Les avions de combat israéliens ont ciblé un immeuble résidentiel dans le camp de réfugiés d’Al-Nuseirat où vivent des dizaines de membres de ma famille, tuant neuf d’entre eux.
Dimanche 15 octobre, des avions de guerre israéliens ont ciblé un immeuble résidentiel du camp de réfugiés Al-Nuseirat, où vivaient des dizaines de membres de ma famille, tuant neuf d’entre eux. Parmi les victimes se trouvait le cousin de mon père, Azmi Aljamal, infirmier à la retraite de 63 ans, sa femme Hanan, 60 ans, et leurs trois enfants, Mustafa, 33 ans, Souad, 36 ans, et Sondos, 28 ans. Trois de leurs petits enfants, Omar, Mustafa et Jana, ont également été tués, ainsi que leur nièce Ola, 33 ans, qui avait cherché refuge dans la maison de son père depuis l’endroit où elle vit au sud de Gaza à cause d’intenses bombardements israéliens.
Quand j’étais à Gaza, je me souviens leur avoir rendu visite pendant les vacances et avoir vu sur le mur une photo de notre arrière grand-père, Ahmad Aljamal. Notre arrière grand-père a été tué en 1948, quelques jours avant que les milices sionistes dépeuplent mon village ancestral et forcent, sous la menace des armes, ses habitants à fuir « plus au sud » vers Gaza, où nous avons vécu ces 75 dernières années. Aujourd’hui, rien n’a changé alors qu’Israël exige que les Palestiniens partent du nord de Gaza et de la ville de Gaza « plus au sud » dans ce qui ressemble à une autre scène horrible de la Nakba qui continue depuis 1948.
Même alors que des milliers de Palestinien-ne-s ont suivi les ordres ou les menaces de l’armée israélienne et sont parti-e-s vers le sud, leurs convois ont été ciblés par Israël, tuant au moins 70 personnes. Il est devenu clair pour beaucoup de Palestiniens de Gaza qu’il n’y a pas un seul endroit sûr à Gaza et qu’être à Rafah est aussi mortel qu’être à Jabalia, puisque les massacres israéliens ont visé tout le monde et enfoui une fois de plus la mort et la peur dans le cœur des Gazaouis.
Alors que j’ouvre les informations, je vois un père palestinien le cœur brisé dire au reporter d’Aljazeera : « L’armée israélienne nous a demandé de partir vers le sud, et nous l’avons fait. Ils nous ont ciblés à Rafah ; j’ai fui la mort dans Gaza ville pour la trouver à Rafah. J’ai perdu trois de mes enfants. Je ne sais pas qui enterrer en premier. »
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Des médecins trouvent leurs êtres chers parmi les morts
Alors que des dizaines de corps sont emportés jusqu’aux hôpitaux de Gaza, dont beaucoup sont sur le point de s’effondrer, des histoires tragiques se répètent. Les équipes médicales trouvent parfois des membres de leur propre famille parmi les morts, et éclatent en sanglots, incapables de s’en occuper, de ceux-là ou d’autres. Alors que les hôpitaux débordent de cadavres, on exhorte les familles à prendre les corps de leurs êtres chers et de les enterrer aussi vite que possible. Un Palestinien de Gaza a posté une vidéo montrant le corps de son père décédé sur le siège arrière alors qu’il roulait pour l’enterrer tout seul après avoir perdu le reste de sa famille la veille.
A Gaza, les Palestiniens sentent que leurs morts ne comptent pas. Ils sentent qu’ils sont traités d’« animaux humains » comme les a décrits le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, qui a ordonné la coupure de la fourniture d’eau, d’internet et d’électricité à Gaza, sans craindre aucune réaction de la part de la dite communauté internationale. Même ceux qui ont des animaux de compagnie leur procurent de la nourriture et de l’eau – chose qu’Israël refuse de faire à Gaza. La capacité d’Israël d’arrêter la vie à Gaza est un rappel de son contrôle total sur l’enclave côtière et du fait qu’il y est la puissance occupante, comme ce fut toujours le cas.
Ma tante Samaiya apparaît dans une vidéo, alors que je parcours les réseaux sociaux, demandant à mon cousin Ayman de la laisser toucher pour la dernière fois le corps de ma cousine Ola, couchée sur le sol et mise dans un cercueil. Elle a goûté à la mort plusieurs fois. « Les morts ont survécu, les vivants non » commente un autre cousin, décrivant comment, à Gaza, les gens se redonnent du courage face à la mort, tandis que le monde regarde en silence Israël les tuer. La mort hante aussi les Palestiniens à Chicago grâce aux nouvelles fabriquées venues d’Israël qui ont conduit à la mort tragique d’un garçon palestinien, nommé Wadee Alfayoumi, qui a été poignardé 26 fois par un propriétaire qui a répété des slogans islamophobes et anti-palestiniens.
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Des Palestiniens tués dans des frappes aériennes israéliennes sont emportés de la morgue de l’hôpital Al-Aqsa pour être enterrés alors que les attaques israéliennes se poursuivent pour le 10ème jour à Deir Al-Balah, Gaza le 16 octobre 2023. – Photo par Anadolu Images.
Des familles entières retirées des registres civils
Alors que j’écris, des familles entières sont tuées par les frappes israéliennes à Rafah, Khan Younis et Al-Burij. Des dizaines de familles palestiniennes ont déjà été effacées du registre de l’état civil. Les médias grand public continuent de demander aux Palestiniens de se condamner eux-mêmes. On attend encore des Palestiniens qu’ils paient le prix de la culpabilité européenne, des intérêts militaires et politiques, et des valeurs partagées avec Israël, qui a été décrit par des organisations rénommées des droits de l’Homme comme un État d’apartheid avec des lois différentes pour des peuples différents.
Les Palestiniens sont même ciblés dans les écoles de l’UNRWA, où au moins 600.000 d’entre eux ont trouvé refuge. Où les Palestiniens peuvent-ils aller ? Gaza semble être le dernier refuge et les Palestiniens ne veulent pas devenir des réfugiés pour la deuxième ou la troisième fois de leur vie. Ils préféreraient mourir que devenir des réfugiés et être à nouveau déplacés.
Après tout, en 1948, on leur a dit qu’ils seraient autorisés à revenir « dans quelques jours » et 75 ans plus tard, ils attendent toujours leur retour. Quelqu’un va-t-il intervenir et arrêter cette marche de la mort que les Palestiniens ont été obligés d’entreprendre parce qu’ils ne veulent pas vivre une autre Nakba, cette fois-ci avec le monde qui observe et les stations de télé qui diffusent l’expulsion imminente du peuple palestinien ?
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Pour de nombreux Palestiniens, mourir à Gaza est préférable à devenir des réfugiés dans le Sinaï, comme le veut Israël. Israël n’a pas hésité à cibler des civils palestiniens, en tuant en tout 3.300, dont 1.000 enfants et 400 femmes, et en blessant plus 12.000 autres. Environ 1.000 Palestinien-ne-s sont encore sous les décombres. Le monde va-t-il intervenir et arrêter la marche continue de la mort des Palestiniens de Gaza en route vers le sud, qui est un crime selon le droit international ?
Peu après qu’une frappe aérienne israélienne ait tué 500 Palestiniens le 17 octobre à l’Hôpital baptiste arabe de Gaza ville, une frappe aérienne israélienne a détruit l’une des deux boulangeries de mon camp de réfugiés. Les Palestiniens ne sont pas en sécurité dans les hôpitaux et n’ont pas non plus accès à du pain, même dans le sud où Israël leur a demander d’évacuer.
Il est important de se souvenir qu’au cours de l’histoire, Gaza s’est toujours relevée de ses cendres et la puissance militaire d’Israël ne lui procurera pas la paix ; traiter les Palestiniens comme des êtres humains égaux avec leur entière dignité lui procurera la paix. Les Palestiniens de Gaza sont traités pire que des animaux ; en tant que victimes d’un siège, d’une occupation armée et d’une mort lente, leur traitement est aussi inacceptable que leur mort imminente.
Yousef M. Aljamal est chercheur à Middle Eastern Studies et l’auteur et le traducteur de nombreux livres. Il est co-auteur de A Shared Struggle : Stories of Palestinian and Irish Hunger Strikers [Une lutte partagée : Histoires de grévistes de la faim palestiniens et irlandais] publié par An Fhuiseog (juillet 2021).
Traduction : J. Ch. pour l’AURDIP