Une lettre ouverte d’employés appelle la Société Max Planck (SMP) à reconsidérer sa position sur Israël face aux actions génocidaires israéliennes
Nous, un groupe divers d’employés de la Société Max Planck (SMP), une institution de recherche de premier plan en Allemagne, écrivons cette lettre pour exprimer notre désapprobation sur la position prise par notre employeur sur Israël-Palestine et appelons à un sérieux changement de discours, aussi bien au sein de la SMP qu’en Allemagne dans l’ensemble, sur Israël-Palestine.
Le 11 octobre, la SMP a publié une « déclaration sur l’attaque terroriste contre Israël », qui commençait par une condamnation « des attaques horribles du Hamas contre Israël, avec la plus grande énergie possible ».
Elle se poursuivait par l’expression de la solidarité avec Israël, de désolation pour les pertes de vie israéliennes et autres et de sympathie pour les familles, les amis et les êtres chers affectés. Elle déplorait que des étudiants, de jeunes universitaires et d’autres employés d’universités et d’institutions de recherche soient « appelés en tant que réservistes » et elle réaffirmait un engagement à maintenir « des liens scientifiques et personnels étroits » avec les institutions de recherche en Israël et à s’appuyer sur ces liens pour « étendre le soutien partout où ce serait possible ».
La seule phrase mentionnant les Palestiniens conférait la responsabilité de leur « indicible souffrance » non pas à Israël ou à l’armée israélienne, mais au Hamas.
De nombreux employés de la SMP se sont désolidarisés de cette déclaration et il n’y a pas eu de déclarations suivantes ni d’actions de la SMP au cours des six derniers mois.
En novembre, le Président de la SMP, Patrick Cramer s’est rendu en visite en Israël, à l’Institut des Sciences Weizmann où il a exprimé son soutien aux chercheurs israéliens, sans un mot de critique des actions de l’armée israélienne à Gaza. En décembre, la SMP a annoncé qu’elle allouait un million d’euros à la collaboration de recherche germano-israélienne. Le programme cherche à « aider à stabiliser la communauté scientifique d’Israël, leader mondial, pendant la crise actuelle ».
La façon dont le programme a été présenté au public reflète la perception de la direction de la SMP selon laquelle il n’y a qu’une victime ayant besoin de soutien – la communauté des chercheurs israéliens qui, supposément, souffre gravement des conséquences « de l’attaque du Hamas contre Israël » – signifiant ainsi que, seule la communauté des chercheurs souffre de la guerre menée sans relâche par Israël contre Gaza. La raison pour laquelle l’argent des contribuables allemands devrait être utilisé à stabiliser une communauté de chercheurs touchée par les actions de son propre gouvernement nous demeure inexplicable.
D’un autre côté, pas un seul euro, ni bien sûr pas un seul mot, ne sont allés à l’offre d’une quelconque aide aux communautés scientifiques de Gaza et de Cisjordanie, qui sont les premières victimes de la guerre menée par Israël et de sa politique d‘occupation violente. Selon une déclaration d’Euro-Med Human Rights Monitor, « l’armée israélienne a tué 94 professeurs d’université, ainsi que des centaines d’enseignants et des milliers d’étudiants, dans le cadre de la guerre génocidaire contre les Palestiniens de la bande de Gaza ».
En février, un article est paru dans le journal allemand Die Welt, qui attaquait l’éminent intellectuel libano-australien Ghassan Hage, employé par l’Institut Max Planck comme anthropologue social, matière qui fait partie de l’enseignement de la SMP. Quelques jours après, la SMP annonçait qu’elle le licenciait pour avoir « exprimé des points de vue incompatibles avec les valeurs qui sont au cœur de la Société Max Planck ». Hage s’était montré critique d’Israël dans ses posts en ligne.
Une lettre ouverte de chercheurs de Max Planck a circulé, demandant de revenir sur cette décision. Nous soutenons cette lettre de même qu’une déclaration antérieure de collègues publiée le 17 décembre qui demandait de reconsidérer cette position de soutien inconditionnel à Israël et à ses institutions académiques dans leur ensemble.
Les événements des derniers mois ont pleinement confirmé qu’une telle reconsidération est absolument nécessaire. En particulier, en tant que membres de la SMP, nous ne devrions pas soutenir l’assassinat indiscriminé de civils, la destruction massive d’infrastructures civiles et un déni presque total des conditions humanitaires qui sont celles des Palestiniens de Gaza.
Dans sa déclaration du 26 janvier, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a placé Israël dans l’obligation de prendre toutes les mesures possibles pour protéger la vie des civils à Gaza, pour garantir la fourniture de services de base et d’aide humanitaire adéquate et pour prendre toutes mesures visant à empêcher d’inciter à et de commettre des actes de génocide. Rien de tout cela ne s’est produit jusqu’à présent. Au contraire, Israël poursuit sa campagne inhumaine d’annihilation de Gaza sans aucune honte.
La participation à l’Holocauste de scientifiques de la part de la précédente SMP, la Société du Kaiser Wilhelm, nous oblige à nous solidariser contre tous les crimes contre l’humanité et contre la possibilité de génocide. « Plus jamais ça » doit être « Plus jamais ça maintenant ». En tant qu’héritiers de ce passé, nous avons quatre exigences pour un changement rapide de la position de la SMP sur Israël-Palestine :
Pour se conformer aux dispositions prises par la CIJ enjoignant de tout faire pour protéger les civils à Gaza, nous exigeons que la SMP appelle à un cessez-le-feu immédiat, total et inconditionnel.
Nous exigeons que la SMP prenne une position claire contre la longue occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem Est par Israël et contre sa violence à l’égard du peuple palestinien.
Nous exigeons que la SMP accorde à la reconstruction des institutions scientifiques de Gaza le même montant qu’au programme israélien. C’est d’autant plus important que toutes les universités de Gaza ont été complètement détruites.
Enfin, nous exigeons une déclaration publique de la SMP expliquant si – et si c’est le cas, de quelle manière – elle a été et continue d’être impliquée dans des recherches duales, c’est-à-dire pouvant être utilisées pour des objectifs pacifiques aussi bien que militaires, avec ses partenaires académiques d’Israël.
Toute poursuite du soutien unilatéral et inconditionnel aux institutions académiques israéliennes de la part de la SMP menace de faire de la SMP et de tous ses membres des complices des crimes commis par Israël à Gaza – ce que nous rejetons catégoriquement.
En sus de ces aspects immédiats de moralité, de droit et de justice, nous, chercheurs de la SMP, souhaitons soulever quelques questions pertinentes de signification politique et académique, longtemps laissées de côté :
Quels sont les effets de l’exclusion de Palestiniens de la façon dont la SMP a établi sa relation historique avec l’État d’Israël ?
Comment le fait de collaborer avec des scientifiques en Israël mais non en Palestine a-t-il formaté le contenu et les contours du savoir scientifique produit ?
Comment cette collaboration est-elle enchevêtrée à la formation de la violence structurelle envers les Palestiniens, que ce soit en Israël, à Gaza ou en Cisjordanie et à Jérusalem Est ?
Dans un contexte de censure publique et de calomnie des voix divergentes sur cette question en Allemagne – qui nous a motivés à ne pas signer cette lettre de nos noms – la SMP ne ressent-elle pas une obligation d’encourager et d’appeler activement à un dialogue ouvert et critique sur Palestine-Israël, au sein de son organisation et, encore plus important, dans la sphère publique allemande plus largement ?
Comment pouvons-nous, étant un grand groupe de chercheurs de nationalités diverses vivant en Allemagne, aider à construire des ponts, non seulement entre l’Allemagne et l’État d’Israël mais aussi avec la Palestine et, ce faisant, à alimenter un avenir plus pacifique et juste ?
Ces questions et d’autres appellent d’urgence une discussion objective et critique tant au sein de la SMP que dans l’ensemble de la communauté académique en Allemagne et dans le monde s’il s’agit d’empêcher de nouvelles explosions de violence horrible, et notre complicité dans leur perpétration.