Israël prétend prendre soin des étudiants palestiniens – donc il ferme leurs écoles

Le ministère de l’Éducation a donné un ordre de fermeture des écoles gérées par l’UNRWA à Jérusalem-Est, au nom du « bien-être des élèves ». 800 d’entre eux peuvent être privés de leurs salles de classes ce mois-ci.

Le 8 avril, le ministère de l’Éducation d’Israël a publié des ordres de fermeture de six écoles gérées par l’UNRWA à Jérusalem-Est, censées prendre effet le 7 mai. En réponse, l’Association pour les Droits Civils en Israël (ACRI) a soumis une modeste requête, peut-être trop modeste, demandant de reporter le délai de deux mois pour permettre aux élèves de finir leur année scolaire et, pour ceux en fin de scolarité, de passer leurs examens de fin d’études secondaires.

Deux semaines plus tard, le ministère a rejeté cette requête. Ce n’étaient pas du tout des « ordre de fermeture » a prétendu le ministère et certainement pas une tentative de déplacer quelque 800 élèves palestiniens à quelques semaines des examens de fin d’études. Au contraire, c’était tout à fait conçu pour protéger les enfants.

Selon le ministère, les fermetures faisaient partie d’un « processus d’autorisation » de routine conçu pour assurer que les écoles satisfaisaient « à des normes appropriées concernant la sécurité, la santé, la pédagogie et d’autres aspects garantissant le bien-être des élèves ».

Le conseiller juridique du ministère, qui a signé la lettre est même allé plus loin : « En fait, notre position est que votre requête – d’étendre l’opération à des écoles fonctionnant sans permis – est ce qui nuit au bien-être et à la protection sociale des élèves ». Imaginez ceci : que le ministère israélien de l’enseignement sauve les élèves palestiniens des griffes de l’ACRI.

Dans sa réponse à l’ACRI, le ministère a aussi maintenu que les ordres de fermeture n’étaient émis « qu’après avoir vérifié et confirmé que tous les élèves pouvaient trouver des places ailleurs ». La municipalité de Jérusalem, ont-ils argumenté, a le projet de placer les élèves déplacés dans des institutions officielles et reconnues, dotées d’un budget destiné à aider le transport et l’achat de livres scolaires.  

Mais les chercheurs de terrain de l’ACRI ont entendu une histoire différente. Des parents ont rapporté que les écoles auxquelles ils s’étaient adressés étaient déjà complètes et que les inscriptions pour la prochaine année scolaire, étaient fermées depuis longtemps. Les seules écoles qui avaient des possibilités pour des élèves déplacés par les fermetures étaient trop chères pour des parents qui comptaient sur l’éducation gratuite fournie par l’UNRWA.

Le ministère de l’enseignement a ajouté que la municipalité travaillait avec le ministère des Affaires de Jérusalem et du Patrimoine pour établir de nouveaux services éducatifs à Jérusalem-Est, afin de traiter le manque aigu de salles de classe. Quoi qu’il en soit, ils ont seulement l’intention d’achever la construction d’une école avec des structures provisoires au début de la prochaine année scolaire – pas d’aide aux élèves qui peuvent se trouver sans classe ce mois-ci.

« Il y a d’autres pays »

Cela fait des années que la coalition d’extrême-droite israélienne cible ouvertement l’éducation des Palestiniens à Jérusalem-Est – une campagne qui s’est intensifiée en 2023 lorsqu’un sous-comité a été établi à la Knesset pour contrôler les programmes des écoles de la ville. Dans les 11 réunions  tenues jusqu’à aujourd’hui, les députés ont discuté de la meilleure façon d’empêcher les élèves de Jérusalem-Est d’étudier à partir de programmes palestiniens et de bannir les enseignants formés par l’Autorité Palestinienne.

Depuis la toute première session , le président du comité, le député Amit Halevi a dit clairement ses intentions : « Les Arabes de Jérusalem-Est peuvent décider. S’ils veulent rendre effective leur identité nationale, il y a d’autres pays. Pas à Jérusalem, pas dans notre capitale…Voilà le cadre de la discussion ».

Tandis que le comité donne le ton, la mise en œuvre repose sur les ministères du gouvernement et sur la municipalité, deux instances bien impliquées dans le travail de sape sur l’éducation palestinienne à Jérusalem-Est. Cela comporte l’étranglement  systématique des budgets de l’éducation, des efforts de la part du ministre des Finances Bezalel Smotrich  pour bloquer des projets de développement sur cinq ans de quartiers palestiniens et l’éviction d’habitants palestiniens sous le prétexte d’augmenter les espaces publics.

La tendance actuelle à fermer les écoles de l’UNRWA a commencé avec le vote de deux lois en octobre 2024  qui visaient l’agence. Une loi  interdit à l’UNRWA d’agir à Jérusalem-Est, où en plus des écoles, l’agence a des centres de santé et des centres de formation ; l’autre interdit aux autorités de l’État de maintenir des contacts avec des représentants officiels de l’UNRWA.

Les organisations de défense des droits humains Adalah et Gisha ont soumis une pétition à la Cour Suprême d’Israël contre les deux lois, défendant l’idée qu’elles violent l’éducation, la propriété, la santé et la liberté du l’emploi des Palestiniens – des droits protégés tant par le droit israélien que par le droit international. Elles vont aussi contre les obligations d’Israël en tant que puissance occupante, qui comportent le devoir de donner la priorité au bien-être social de la population locale dans le territoire occupé.

La Cour Suprême a rejeté la pétition et les lois ont pris effet à la fin du mois de janvier. Le ministère de l’éducation a alors saisi l’opportunité de publier les ordres de fermeture : si l’UNRWA est désormais illégale, a suggéré le ministère, alors le sont aussi les écoles de l’agence à Jérusalem-Est. Adalah a fait appel à la Coiur Suprême pour que la mise en oeuvre soit repoussée en ce qui concerne les ordres de fermeture jusqu’à ce que la pétition contre les lois sur l’UNRWA aboutisse, mais sa requête a aussi été refusée.

La justification du ministère de l’éducation pour les ordres de fermeture est que les écoles fonctionnent sans autorisation et violent la loi de supervision scolaire. Mais, comme l’ACRI l’a noté dans une lettre au ministère, jamais au cours des 58 ans d’occupation et d’annexion de Jérusalem-Est, il n’a été demandé aux écoles de l’UNRWA d’obtenir ce type d’autorisation du ministère – aussi ne l’a-t-elle jamais demandé.

Les écoles de l’UNRWA ont toujours été classées  comme institutions privées, ce qui veut dire que l’État ne les finance ni ne les supervise. Cet arrangement convenait évidemment à l’État, jamais sommé de payer pour l’éducation de ces enfants palestiniens. Pour sa part, l’UNRWA a rejeté ces ordres comme illégaux, réaffirmant son engagement à rester à Jérusalem-Est et à « procurer de l’enseignement et d’autres services de base aux réfugiés palestiniens… en accord avec la résolution de l’Assemblée Générale qui a donné mandat à l’Agence ».

Faire l’histoire

Peu après la publication de ces ordres, le maire adjoint de Jérusalem, Aryeh King a posté les ordres de fermeture des écoles sur X, où il a écrit : « Voilà ce à quoi ressemble faire l’histoire ensemble. Merci au ministre de l’enseignement, Yoav Kisch ». King a certes raison de suggérer que ces ordres sont porteurs d’une signification historique, mais non comme il l’entendait.

Il y a quatre-vingt-douze ans, le 25 avril 1933, l’Allemagne a voté une loi limitant le nombre d’étudiants juifs  des écoles et des universités. Le titre original de la loi « Contre le surpeuplement des écoles et universités allemandes par des étrangers » disait clairement son but. 

Pour autant, sous le feu des critiques, le ministre de l’Intérieur changea non le contenu de la loi mais son nom. La discrimination contre les Juifs fut alors masquée par le nouveau titre de la loi : « Contre le surpeuplement dans l’enseignement allemand ». La réduction du surpeuplement scolaire était certes faite pour le bien-être de tous les étudiants.

De la même façon, une loi avait été votée deux semaines plus tôt, interdisant aux Juifs et aux autres étrangers  d’occuper toute position dans le gouvernement, y compris d’enseignant. La loi contre les enseignants juifs fut appelée « La           loi pour la restauration du service civil professionnel ». La « restauration » du service civil était naturellement présentée au bénéfice de tous les citoyens.

Tout comme nous pouvons dire clairement que l’Allemagne n’était pas concernée par le bien-être des enfants juifs dans les années précédant l’holocauste, nous devrions aussi insister sur le fait que les ordres du ministère de l’enseignement n’ont rien à voir avec le bien-être des élèves palestiniens de Jérusalem-Est. Il s’agit d’un effort coordonné du ministère et de la municipalité pour démanteler les institutions palestiniennes de la ville – en commençant par leurs écoles.

Une première version de cet article a été publiée en hébreu sur Local Call. À lire ici .

  • Photo : Des élèves palestiniens dans une école de l’UNRWA dans le quartier de Silwan à Jérusalem Est, 30 janvier 2024. (Jamal Awad/Flash90)