L’Université de Columbia s’apprête à ouvrir un centre d’enseignement en Israël provoquant une vive réaction des enseignants

Les projets de l’Université de Columbia d’ouvrir un centre d’enseignement en Israël est critiquée par les membres du corps enseignant.

Au début du mois, l’Université de Columbia a annoncé qu’elle ouvrirait un nouveau site à Tel Aviv dans le cadre de son programme de Centres Mondiaux (Global Centers).

« Le Centre s’appuiera sur l’expertise et l’expérience de Columbia et établira un lien entre les professeurs et les étudiants et les experts et les ressources en Israël et dans l’ensemble de la région », peut-on lire dans un communiqué de l’école. « Entre autres choses, on trouvera dans les priorités initiales du Centre le changement climatique, la technologie et l’entreprenariat, et des aspects des arts et des sciences humaines, ainsi que la biologie, la santé publique et la médecine. Une priorité supplémentaire consistera à offrir un apprentissage collaboratif et des opportunités de recherche, et un travail avec des pairs, aux étudiants de Columbia de premier et de deuxième cycles. »

La lettre de Franke

En février, Katherine Franke, professeur de Droit à la chaire James L. Dohr de la Faculté de Droit de Columbia, a commencé à faire circuler une lettre en opposition à ce centre à cause du traitement des Palestiniens par Israël et de la politique de ce gouvernement. « Il sera impossible pour l’Université d’annoncer la création de ce nouveau Centre Mondial et d’éviter de donner l’impression qu’il soutient ou légitime le nouveau gouvernement », est-il écrit.

Près de 100 membres du corps enseignant ont signé la lettre avant la fermeture de la signature en mars.

La lettre soulève aussi des inquiétudes au sujet de la liberté académique et de l’incapacité d’Israël à se conformer à la loi des États-Unis sur la non-discrimination. En 2017, Israël a voté une loi interdisant essentiellement aux soutiens étrangers du Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) d’entrer dans le pays. En 2018, Franke, avec trois autres membres d’une délégation humanitaire, se sont vus refuser l’entrée dans le pays à cause de l’association du professeur avec le mouvement BDS. Franke, qui a été détenue et interrogée pendant quatorze heures, a raconté en détails cette affligeante saga dans une interview avec The Nation :

On ne m’a pas donné l’opportunité de raconter à l’officier d’immigration qui me détenait l’objet de mon voyage comme je viens de le décrire, parce qu’il était convaincu que je venais dans la région pour promouvoir le mouvement de Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS). Je lui ai dit que j’étais déjà venue en Israël environ une demie-douzaine de fois, la première fois en 2000 et plus récemment en octobre dernier : toutes ces visites étaient en lien avec mon travail. Il y a plusieurs années, j’ai été embauchée par l’UE pour renforcer les capacités du Comité des Femmes de l’Association palestinienne Bar. En octobre dernier, j’ai été invitée par Adalah à parler de la liberté académique dans une conférence à Bethléem avec des Étudiants en Droit palestiniens.

Après lui avoir dit que ce voyage était un mélange de travail et de tourisme, l’interrogatoire a pris un tour plus hostile : Il m’a hurlé après : « Vous êtes ici pour promouvoir le BDS en Palestine, n’est-ce pas ? » J’ai répondu que ce n’était pas du tout le cas. Il a à nouveau hurlé : « Vous mentez ! » Il m’a alors demandé si j’étais bénévole dans quelque association que ce soit aux États-Unis. Je ne savais pas très bien où il voulait en venir, alors j’ai dit que j’étais bénévole dans beaucoup d’associations, y compris le CCR [groupe de rock américain]. Il a alors aboyé : « Vous travaillez pour JVP [Voix Juives pour la Paix], n’est-ce pas vrai ? » J’ai dit que je ne travaillais pas pour JVP, ce qui est vrai. « Vous facilitez mon travail, vous me mentez », a-t-il dit, me montrant alors son téléphone portable qui affichait ce que j’ai pensé être la page de la Mission Canary me concernant. Et ça a duré plus d’une heure.

En 2019, les députées Ilhan Omar (du Minnesota) et Rashida Tlaib (du Michigan) se sont vues elles aussi refuser l’entrée dans le pays sous prétexte qu’elles soutenaient BDS. « Nous ne permettrons pas à ceux qui refusent notre droit à exister dans ce monde d’entrer en Israël. Sur le principe, c’est une décision parfaitement justifiée » a dit alors la ministre adjointe des Affaires étrangères d’Israël Tzipi Hotovely.

Lettre de soutien du corps enseignant et liens de l’école avec Israël

En réponse à la démarche de Franke, plus de 100 membres du corps enseignant de Columbia ont rédigé une lettre de leur côté. Cette lettre exprime le soutien à ce nouveau centre et vise à éloigner sa construction du régime de Netanyahou. « On n’a pas besoin de soutenir la politique de l’actuel gouvernement d’Israël – et beaucoup d’entre nous ne le font pas – pour reconnaître que singulariser ainsi Israël est injustifié », est-il écrit.

Nicholas Lemann, professeur à l’École de Journalisme de Columbia et organisateur de la seconde lettre, a dit au New York Times qu’un centre de ce genre était nécessaire à cause des nombreux liens de l’université avec Israël.

« Beaucoup d’anciens élèves vivent là-bas, beaucoup d’étudiants et de professeurs y vont régulièrement, beaucoup de gens travaillent avec des chercheurs des universités israéliennes », a dit Lemann. « Il y a là-bas un riche et constant échange et y avoir ce centre l’enrichirait encore plus. »

Columbia a certainement de multiple liens avec Israël, mais ceux-ci ont fait l’objet d’une surveillance plus approfondie ces dernières années. Après que l’école ait annoncé en 2019 un programme à double diplôme avec l’Université de Tel Aviv (UTA), les étudiants ont fait circuler une pétition condamnant cette démarche. « Comment Columbia peut-elle mettre en place un programme académique avec l’Université de Tel Aviv sans cosigner la perpétration de crimes de guerre et les violations des droits de l’homme contre les Palestiniens, étant donné l’intégration de l’UTA dans le complexe militaro-industriel israélien ? » était-il demandé.

En 2020, l’Université de Columbia a voté un referendum appelant l’école à désinvestir ses « actions, liquidités et dotations » des « entreprises qui tirent profit ou s’engagent dans les actions d’Israël contre les Palestiniens ». Le vote s’est conclu avec 61 % de Oui et 27,4 % de Non, et 11,6 % d’abstentions. Le corps électoral était constitué de presque 40 % des étudiants inscrits.

Le président de Columbia, Lee Bollinger, a immédiatement exprimé sa position envers le referendum et a clairement dit que l’école ne se désinvestirait d’aucune entreprise à propos d’une question aussi « complexe ».

Rashid Khalidi qui tient la chaire Edward Saïd d’Études d’Arabe Moderne à Columbia a comparé la réaction de Bollinger à celle de l’ancien président Donald Trump quand il a nié le résultat de l’élection de 2020. « Lorsque les étudiants s’expriment de façon aussi décisive, on pourrait penser que le président d’une université qui dépend aussi largement des frais de scolarité des étudiants aurait au moins un geste de respect pour leur opinion exprimée démocratiquement », a dit Khalidi à Mondoweiss peu après que Bollinger ait fait sa déclaration. « Je ne suggère pas que les étudiants devraient décider de la politique d’investissement. Je suggère qu’on devrait avoir du respect pour leurs opinions et cette démarche manquait de respect pour les opinions de la grande majorité des étudiants du Collège de Columbia. Alors oui les administrateurs sont importants, oui les donateurs sont importants, oui la politique environnementale est importante, oui vous ne pouvez pas décider d’investissements sur un seul vote, mais pourquoi ne pas voir ce que la totalité de la communauté universitaire pense ? Dans tous les cas, un peu de respect ne ferait pas de mal. »