Dans quelques années, un jeune père prendra son bébé dans les bras, son premier-né et, tout d’un coup, il sera ébranlé par un souvenir : un père portant son bébé dans ses mains, à côté de lui une femme la tête couverte d’un hidjab et deux ou trois enfants, tous marchant vers le sud avec des centaines d’autres, au milieu de fragments d’asphalte, de tas de sable, dans un brouillard de poussière soulevée sur leur marche. De la fumée s’élève à une certaine distance, un drone vrombit sans cesse au-dessus d’eux, des bombes explosent l’une après l’autre.
Le jeune père se souviendra comment lui – alors soldat en fin de service militaire obligatoire – lança un appel dans un porte-voix donnant l’ordre à ce père (« Toi, en chemise verte, avec l’enfant ») de s’avancer vers les soldats postés derrière des monticules de terre, à côté des tanks. À travers les nuages de fumée, il voit le père tendre le bébé à la femme et, les bras en l’air, s’approcher des soldats.
S’ils se sont dit quelque chose, le jeune père qui était alors soldat, ne pouvait pas l’entendre. Peut-être au moment où il s’en souvient, il va serrer plus fort son premier-né dans ses bras. Ou peut-être, légèrement alarmé, il va se hâter de mettre son fils dans sa poussette et boire un verre d’eau en essuyant les gouttes de sueur qui soudain perlent sur son front.
Dans trois ou quatre ans, un correspondant de l’armée recevra des matériaux classifiés. Dans une réunion de comité de rédaction ils vont se demander si leurs concurrents ont reçu les mêmes documents et ce que le censeur militaire va leur permettre de publier : au cours des deux années et demie passées, l’avocat général de l’armée a enquêté sur une dizaine de cas d’exécutions à bout portant de civils dans leurs maisons après qu’ils ont été séparés de leur femme et de leurs enfants, et d’autres cas de femmes visées par des coups de feu à vue tandis qu’elles marchaient dans les ruines. Certains noms de suspects ayant supposément violé les règles de l’engagement sont particulièrement embarrassants. Le fils de quelqu’un de célèbre, un officier acclamé par les médias.
L’avocat général n’a pas encore décidé s’il allait procéder à une mise en accusation. L’identité de certains de ceux qui ont été tués embarrasse aussi Israël. : l’un est un citoyen britannique et le Royaume Uni a demandé une clarification ; un autre est un membre connu du Fatah, anti-Hamas, sur lequel la CIA avait placé ses espoirs. Un rédacteur en chef rappellera que des médias palestiniens et arabes avaient informé de ces exécutions à ce moment-là, mais que c’était impossible à vérifier – que pouvait-on attendre de médias mobilisés et qui pouvait croire le directeur d’un hôpital public géré par le Hamas ?
Dans quelques années, les vétérans anti-occupation de Breaking The Silence recenseront tous les anciens soldats venus témoigner après la guerre : trois jeunes personnes souffrant de troubles de stress post-traumatique, quatre réservistes, deux appelés qui servaient au centre de détention de la base de Sde Teiman et une femme soldat de l’unité des porte-parole de l’armée israélienne.il n’y a pas de pilotes ou d’opérateurs de drones sur la liste.
Dans trois ans, des militants érigeront un monument en mémoire des familles anéanties par les bombardements de la guerre (ce sera un nombre à quatre chiffres). Les noms des familles et de tous ceux qui ont été tués seront gravés sur une grosse pierre qui sera placée en pleine nuit à Drancy , une banlieue de Paris où les Nazis ont rassemblé des Juifs avant de les envoyer dans les camps de la mort.
Le monument sera dévoilé par un des survivants des bombardements. La communauté juive protestera sur ce « déni de l’antisémitisme et de l’Holocauste » et des employés municipaux seront dépêchés pour effacer l’inscription sur la pierre. Une alternative serait que le maire assiste à la cérémonie de dévoilement et embrasse le survivant, alors la communauté juive criera : « Collabo ! Vichyste ! “.
Dans deux ans, l’USAID commencera à lancer des appels d’offres pour le déblaiement et le recyclage des débris de Gaza. Le marché sera remporté par une entreprise appartenant conjointement aux renseignements égyptiens, à d’anciens représentants officiels de la Coordination des Activités du Gouvernement dans les Territoires et à un Palestinien de Hebron.
Dans quatre ans, un comité spécial composé de représentants du Quartet, d’Israël, de la Jordanie et de l’Égypte finalisera le cahier des charges de la reconstruction de Gaza. Jusqu’au démarrage des travaux, la Compagnie du Bon Voyage de Petah Tikva gagnera le contrat de fourniture de 290 000 tentes étanches de diverses tailles pour les habitants restants et l’entreprise Empty Out (vidange) gagnera le marché d’installation de toilettes mobiles.
L’USAID en sera encore à formuler l’appel à projets pour la conception et la reconstruction de tout le système d’assainissement et d’adduction d’eau complètement détruit pendant la guerre. L’agence examinera aussi une proposition de Holy Land Enterprises Ltd. de création de maquettes en plâtre grandeur nature de tous les édifices historiques et sites archéologiques détruits par les bombardements de l’armée de l’air israélienne.
Dans six ans, le Hamas remportera la majorité des voix au Conseil National Palestinien de l’Organisation pour la Libération de la Palestine dans une élection qui aura lieu dans la diaspora palestinienne et dans une élection secrète dans leurs enclaves autogérées de Cisjordanie.
Dans sept ans, un ancien fonctionnaire dira : « Nous ne devrions pas avoir été tentés de lancer cette guerre. Nous sommes tombés dans le piège du Hamas, des dizaines de milliers de gens ont quitté le pays et maintenant nous souffrons d’un manque cruel de personnel médical et high-tech ».
Un journaliste d’une station TV internationale lui ayant demandé si ce n’est pas ce que disent toujours les anciens représentants officiels une fois qu’ils ne sont plus dans le système, il haussera les épaules. Le représentant de la sécurité ayant pris le poste condamnera les remarques du précédent et la Knesset accélèrera le vote d’une loi visant à retirer leur pension aux anciens fonctionnaires qui s’expriment contre la politique des gouvernements qu’ils ont servis.