‘Je pleurais’ : Le calvaire des enfants palestiniens blessés en détention israélienne

Détenus après avoir été frappés par balles par les forces israéliennes, de jeunes Palestiniens racontent leurs souffrances alors que le personnel pénitentiaire et les soldats leur refusent des soins médicaux d’urgence.

Les enfants palestiniens détenus par les forces israéliennes après avoir été blessés par balles souffrent de négligence médicale en détention, ce qui exacerbe leurs conditions de santé physique et mentale, d’après les témoignages partagés avec Middle East Eye (L’Oeil du Moyen Orient).

La vie du jeune Palestinien de 13 ans Amir Al-Biss a été bouleversée depuis qu’il a été blessé par balles et arrêté par des soldats israéliens au début du mois de mars.

Bien qu’Amir ait été relâché le 13 mars, il souffre toujours de deux blessures par balles à la jambe droite. Il reste alité et ne peut pas aller aux toilettes tout seul.

L’attaque a eu lieu le 4 mars alors qu’Amir marchait dans la rue adjacente au camp Al-Arroub, au nord d’Hébron en Cisjordanie occupée. Il s’est retrouvé face à un groupe de soldats israéliens qui ont tiré directement sur lui.

« Il marchait seul sans représenter le moindre danger pour les soldats, mais ils lui ont tiré dessus sans avertissement. Il a été frappé à la jambe par deux balles explosives et a été immédiatement arrêté et transféré dans une ambulance israélienne », dit le père d’Amir, Mohamed Al-Biss.

Bien que les nouvelles de l’attaque soient parvenues à la famille d’Amir, ils n’ont su où il se trouvait que trois jours plus tard, grâce à un avocat. Ses parents étaient anxieux parce qu’ils n’avaient aucune information sur son état de santé. Leur demande de le voir pendant sa détention a été rejetée.

Son père a dit qu’Amir était passé par des journées difficiles au Centre Médical israélien Shaare Zedek, où il était enchaîné à un lit et gardé sous stricte surveillance par des soldats israéliens qui lui ont demandé de marcher malgré la grave blessure à sa jambe.

Envoyé en prison

D’après le père d’Amir, les balles ont fracassé l’os de sa jambe, ce qui lui cause encore de sévères douleurs qui l’empêchent parfois de dormir. Après plusieurs jours à l’hôpital, il a été transféré dans la tristement célèbre prison de Ramla, où il a été soumis à de mauvais traitements et à des abus par les gardes israéliens.

« L’un des gardes l’a poussé au sol sur sa jambe blessée, ce qui lui a provoqué une douleur et un saignement sévères, et il n’était pas nourri correctement et ne pouvait pas réaliser tout seul ses besoins quotidiens, ce qui a affecté son état mental », a ajouté son père.

Amir a été libéré après le paiement d’une amende par sa famille, mais il souffre toujours de sa blessure et attend d’être transféré à l’hôpital pour entamer un long parcours de soins qui va peut-être l’empêcher de jouer avec ses amis pendant de nombreux mois.

Au cours de 2022, le Centre Palestinien d’Études sur les Prisonniers, association palestinienne de défense des droits, a fait état de l’arrestation de plus de 850 enfants par les forces d’occupation israéliennes, dont 45 de moins de 12 ans. Parmi les détenus, il y avait plusieurs enfants qui avaient été blessés par les balles de soldats avant leur arrestation, et qui tous avaient souffert d’une négligence médicale délibérée.

Le centre explique que la majorité des enfants détenus ont été soumis à une ou plusieurs formes d’humiliation et de torture physique et psychologique, grâce à toute une série d’outils et de méthodes systématiques qui violent les normes et les conventions internationales sur les droits de l’enfant.

Ces violations commencent réellement dès l’instant de l’arrestation et se poursuivent pendant la période d’enquête et la détention.

D’après le centre, les forces d’occupation israéliennes ont arrêté plus de 10 enfants en 2022 après les avoir atteints par balles et blessés, certains gravement. Les garçons blessés étaient souvent « laissés en train de saigner » avant d’être emmenés pour des soins.

L’association de défense des droits a ajouté qu’ils étaient soumis à des enquêtes inhumaines et des interrogatoires à l’intérieur de l’hôpital, et certains d’entre eux ont été transférés assez rapidement dans des centres d’interrogatoire avant d’être complètement guéris.

Jambe amputée à la suite de négligence

Le 10 octobre 2015, Jalal Al-Sharawneh, alors âgé de 17 ans, a été blessé à la jambe par les balles d’un colon. Des soldats israéliens l’ont alors arrêté sous l’inculpation de détention d’une arme et de présence dans la colonie de Negohot à l’ouest d’Hébron, non loin de la ville de Deir Samet où vit Jalal.

Jalal a perdu connaissance à cause de l’importance de la douleur et s’est réveillé enchaîné à un lit du Centre Médical Shamir (Assaf Arofeh). Dès son réveil, un enquêteur israélien est entré dans la chambre et a commencé à interroger Jalal sur la raison de sa présence dans la colonie.

« J’ai regardé ma jambe et j’ai vu qu’elle était enveloppée dans un linge blanc et qu’elle saignait encore. Je ne pouvais pas la bouger. L’agent m’a posé plusieurs questions et je sentais la douleur dans tout mon corps. Je lui ai dit que je ne savais rien, et alors il m’a donné un coup sur ma blessure et a continué à m’interroger malgré mon état précaire », a dit Jalal à MEE.

Cette situation s’est poursuivie pendant plusieurs jours : douleur sévère, impossibilité de bouger la jambe, et interrogatoire dans la chambre d’hôpital.

Un mois plus tard, Jalal a été sorti de l’hôpital avant la fin de son traitement et a été transféré dans la prison de Ramla (également connue sous le nom d’Ayalon) afin que les Israéliens puissent compléter leur interrogatoire.

Il a dit que, pendant les séances d’interrogatoire en prison, sa jambe saignait, mais l’interrogateur ne s’est pas soucié de son état.

A cause de la négligence médicale, l’état de Jalal a empiré. Après des semaines de détention dans des cellules d’interrogatoire, et compte tenu des conditions de froideur rigoureuse et de l’indifférence de l’administration pénitentiaire israélienne, les médecins de la prison ont informé le garçon que sa jambe devait être amputée.

« J’ai pleuré à ce moment là parce que je ne pouvais imaginer de la perdre, mais l’état dans lequel j’étais à cause de la négligence médicale délibérée dans la prison israélienne était indescriptible », a-t-il dit à MEE.

« Ma jambe amputée a été remise à ma famille qui l’a enterrée. Je suis resté de nombreux mois en prison, souffrant des conséquences physiques et psychologiques sans recevoir aucun soin particulier. »

Jalal a passé trois ans et quatre mois en prison, durant lesquels il a essayé de se résoudre à sa nouvelle réalité, mais les conditions carcérales étaient plus difficiles qu’il n’avait imaginé.

« J’avais des difficultés à me déplacer à l’intérieur de la prison et des prisonniers m’ont aidé à faire face à mes besoins quotidiens », a-t-il ajouté. « Les médecins de la prison ne se sont pas inquiétés de ma santé et on ne m’a pas fourni de béquilles pour m’aider à marcher, sauf pour aller aux audiences du tribunal. La douleur à l’endroit de l’amputation était terrible… Je ne peux pas l’oublier, je ne peux pas. »

Des pleurs la nuit

L’ancien prisonnier Muhammad al-Qecq, qui a mené une grève de la faim dans les prisons israéliennes, a été transféré en 2016 à la prison de Ramla, où il a rencontré un certain nombre d’enfants blessés.

« J’ai fait la connaissance de deux enfants, Omar Al-Rimawi et Ayham Sabah, dont chacun avait des blessures dues à plusieurs balles. Ils pleuraient la nuit à cause de l’importance de la douleur et parfois criaient parce qu’il n’y avait aucune réponse de l’administration pénitentiaire », a-t-il expliqué.

Qecq soutient que l’administration pénitentiaire utilise les blessures des enfants prisonniers comme moyen de pression et de torture contre eux.

A la demande d’un avocat, les deux enfants étaient supposés être emmenés aux audiences du tribunal dans une ambulance spéciale, mais le personnel de la prison les obligeait à monter dans le bus de transport des prisonniers équipé de sièges en fer qui faisaient mal même aux prisonniers en bonne santé.

Omar et Ayham ont passé sept ans en prison et purgent une peine de prison à perpétuité, accusés d’avoir poignardé à mort un colon.