ils ne soient pas informés des raisons de leur arrestation, ni ne sachent où ils vont être emmenés. C’est ce qu’a vécu Saba, un étudiant en journalisme à l’université de Bir Zeit arrêté en janvier 2004 et emprisonné pendant neuf ans pour avoir participé à une manifestation lors de la deuxième Intifada. Des soldats israéliens ont fait irruption chez lui à 3h du matin, l’ont menotté sur place et lui ont mis un bandeau sur les yeux ; il a raconté comment il a été traîné dehors et laissé sous la pluie pendant que sa maison était mise à sac. Il a ensuite été amené au centre d’interrogatoires d’Al Mascobiyya à Jérusalem sans savoir, alors, où il allait ni pourquoi.
Toutes les prisons sauf une sont situées dans l’actuel Israël, en contravention directe avec l’Article 76 de la Quatrième Convention de Genève, qui interdit le transfert d’une population sous occupation. Les prisonniers sont ainsi isolés de leur famille et des avocats qui ont besoin de permis pour entrer en Israël, ceux-ci leur étant rarement accordés.
Les tribunaux militaires se conforment rarement aux normes internationales pour des procès justes et, vu le taux de condamnations de 99,7%, les détenus palestiniens sont immanquablement désavantagés. Les conditions de détention sont délibérément dégradantes, à base de violence sexuelle, de torture et d’autres formes de traitements déshumanisants systématiquement pratiqués. Et bien sûr, pour affaiblir la population palestinienne, en particulier lorsqu’elle résiste à l’oppression, le caractère corrompu et arbitraire de l’emprisonnement étend sa malfaisance à toutes les sphères de la vie, dont l’éducation.
Le droit à l’éducation est abondamment souligné dans le droit international, notamment dans l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits Humains (DUDH), comme le Pacte International pour les Droits Économiques, Sociaux et Culturels (DESC) ratifié par Israël en 1991. L’Article 94 de la Quatrième Convention de Genève encourage la « Puissance Détentrice » à prendre toutes mesures possibles pour assurer l’exercice des activités intellectuelles, éducative et récréatives ». Elle déclare aussi que « toutes facilités seront accordées aux détenus pour qu’ils poursuivent leurs études ou en entreprennent de nouvelles. L’éducation des enfants et des jeunes sera assurée ; ils seront autorisés à être scolarisés soit sur le lieu d’internement soit en dehors ».
En pratique, ces obligations de base sont rarement appliquées par la puissance occupante. Par exemple, en 1997, le Tribunal israélien du District de Tel Aviv décida que les enfants palestiniens emprisonnés avaient droit à la même éducation que les enfants israéliens emprisonnés, avec un programme structuré fondé sur le cursus palestinien. Cette décision a néanmoins été soumise à conditions, pour des raisons de « sécurité », une manœuvre qui a permis de faire peu de cas de ces droits.
Depuis 2000, Israël a arrêté et emprisonné environ 7 000 enfants, dont 156 sont actuellement en prison. Se voyant souvent infliger des peines pour avoir jeté des pierres, les enfants prisonniers sont considérés mineurs jusqu’à 16 ans par le droit militaire israélien, alors que le droit civil met le seuil à 18 ans. Seules deux des cinq prisons qui détiennent des enfants palestiniens leur fournissent quelque éducation, via un enseignement très limité d’arabe, d’hébreu, d’anglais et de mathématiques. La géographie et les matières scientifiques sont bannies pour « raisons de sécurité ».
Ceux qui ont plus de seize ans, quelle que soit leur situation en tant qu’étudiants avant la détention, ne se voient fournir aucun enseignement par les autorités carcérales. Depuis 2006, les prisonniers ont le droit de recevoir les livres scolaires nécessaires à la préparation de l’examen de fin de cycle secondaire, connu sous le nom de Tawjihi, un mois avant l’examen. Mais ainsi que le montre un rapport du groupe de soutien aux prisonniers d’Addameer, de soi-disant contrôles de sécurité retardent la distribution de ces livres, qui sont en nombre insuffisants. Étant souvent l’objet de sanctions, de nombreux jeunes détenus ont aussi été privés de la possibilité de se présenter à cet examen important.
Arrestations et détention sont une menace permanente sur la liberté universitaire et politique sur les campus universitaires. Les étudiants et les enseignants membres de partis politiques sont susceptibles d’être arrêtés, y compris ceux qui sont responsables de l’aide sociale et du soutien académique, étant donné que tous les groupes étudiants affiliés à des partis politiques sont interdits sous la loi militaire. À la date du 21 janvier 2014, 21 des 40 cas défendus par les avocats de l’université de Birzeit étaient des prisonniers politiques accusés d’appartenir à des organisations étudiantes ou à des partis politiques. Les étudiants qui participent à des manifestations ou qui sont engagés dans toute activité considérée comme de la résistance à l’occupation ont aussi été la cible d’arrestations de masse. Un étudiant de Birzeit qui a demandé l’anonymat, a expliqué comment, pendant les huit jours de son interrogatoire, on lui a présenté une liste d’accusations fondées sur le fait qu’il était un militant étudiant, au nombre desquelles figurait le fait de brandir un drapeau palestinien sur le campus.
Un cas récent et très médiatisé est celui de l’arrestation de Lina Khatab, une étudiante de première année en media et journalisme de l’université de Birzeit, le 13 décembre 2014. En dépit d’une absence de preuve, elle a été accusée de participer à une manifestation interdite près de la base militaire d’Ofer et de jeter des pierres à un véhicule de l’armée.
Dans un interview de l’Intifada électronique, Sahar Francis, directrice exécutive d’Addameer, a déclaré qu’au cours du déroulement des audiences, « ils ont traité Lina comme si elle était dangereuse au point d’être une menace pour la sécurité – c’est ce qui nous fait penser qu’ils se servent de son cas pour effrayer les étudiants qui voudraient s’engager dans des activités militantes ». Lina a été condamnée à une amende et à 6 mois de prison. Sa demande de mise en liberté afin de poursuivre ses études a été rejetée et cette condamnation compromet désormais ses études et son bien-être.
À côté des inévitables perturbations occasionnées aux enfants et jeunes adultes sortis de force de leur environnement habituel d’apprentissage, en elle-même l’expérience oppressante de la prison a des effets durables sur les Palestiniens, non limités aux aspects psychologiques, qui ont des retombées défavorables sur leurs parcours de formation. Au cours de cet interview, Saba a expliqué comment, après 9 ans de prison de 21 à 30 ans, il a acquis une compréhension profonde des dégâts de l’occupation et a considéré la poursuite de ses études supérieures, qui avaient été suspendues, comme une forme essentielle de résistance. Il s’est inscrit en journalisme à l’Université de Birzeit huit mois après sa libération et accomplit actuellement sa seconde année. Il a insisté sur le fait qu’il se sent privilégié par rapport à de nombreux étudiants emprisonnés, tels ceux en détention administrative (sans accusation ni procès en cours pour des durées indéterminées), ou ceux qui sont assignés à résidence ou constamment ré-arrêtés, qui de ce fait pourront ne jamais avoir cette chance.
Plusieurs suggestions ont été faites par des universitaires, des ONG et d’autres concernés par le sort des étudiants emprisonnés. En gros, ces propositions portent sur l’introduction auprès des détenus d’une éducation de qualité et de programmes de formation accessibles à tous, et aussi sur le fait de rappeler à Israël, en tant que puissance occupante, ses obligations légales dans le traitement des prisonniers politiques.
Quoi qu’il en soit, les tentatives d’obstruction faites aux aspirations des Palestiniens à l’entrée et à la sortie de prison ne peuvent pas être détachées de leur contexte politique plus large, ce qui serait le risque encouru par qui ne se fixerait que sur le droit international. Dans leur article « Contre le droit » publié dans Jacobin, Mezna Qato et Karim Rabie mettent en garde contre une focalisation sur les violations du droit par Israël, car c’est reproduire la chimère selon laquelle Israël a juste besoin d’être « ramené dans l’orbite des États-nations », une notion qui fait l’impasse sur la violence endémique du colonialisme. Certes, dans un contexte où l’invasion, l’expulsion et la ségrégation sont pratiquées sans remords, l’incarcération et les pratiques indignes qui y sont associées ne sont pas de simples nuages dans un État par ailleurs vertueux, mais ils lui sont consubstantiels. L’enseignement sera toujours gravement compromis pour une population sous occupation coloniale, qu’elle soit ou non jetée en prison.
Il ne s’agit pas de minimiser le rôle crucial du droit international ou des droits humains dans la recherche de justice, ainsi que le montrent, entre autres, le mouvement BDS et la Campagne pour le Droit à l’Éducation. Le problème réside plutôt dans la façon de positionner l’État sans recul critique, comme agent du changement social, qui assumerait une bienfaisance qui n’existe pas de la part d’une nation bâtie sur la dépossession d’un peuple indigène. Ainsi que l’écrit Noura Erakat, l’approche juridique ne doit pas viser de « meilleures » lois tandis que le cadre politique d’ensemble reste le même, elle doit au contraire être maniée pour exiger une responsabilité pleine et entière et, en dernière analyse, pour appuyer la décolonisation de la Palestine historique. La prison n’étant qu’une part de la continuité carcérale que représentent l’occupation et l’apartheid israéliens, on ne peut pas libérer l’éducation sans libérer la société. Cela demande finalement de se battre pour une éducation libérée de l’occupation.