Je suis arabe, palestinienne et citoyenne d’Israël – j’ai le droit de définir ma propre identité

L’État d’Israël ne nous a jamais acceptés en tant que citoyens jouissant de droits égaux, écrit la réalisatrice Suha Arraf. Depuis le jour de la création de l’État, nous avons été identifiés comme l’ennemi et avons subi la discrimination raciale dans tous les aspects de la vie. Pourquoi, dans ce cas, devrais-je représenter Israël avec fierté ?

Au cours des dernières semaines, j’ai fait l’objet d’attaques de la part du public et des media. J’ai subi cette attaque diffamatoire pour avoir défini mon film « Villa Touma » comme film palestinien, bien que l’essentiel du financement vienne de fondations publiques de l’État d’Israël. Au plus fort de l’attaque, j’ai refusé de répondre car je sentais que personne n’était prêt à m’écouter de toute façon, et que mes paroles seraient seulement utilisées contre moi. Maintenant il me semble que le temps est venu d’expliquer ma position.

Les films appartiennent à ceux qui les font – le producteur, le réalisateur, le scénariste. Ils n’appartiennent jamais aux organisations qui contribuent à leur financement et ils n’appartiennent certainement jamais à des pays. Je définis mon film comme un film palestinien parce que je suis avant tout palestinienne et que son histoire est dite de mon point de vue, qui est un point de vue palestinien. C’est l’histoire de quatre Palestiniennes chrétiennes qui vivent à Ramallah. La seule langue parlée dans le film est l’arabe et il n’y a pas de personnages juifs-israéliens.

Les institutions israéliennes qui soutiennent des cinéastes n’imposent pas comme condition que les films soient rattachés à une identité particulière. Même si j’avais choisi de définir mon film comme palestinien, cela ne voudrait pas dire qu’il aurait été financé par l’Autorité palestinienne ou par « l’État de Palestine », pas plus que cela n’est en contradiction avec le fait que le producteur du film est un citoyen israélien.

Je suis arabe, palestinienne et citoyenne de l’État d’Israël. J’ai le droit de mettre en avant ma nationalité lorsque je présente mon film au monde et il n’y a pas de loi dans l’État d’Israël qui m’interdise d’agir ainsi. Pour moi, l’identité d’un film est celle de son créateur.

En fait, il existe des contre-exemples. Alors que de nombreux films réalisés par des Israéliens juifs sont financés par des fondations européennes, ils sont identifiés comme israéliens. Est-ce qu’il viendrait jamais à l’esprit de quelqu’un du Ministère allemand de la culture de prétendre que le film de Shmuel Maoz, « Liban », était un film allemand uniquement parce que des organismes allemands ont apporté plus de 70% de son budget ?

Malgré tout cela, à la suite de ce tapage à mon encontre, comme si j’avais commis un délit, j’ai décidé de faire un compromis et d’enlever le terme « Palestine » de la présentation du film et de le montrer dans des festivals simplement sous mon nom. Toutes les institutions israéliennes qui ont cofinancé le film sont bien sûr mentionnées comme il se doit, au début et à la fin du film, avec les éléments de communication tels que l’affiche et le dossier de presse destiné à la presse internationale.

Oui, le film est répertorié sans appartenance étatique, un « réfugié », ce qui reflète le mieux mon statut complexe dans ce pays – une Palestinienne ayant une identité nationale et une citoyenneté ni pertinentes ni désirées.

Dans son texte en hébreu qui a pour titre « Et prendre de l’argent d’Israël, c’est acceptable ? » (Haaretz 11 août 2014), Goel Pinto soutient que si j’ai accepté de l’argent d’un pays, je suis tenue de montrer ma gratitude en définissant mon film comme israélien et en représentant Israël avec fierté. Mais Pinto oublie que le gouvernement israélien ne nous accorde aucune faveur à nous les citoyens palestiniens, en termes de bourses ou de budgets. Un million et demie de Palestiniens environ vivent dans l’État d’Israël et paient des impôts conformément à la loi. Aussi avons-nous le droit de bénéficier de 20% du budget public, en fonction de notre proportion dans la population.

Si quelqu’un doit se plaindre ici, c’est nous, puisque les institutions culturelles arabes-palestiniennes reçoivent moins de 2% du budget de la culture et nous recevons moins de1% du budget du cinéma. Les réalisateurs juifs, pas nous, sont ceux qui bénéficient le plus d’un retour de nos impôts.

L’État d’Israël ne nous a jamais acceptés en tant que citoyens jouissant de droits égaux. Depuis le jour de la création de l’État, nous avons été identifiés comme l’ennemi et avons subi la discrimination raciale dans tous les aspects de la vie. Pourquoi, dans ce cas, devrais-je représenter Israël avec fierté ? Est-ce qu’en tant que réalisatrice de films je deviens automatiquement une employée du service diplomatique du ministère des affaires étrangères ? Quand le ministère des affaires étrangères lance un appel, sans honte, à boycotter les propriétaires d’entreprises palestiniennes, sans parler de son plan de transfert, suis-je censée travailler pour lui ?

La minorité palestinienne en Israël a un droit à l’autonomie culturelle. Nous avons un droit fondamental non seulement à faire des films qui reflètent notre identité culturelle, mais aussi à les définir en tant que tels. Si l’État d’Israël se considère comme un État démocratique et pluraliste, il doit nous donner cette liberté et faire cesser les campagnes incitant à agir contre les artistes palestiniens qui réussissent à se faire connaître au-delà de ses frontières et osent relever la tête.