La « loi d’invasion de La Haye » autorise l’armée à libérer par la force des citoyens des États-Unis ou des nations alliées s’ils sont arrêtés pour des crimes de guerre.
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L’étonnante émission des mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité a complètement changé la donne. Après des années d’impunité, ceux qui ont déclenché la campagne génocidaire d’Israël à Gaza récoltent enfin ce qu’ils ont semé.
Ces accusations contre Netanyahou et Gallant sont considérables. C’est la première fois que la CPI a émis des mandats d’arrêt contre un responsable israélien pour des crimes contre le peuple palestinien. C’est seulement la deuxième fois en 22 ans d’existence que la CPI a émis un mandat d’arrêt contre quelqu’un qui ne vient pas du continent africain.
Des organisations palestiniennes de défense des droits humains, Al-Haq, le Centre Al Mezan pour les droits humains et le Centre palestinien des droits humains, ont appelé la décision de la CPI « un moment historique et crucial dans la lutte contre l’impunité d’Israël, une lutte dans laquelle le peuple palestinien s’est vu dénier toute justice et a été soumis pendant des décennies à un régime génocidaire d’apartheid et de colonialisme de peuplement. »
L’histoire de l’ébranlement de la CPI par les États-Unis
Les États-Unis ont eu une relation tendue avec la CPI même avant même qu’elle ne commence à fonctionner, en 2002. Alors que le président Bill Clinton quittait ses fonctions, il a signé le Statut de Rome de la Cour, en affirmant : « Je crois qu’une Cour pénale internationale adéquatement constituée et structurée aura un profond impact pour dissuader de commettre des violations flagrantes des droits humains dans le monde entier, et que cette signature augmente les chances de discussions productives avec d’autres gouvernements pour faire avancer ces objectifs dans les mois et les années à venir. »
Mais Clinton a incité le nouveau président entrant George W. Bush à s’abstenir d’envoyer le texte au Sénat pour obtenir son avis et son consentement à la ratification. Bush est même allé plus loin et, dans une démarche sans précédent, il a dé-signé le traité au nom des États-Unis. Depuis, les États-Unis ont constamment essayé d’ébranler la CPI.
En 2003, le Congrès a voté, et Bush a signé, la loi de protection des membres des services armés et gouvernementaux des États-Unis, connu sous le nom de « loi d’invasion de La Haye ». Elle dit que si un citoyen des États-Unis ou d’un pays allié est détenu par la CPI à La Haye, Pays-Bas, l’armée américaine peut utiliser la force armée pour l’en libérer. Cela s’appliquerait à Israël, un proche allié des États-Unis.
Le gouvernement Bush a effectivement fait un chantage à 100 pays qui étaient des parties prenantes du Statut de Rome en les forçant à signer des accords d’immunité bilatéraux dans lesquels ils promettaient de ne pas remettre des citoyens des États-Unis à la CPI sous peine de voir les États-Unis leur retirer l’aide étrangère.
Le chef de la majorité au Sénat, John Thune, a introduit une législation bipartite pour sanctionner les procureurs de la CPI qui essaient de déposer des plaintes contre des responsables israéliens. Quarante-deux Démocrates ont voté en faveur de la version de la motion de Thune à la Chambre des députés.
Quand il était président, Donald Trump a imposé des sanctions aux procureurs de la CPI en représailles pour des enquêtes du tribunal sur des dirigeants israéliens et sur des responsables des États-Unis, à cause de crimes de guerre commis en Afghanistan. Bien que le président Joe Biden ait annulé l’ordonnance de Trump en 2021, il a réitéré « l’objection de longue date du gouvernement des États-Unis aux tentatives de la Cour pour faire valoir sa juridiction » sur du personnel israélien et américain.
Le gouvernement Biden, qui a envoyé au moins 17, 9 milliards de dollars d’aide militaire à Israël depuis le 7 octobre 2023, a dénoncé les accusations contre Netanyahou et Gallant. Un porte-parole du Conseil de la sécurité nationale a dit dans une déclaration que la CPI n’a pas juridiction sur Israël, que les États-Unis consultent Israël sur « les prochaines étapes » et que « les États-Unis rejettent fondamentalement la décision de la Cour d’émettre des mandats d’arrêt contre de hauts responsables israéliens ».
En fournissant un soutien militaire et une couverture diplomatique à Israël, les dirigeants américains pourraient être accusés, selon le Statut de Rome, d’avoir aidé et favorisé les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité d’Israël. Mais la CPI ne lancera probablement pas de telles accusations.
Le gouvernement des États-Unis jouera-t-il les trouble-fête de la justice internationale en envahissant La Haye pour libérer les responsables israéliens s’ils sont arrêtés ? Le sénateur Tom Cotton (Républicain, Arkansas) a répondu aux mandats d’arrêt en invoquant l’Acte d’invasion de La Haye. « Malheur à [la Cour] et à quiconque essaie d’appliquer ces mandats illégaux », a-t-il averti. « Laissez-moi leur rappeler amicalement quelque chose : la loi américaine sur la CPI est connue sous le nom de Loi d’invasion de La Haye pour une bonne raison. Pensez-y. »
Le crimes de guerre d’affamement en tant que forme de guerre et les attaques intentionnelles contre des civils
Le 21 novembre — 441e jour de la campagne génocidaire d’Israël, qui a tué plus que 44000 Palestiniens — la Chambre préliminaire I de la CPI a annoncé qu’elle avait trouvé des motifs raisonnables de penser que Netanyahou et Gallant étaient co-coupables de crimes de guerre, en particulier l’affamement comme forme de guerre, commis depuis au moins le 8 octobre 2023 jusqu’à au moins le 20 mai 2024, jour où le procureur a déposé les demandes de mandats d’arrêt.
La Chambre a découvert des motifs raisonnables de croire que Netanyahou et Gallant « ont privé intentionnellement et sciemment la population civile de Gaza d’objets indispensables à leur survie, en particulier de nourriture, d’eau, de médicaments et de fournitures médicales, ainsi que de combustible et d’électricité ». La Chambre a noté le rôle de Netanyahou et Gallant « pour entraver l’aide humanitaire en violation du droit humanitaire international et pour refuser de faciliter les secours par tous les moyens à leur disposition ».
De plus, les décisions prises par les deux responsables israéliens afin d’autoriser ou même d’augmenter l’aide humanitaire « n’étaient pas faites pour remplir les obligations d’Israël selon le droit humanitaire international et pour garantir que la population civile de Gaza serait adéquatement approvisionnée en biens nécessaires », a conclu la Chambre. Ils étaient, au contraire, « une simple réponse à la pression de la communauté internationale ou à des requêtes des États Unis d’Amérique ».
La Chambre a trouvé aussi des motifs raisonnables de penser que Netanyahou et Gallant portent une responsabilité pénale en tant que hauts responsables civils pour le crime de guerre consistant à diriger intentionnellement une attaque contre la population civile.
Crimes contre l’humanité : meurtre, persécution et autres actes inhumains
La Chambre préliminaire I a découvert des motifs raisonnables de penser que Netanyahou et Gallant étaient co-coupables de crimes contre l’humanité : ceux de meurtre, de persécution et d’autres actes inhumains, pendant la même période.
« Le manque de nourriture, d’eau, d’électricité et de combustible, et de fournitures médicales spécifiques, a créé des conditions de vie calculées pour amener la destruction d’une partie de la population civile de Gaza, ayant pour conséquence la mort de civils, dont des enfants, de malnutrition et de déshydratation », a conclu la Chambre. Donc, « il y a des motifs raisonnables de penser que le crime contre l’humanité de meurtre a été commis en relation avec ces victimes ».
De plus, « en limitant intentionnellement ou en empêchant l’entrée dans Gaza de fournitures médicales et de médicaments … les deux individus sont aussi responsables d’infliger de grandes souffrances par des actes inhumains sur des personnes qui ont besoin de traitement », a affirmé la Chambre. « Cela revient à un crime contre l’humanité, celui d’autres actes inhumains ».
La Chambre a aussi trouvé des motifs raisonnables de penser que la conduite de Netanyahou et de Gallant « a privé une portion importante de la population civile de Gaza de leurs droits fondamentaux, dont les droits de vie et de santé, et que la population a été ciblée sur la base de motifs politiques et/ou nationaux ». Elle a conclu par conséquent qu’ils commettaient un crime contre l’humanité , celui de persécution.
Netanyahou a dénoncé les mandats d’arrêt
La dénonciation par Netanyahou des mandats d’arrêt a été rapide et forte. Il a appelé la décision de la CPI « une démarche antisémite avec un objectif : me dissuader, nous dissuader, d’exercer notre droit naturel pour nous défendre contre nos ennemis, qui cherchent à nous détruire. » Il a dénoncé la Cour comme étant biaisée et a dit que ses accusations de « crimes fictifs » sont « absurdes » et « distordues », ajoutant : « C’est une banqueroute morale » qui altère le « droit naturel des démocraties à se défendre contre un terrorisme meurtrier ».
L’allégation d’Israël sur l’auto-défense est fallacieuse. Dans son opinion consultative de 2004 sur les « Conséquences juridiques de la construction d’un mur dans le Territoire occupé palestinien », la CIJ a établi la non-applicabilité de l’auto-défense dans la situation entre Israël et le Territoire palestinien occupé, sous l’article 51 de la Charte des Nations Unies. En fait, la Quatrième Convention de Genève requiert qu’Israël, comme puissance occupante, protège le peuple palestinien occupé. Et ce sont les actions génocidaires d’Israël, pas les mandats d’arrêt de la CPI, qui fomentent l’antisémitisme. L’opposition répandue au génocide n’est pas basé sur l’antisémitisme, mais plutôt sur la répulsion devant les atrocités qu’Israël commet contre le peuple palestinien.
La Chambre a rejeté l’allégation d’Israël selon laquelle la CPI n’a pas juridiction sur la situation en Palestine. Le fait qu’Israël n’est pas partie du Statut de Rome n’est pas un obstacle à la juridiction de la CPI, a conclu la Chambre. L’État de Palestine a été un État partie du Statut de Rome depuis 2015. Le tribunal a cité sa décision de février 2021, dans laquelle la Chambre préliminaire I a décidé que le tribunal pouvait exercer une juridiction pénale sur la Situation en Palestine et que l’étendue territoriale de cette juridiction incluait Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.
Des parties du Statut de Rome disent qu’elles enverraient Netanyahou et Gallant à La Haye
Maintenant, les 124 États parties du Statut de Rome ont l’obligation légale d’arrêter Netanyahou et Gallant et de les envoyer devant la CPI s’ils sont pris dans le territoire de leur État. Plusieurs États parties — dont le Canada, l’Italie, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas — ont exprimé leur intention de satisfaire à leur devoir légal.
« Les États qui ont signé la convention de Rome sont obligés d’appliquer la décision de la Cour. Ce n’est pas optionnel », a dit le Haut Représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, lorsqu’il était à Chypre pour une réunion avec des militants de la paix israéliens et palestiniens.
Mais si le pays envoie Netanyahou et Gallant à La Haye, les États-Unis pourraient bien envoyer leurs troupes pour les en libérer.