Israël prend d’assaut les bureaux d’ONG palestiniennes après avoir échoué pendant des mois à les discréditer

Sept ONG dénoncent ces raids comme des messages d’impunité contre les Palestiniens et les gouvernements étrangers, après la saisie de leur équipement et la soudure des portes de leurs bureaux par l’armée.

L’armée israélienne a perquisitionné ce matin à Ramallah les bureaux de sept ONG palestiniennes de premier plan, qui avaient été désignées comme « organisations terroristes » par le ministre de la Défense. Au cours d’une opération concertée, dans toute la ville de Cisjordanie occupée, les soldats se sont introduits simultanément dans les sièges de ces groupes, juste avant l’aube ; ils ont saisi des documents et de l’équipement dans plusieurs d’entre eux et ont soudé leurs portes. A l’entrée de chaque bureau, l’armée a laissé des copies d’ordonnances militaires déclarant que les organisations étaient illégales.

Six des organisations — Al-Haq, Addameer, Centre Bisan, Défense des Enfants International-Palestine (DCI-P), Union des Comités de travail agricole (UAWC), et Union des Comités de femmes palestiniennes (UPWC) — ont été mises hors la loi par le ministre de la Défense Benny Gantz en octobre 2021 et la septième, les Comités du travail de santé, avait été déclarée hors la loi l’année précédente.

Dans les bureaux d’Al-Haq, les soldats ont laissé objets et équipements éparpillés sur le sol et ont scellé la porte principale avec une plaque métallique. Dans le bureau de l’UPWC, les contenus des placards et des tiroirs ont été jetés sur le sol et un membre du personnel a dit que l’armée avait emporté les ordinateurs, les lecteurs portables et les serveurs de l’organisation.

Les raids ont été lancés à peine quelques heures après que l’annonce par le ministre de la Défense du rejet des appels déposés plus tôt dans l’année par les organisations auprès du commandant militaire israélien en Cisjordanie, appels cherchant à annuler les désignations [comme terroristes] ; les appels arguaient que les autorités n’avaient pas fourni aux groupes ciblés de preuves pour leur décision, ni permis aux organisations une procédure juste et équitable, à savoir la possibilité d’objecter à l’ordonnance avant qu’elle ne soit passée. Le ministre de la Défense a aussi annoncé que pour trois des organisations (Centre Bisan, Addameer et l’UPWC), les désignations ont maintenant été fixées dans une loi.

« Nous ne respecterons pas les ordonnances », a dit la directrice exécutive d’Addameer, Sahar Francis, dénonçant les perquisitions comme une violation du droit international. Selon elle, les organisations avaient reçu notice du rejet des appels par le ministre de la Défense à 23h la nuit précédente et « il était clair qu’ils avaient déjà planifié la perquisition pour le matin ».

« Hier, nous avons entendu par les médias que le commandant militaire rejetait notre appel, alors même que le ministre de la Défense était toujours en train d’examiner l’appel [dans une procédure séparée] », a dit à +972 le directeur de DCI-Palestine, Khaled Quzmar. « Nous attendons toujours de voir les preuves contre nous. Donc nous étions surpris de découvrir ce matin que le bureau avait été perquisitionné et que les ordinateurs et les documents étaient une fois de plus confisqués ». Le bureau de DCI-Palestine avait déjà été perquisitionné par l’armée en août 2021.

Ubai Al-Aboudi, directeur exécutif de Bisan, a dit à +972 : « Nous avons vu sur les caméras de sécurité : ils se sont introduits dans le bureau, une bande de voleurs qui s’appelle l’armée israélienne. Ils sont venus au milieu de la nuit, ils ont volé nos papiers, nos ordinateurs portables et même nos imprimantes et nos projecteurs vidéos, et ils ont scellé nos portes … aussi longtemps qu’ils ne devront pas rendre des comptes, ils n’arrêteront pas leurs pratiques d’apartheid et leurs violations contre les défenseurs des droits humains et le peuple palestinien en général. »

Les yeux fixés sur La Haye

Depuis l’émission de ses désignations de « terroristes » l’an dernier, l’armée israélienne s’est largement abstenue d’exécuter des opérations majeures sur le terrain contre les ONG ciblées, sauf quelques cas dans lesquels les membres importants des organisations ont été empêchés de voyager à l’étranger. Il semble maintenant que le ministre de la Défense s’accroche à ses positions et intensifie ses actions, malgré une opposition internationale croissante.

Les chefs des organisations palestiniennes ont décrit les perquisitions d’aujourd’hui non seulement comme une tentative pour entraver et réduire au silence leur travail, mais aussi pour envoyer « un message aux pays européens ». Le mois dernier, neuf gouvernements européens — dont l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas —ont rendu publique une déclaration rejetant les accusations contre les ONG, concluant qu’« aucune information substantielle n’avait été reçue de la part d’Israël pour justifier que notre politique soit révisée » et ajoutant qu’ils continueraient à fournir un soutien financier aux organisations.

«  Le message des autorités d’occupation est qu’ils ne se soucient pas des pays donateurs étrangers et que savoir laquelle des organisations a fait appel ou pas n’a pas d’importance — ils les ont toutes perquisitionnées », a dit Francis, d’Addameer.

Le centre juridique Adalah, basé à Haïfa — centre qui représente Addameer, Bisan et les Comités de femmes — a déclaré que les dernières attaques étaient « menées par un ministre de la Défense, Benny Gantz, qui est soupçonné de crimes de guerre, dans une tentative pour terroriser ceux qui témoigneront contre lui et contre ses actions ». Adalah a ajouté : « Cette attaque contre la société civile palestinienne est une attaque contre le peuple palestinien tout entier et contre son droit à l’auto-détermination. Rester à l’écart ou garder le silence constituent une coopération active avec la persécution et l’oppression de défenseurs des droits humains ».

L’avocat Michael Sfard, qui représente Al-Haq, a fait écho à ce sentiment, disant à +972 : «  C’est un acte méprisable du ministre de la Défense qui, afin de contrecarrer l’enquête à La Haye (dans laquelle il pourrait lui-même être un suspect), se comporte comme le dernier des dictateurs et avec la puissance du fusil agit contre des défenseurs de premier plan des droits humains. Rappelons que tout ceci arrive après l’échec du gouvernement dans ses tentatives pour convaincre les pays européens, qui un par un ont déterminé qu’il n’y a rien à la base des accusations contre les organisations. Il faut une intervention internationale pour protéger de la dictature israélienne les défenseurs palestiniens des droits humains. »

Sfard est l’un des avocats représentant les ONG qui ont reçu une lettre du ministre de la Défense le mois dernier, laissant entendre que recevoir des honoraires pour cette représentation juridique pourrait être considéré comme une infraction à la sécurité selon les lois anti-terroristes d’Israël, une infraction qui serait passible de lourdes sanctions. Les avocats ont été contraints d’interrompre leur représentation jusqu’à nouvel ordre.

Israël affirme que les organisations ciblées opèrent comme des « bras » du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), un parti politique dotée d’une branche armée qui est désigné comme groupe terroriste par Israël et par plusieurs autres pays. Cependant, le gouvernement israélien n’a dévoilé aucune preuve crédible pour soutenir ses accusations. Les organisations ont aussi demandé à recevoir les documents à la base de la décision, mais cela leur a été refusé.

+972 et Local Call ont publié deux enquêtes au cours de l’année passée, qui révélaient qu’Israël n’était pas capable de présenter de preuve sérieuse pour étayer ses allégations contre les organisations. Dans la première enquête, nous révélions un dossier de 74 pages réuni par le Shin Bet, dossier qui a été envoyé aux pays donateurs en mai 2021, environ six mois avant l’annonce ; notre enquête a révélé que les accusations n’y étaient soutenues par aucune preuve effective. Une enquête complémentaire a montré qu’un deuxième dossier ne contenait toujours pas de preuve réelle.

Pour sa part, le ministre israélien de la Défense a réitéré ses accusations contre les ONG dans une déclaration la nuit dernière, affirmant qu’elles « opèrent sous couvert de mener des activités humanitaires » pour faire avancer les objectifs du FPLP, y compris en recrutant des activistes et en levant des fonds grâce à « différentes méthodes de falsification et de fraude ». Il est utile de remarquer que les divers organisations et pays donateurs ont mené des audits étendus des ONG en question et n’ont trouvé aucun fondement pour ces accusations.

Un porte-parole de l’armée israélienne a aussi déclaré : « Les forces de défense israéliennes et les agents de la police des frontières, menés par la Brigade régionale Binyamin, ont opéré cette nuit pour fermer des institutions qui travaillent pour l’organisation terroriste FPLP et ses branches. Les forces ont fermé sept institutions et confisqué des biens appartenant à l’organisation et à ses branches. Pendant cette action, des pierres et des coktails Molotov ont été jetés contre les forces [israéliennes] qui ont répondu par des mesures destinées à disperser les manifestants. » Où et quand les derniers événéments décrits se sont produits n’est pas clair.

« Israël n’a pas de système de justice pour les Palestiniens »

Quelque sheures après le raid, les dirigeants des organisations, des activistes politiques et des journalistes sont arrivés au bureau d’Al-Haq pour un briefing à la presse. Des panneaux soutenant les organisations ont été suspendus à l’extérieur du bureau, et des membres du public avaient déjà ré-ouvert la porte d’entrée scellée en une démonstration de solidarité.

Parlant aux médias, le directeur d’Al-Haq Shawan Jabarin a dit : «  Il nes’agit pas d’un simple travail pour nous — il s’agit de nos convictions. Nous continuerons notre travail pour défendre la justice et le droit international. »

Jabarin a continué : « Israël n’a pas de système de justice pour les Palestiniens — c’est une illusion. Ils ont même menacé des avocats israéliens qui nous représentent, essayant de criminaliser leur travail juridique. C’est pourquoi notre appel est que les gens ouvrent les yeux et affrontent la réalité sur le terrain : c’est un apartheid, un Etat colonial et c’est la nature de l’occupation illégale ici. »

A propos des pays donateurs européens, il a dit : « Nous avons pleine confiance en eux. Ils doivent défendre leurs valeurs, parce que c’est le moment de vérité. Il est temps d’imposer des sanctions à Israël. Il est temps de rompre les relations commerciales, même avec les colonies [de Cisjordanie]. Donc nous espérons avoir de leurs nouvelles aujourd’hui. »

Le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh est arrivé sur la scène et a exprimé son soutien aux organisations, disant qu’elles opèrent dans le cadre de la loi de l’Autorité palestinienne. « Aussi longtemps que ces organisations travaillent à l’intérieur de la loi palestinienne, nous devons les respecter et les protéger. »

« Nous appelons la communauté internationale à manifester sa solidarité avec nous en rejetant et en condamnant les actions israéliennes que nous avons vues aujourd’hui », a-t-il continué. « Ces organisations ont travaillé dur avec nous afin de mener Israël devant la Cour pénale internationale pour tout ce qu’il fait contre notre peuple en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem. La campagne électorale israélienne [qui approche] ne devrait pas être payée par notre sang — comme nous l’avons vu à Gaza, comme nous l’avons vu à Naplouse et comme nous l’avons vu aujourd’hui à Ramallah. »

Quand les journalistes lui ont demandé s’il agirait pour faire ouvrir les bureaux, Shtayyeh a répliqué : « Ceux qui ont scellé les bureaux devraient les rouvrir. »

Selon Aboudi, du Centre Bisan, le sentiment d’impunité qu’a Israël l’a enhardi à poursuivre ses plans avec plus de vigueur. « N’oublions pas que cela arrive juste quelques jours après qu’Israël a admis avoir tué cinq enfants dans la Bande de Gaza », a-il dit.

« Ce qu’ils essaient de faire », a-t-il continué, « est de réorganiser la société civile palestinienne, en déclarant quelles organisations sont ‘bonnes’ ou ‘mauvaises’. Et pour eux toute organisation qui les critique, qui parle des droits du peuple palestinien à l’auto-détermination, de ses droits économiques et sociaux, ou du narratif historique de la Palestine — ce sont de ‘mauvaises’ organisations qu’ils veulent fermer. »

Une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu dans Local Call. Lisez-la ici.

Oren Ziv est photojournaliste et membre fondateur du collectif de photographie Activestills.