‘La stratégie de vol de terre la plus fructueuse depuis 1967’ alors que les colons repoussent les Bédouins hors du territoire de la Cisjordanie

Les éleveurs rapportent la violence qui les chasse de chez eux dans l’accélération d’une campagne agressive et extrêmement efficace.

La toute petite colonie qui surplombe le village bédouin d’Ein Rashrash s’appelle « Anges de la Paix », mais, dit Sliman al-Zawahri, ses résidents n’ont exercé que la violence, la peur et le désespoir sur sa famille.

Cette semaine, la communauté de Bédouins a emballé la plus grande partie de ses biens et a embarqué tout le monde, femmes enfants et vieillards, depuis la crête de Cisjordanie qu’ils appellent leur chez eux depuis des décennies, perchée au-dessus d’une source et jouxtant un site archéologique.

« Ils ne nous ont pas laissé d’air pour respirer », a dit Zawahri, 52 ans, pour décrire une campagne de plusieurs mois de violence et d’intimidation qui s’est intensifiée ces deux dernières semaines. Tout d’abord, les villageois ont été empêchés d’aller sur leurs terres de pâturage et à la source, puis la violence s’est portée sur leurs maisons.

« Ils sont entrés dans le village et ont détruit maisons et bergeries, ont frappé un vieil homme de 85 ans, ont terrifié nos enfants. Peu à peu, nos vies sont devenues invivables. »

Quelques hommes essaient de rester au milieu des maisons en ruine, des bergeries désertes, des panneaux solaires écrasés et des vitres cassées, misant sur une fragile revendication de leur propre village.

Il ne s’agissait pas d’une tragédie individuelle. Les hommes appartenant aux Anges de la Paix font partie d’un projet politique, vaste, violent et très prospère, d’expansion du contrôle d’Israël sur la Cisjordanie qui s’est accéléré, disent les militants, depuis le 7 octobre où le Hamas a lancé une guerre avec Israël

Les agents improbables de cet accaparement de terres sont des moutons et des chèvres, élevés par des colons radicaux sur de petits avant-postes.

S’emparer de la terre en construisant des maisons et des communautés est long et cher. Prendre le contrôle de vastes étendues de collines arides nécessaires à l’élevage de troupeaux, en terrifiant et en isolant les bergers palestiniens et en introduisant un autre troupeau, est beaucoup plus efficace.

« Ce fut la stratégie d’accaparement de terres la plus fructueuse depuis 1967 », a dit Yehuda Shaul, célèbre militant qui est le directeur du groupe de réflexion le Centre Israélien des Affaires Publiques et l’un des fondateurs de Breaking the Silence, ONG qui dénonce les abus de l’armée dans les zones occupées.

Pendant la seule année dernière, 110.000 dunams, ou 110 km² (42 miles carrés), ont été réellement annexés par des colons sur des avant-postes d’élevage, a-t-il dit. Toutes les zones d’habitation construites depuis 1967 ne recouvrent que 80 km².

Ce fut aussi le déplacement le plus important de Bédouins palestiniens depuis 1972, lorsque au moins 5.000 – et peut-être jusqu’à 20.000 – personnes ont été déplacées du Nord Sinaï pour laisser la place à des colonies, a ajouté Shaul.

Les colons et leurs alliés politiques ont célébré cette approche relativement nouvelle.

« Une action que nous avons développée au cours des années, ce sont les fermes d’élevage », a dit dans une conférence en 2021 Ze’ev Hever « le Zambien », secrétaire général de l’organisation de colons Amana.

« Aujourd’hui, elles recouvrent près de deux fois la terre que recouvrent les communautés construites … nous comprenons l’importance de cette question : regardez, c’est beaucoup. »

Environ 450.000 Israéliens se sont installés dans ce qui est maintenant la Zone C de Cisjordanie – zone sous contrôle politique et militaire total israélien – depuis le début de l’occupation des territoires palestiniens en 1967, certains poussés par des raisons religieuses ou nationalistes, et d’autres par le coût de la vie plus bas.

Leur présence est perçue par la majeure partie de la communauté internationale comme un obstacle majeur à une paix durable, mais jusqu’à récemment, l’accent a été mis principalement sur les communautés de maisons plutôt que sur les avant-postes d’éleveurs.

En septembre, l’ONU a mis en garde contre la montée de la violence des colons dirigée contre les éleveurs palestiniens et qui les chasse de leurs maisons et de leur terre.

« Un total de 1.105 personnes de 28 communautés – environ 12 % de leur population – ont été déplacées de leurs lieux de résidence depuis 2022, dénonçant comme raison principale la violence des colons et l’empêchement par les colons d’accéder à leurs pâturages », a dit l’office des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

Maintenant, avec l’armée qui prépare une invasion terrestre de Gaza, les diplomates soucieux de sauver les otages à Gaza et d’éviter une guerre régionale et un climat de fureur nationale après le massacre de 1.400 personnes le 7 octobre, on prête peu attention à la Cisjordanie.

Dans un climat de peur pour les Palestiniens – l’association israélienne des droits de l’homme B’Tselem a dit que les soldats et les colons avaient tué 62 Palestiniens en 10 jours – le déplacement des bergers s’est accéléré, disent les militants.

Le Guardian est allé dans deux villages abandonnés en moins d’une semaine, Ein Rashash et Wadi a-Seeq, et un troisième où quelques familles parlaient de partir.

« C’était déjà le déplacement le plus important que nous ayons vu depuis les années 1970. Maintenant vous avez vu deux villages abandonnés en une semaine », a dit Shaul. « C’est dopé aux stéroïdes. »

Les colons éleveurs qui vivent près du village d’al-Mu’arrajat avaient commencé à arrêter les Palestiniens, leur demandant leurs cartes d’identité et leur disant qu’ils avaient 24 heures pour quitter leurs maisons, a dit Alia Mlehat, 27 ans.

Ils avaient empêché les gens de quitter le village, tiré les gens de leurs voitures, et conduit entre les maisons, a-t-elle dit. Ils avaient tous des fusils d’assaut et tiraient parfois en l’air.

« Depuis le début de la guerre, personne ne peut aller nulle part », a-t-elle dit. « C’est un lent processus d’intensification de la peur … il n’y a pas d’issue, car la guerre a restreint nos vies. »

Les seuls voyages hors de sa communauté étaient maintenant des voyages sans retour. « Un homme est déjà parti avec sa femme et ses enfants. Cinq autres familles pensent à partir », a-t-elle dit.

Les colons bergers israéliens avaient pris le contrôle de 10 % de la Zone C et de 6 % de toute la Cisjordanie en environ cinq ans, a dit Shaul, citant des chiffres compilés par Kerem Navot, association qui traque l’activité des colons.

Le refus d’accès aux pâturages ajoute une guerre économique à la violence physique. Enlever de la terre pour pâturer et faire pousser le fourrage oblige les bergers à vendre quelques animaux et, avec de plus petits troupeaux, ils gagnent moins d’argent et sont plus vulnérables aux maladies, blessures ou autres pertes.

« Les bergers palestiniens devraient se suffire à eux-mêmes en s’appuyant sur leurs moyens de subsistance établis. Au lieu de cela, ils ont besoin de l’aide humanitaire à cause de la violence des colons et de l’incapacité des autorités israéliennes à tenir les auteurs des faits pour responsables », a dit le rapport d’OCHA de l’ONU.

L’impact a été si grave qu’il peut correspondre à un crime de guerre, a ajouté la déclaration. En plus des démolitions, des évictions et des restrictions sur les déplacements et les constructions, l’attaque sur les éleveurs a créé « un environnement coercitif qui contribue à un déplacement qui peut s’apparenter à un transfert forcé, grave violation de la Quatrième convention de Genève. »

L’enclavement des terres d’élevage a par ailleurs laissé certains villages virtuellement assiégés, les gens étant obligés d’emprunter de longues routes de contournement vers une terre qui est près de chez eux, mais de l’autre côté d’une section revendiquée par les colons.

Dans les cas les plus extrêmes, les villageois ont tellement peur d’emprunter les routes contrôlées par les colons que des militants israéliens d’associations qui essaient de protéger les communautés de Bédouins – vivant avec eux, marchant avec eux quand ils gardent leurs troupeaux et documentant les violations – leur apportent de la nourriture et de l’eau.

Parfois, eux aussi deviennent des cibles. Hagar Gefen, 71 ans, a été frappée si violemment l’année dernière qu’elle s’est retrouvée à l’hôpital avec des côtes cassées et un poumon perforé.

« Rien ne pourrait me faire cesser », a dit Gefen, anthropologue dont le sens de l’humour égale le courage. » A moins peut-être qu’ils me coupent les jambes – vous devez être capable de marcher pour être avec les bergers. »

Personne n’a été poursuivi pour cette attaque, et les militants et les Palestiniens disent qu’ils n’ont aucune confiance dans les autorités israéliennes en Cisjordanie. L’ONU a dit que, dans quatre communautés sur cinq, les résidents avaient déposé des plaintes sur la violence des colons, mais seules 6 % ont eu des suites.

Pour de nombreuses communautés, le déplacement est un deuxième bouleversement piloté par l’État d’Israël et ses citoyens. La famille d’Al-Zawahri a été obligée par la force de quitter la région du Negev en 1948, et a erré plusieurs années avant de s’établir dans leurs maisons actuelles.

Ils espèrent que, quand la guerre sera finie, l’État d’Israël – ou la pression internationale – veillera à ce que ce nouvel exil ne soit pas permanent.

« Nous avons hâte que la guerre finisse, pour essayer de rentrer chez nous », a dit Ayoub al-Zawahri, 50 ans. « Nous vivons dans des endroits qui ne nous appartiennent pas. »