Selon Human Rights Watch, l’armée israélienne a agi de manière délibérée pour empêcher la disponibilité d’eau salubre
La réduction par Israël de l’approvisionnement de Gaza en eau à des niveaux inférieurs aux besoins minimaux correspond à un acte de génocide et d’extermination constituant un crime contre l’humanité, affirme un rapport d’une organisation de défense des droits humains.
Human Rights Watch (HRW) a enquêté sur les attaques israéliennes visant les infrastructures d’approvisionnement de Gaza en eau au long de la guerre qui dure depuis 14 mois dans cette région.
L’organisation a accusé les forces israéliennes d’actions délibérées destinées à réduire la disponibilité d’eau salubre au point où la population a été forcée de recourir à des sources contaminées, ce qui a entraîné la survenue de maladies mortelles, surtout parmi les enfants.
Les actions d’Israël ont tué plusieurs milliers de Palestiniens et constituent un acte de génocide, affirme HRW, mentionnant comme preuve d’intentionnalité des déclarations de ministres de la coalition dirigeante du pays selon lesquelles l’approvisionnement en eau serait interrompu.
Le rapport de 184 pages, « Extermination and Acts of Genocide » (« Extermination et actes de génocide »), est publié après qu’un rapport d’Amnesty International publié ce mois-ci a conclu qu’Israël avait commis un génocide à Gaza.
[Carte de des infrastructures d’eau de Gaza]
L’organisation d’aide médicale Médecins sans frontières (MSF) a publié elle aussi jeudi [19 décembre] un rapport sur Gaza, déclarant qu’il existait des “signes de nettoyage ethnique […] indéniables” et des preuves correspondant aux allégations de génocide.
“Ce que nos équipes médicales ont observé sur le terrain tout au long de ce conflit correspond aux descriptions d’un nombre croissant d’experts juridiques et d’organisations qui concluent qu’un génocide est en cours à Gaza”, a déclaré Christopher Lockyear, secrétaire général de MSF. “Bien que nous n’ayons pas l’autorité juridique pour établir l’intentionnalité, les signes de nettoyage ethnique et la destruction en cours, incluant les massacres, les blessures physiques et psychologiques graves, les déplacements forcés et les conditions de vie impossibles pour les Palestiniens assiégés et bombardés, sont indéniables.”
Au début de l’année, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu des ordonnances provisoires demandant à Israël de cesser son offensive et de prendre des mesures immédiates pour empêcher qu’un génocide soit commis, dans l’attente d’une décision judiciaire qui déterminerait si Israël était déjà en train de commettre ce crime.
Israël a rejeté les accusations selon lesquelles il aurait commis à Gaza un génocide ou des crimes contre l’humanité. Le premier ministre de ce pays, Benjamin Netanyahou, les a qualifiées de “mensongères et scandaleuses”.
Son gouvernement a insisté sur son droit de se défendre après l’attaque brutale du Hamas contre des zones peuplées du sud d’Israël le 7 octobre 2023, au cours de laquelle 1 200 personnes ont été tuées et environ 250 prises en otages.
Les allégations mises en avant par HRW sont moins amples que celles d’Amnesty, car elles se centrent spécifiquement sur l’approvisionnement en eau de Gaza, mais l’organisation soutient qu’il existe des preuves accablantes montrant qu’Israël a utilisé l’eau comme arme collective contre la population palestinienne, avec des conséquences meurtrières.
Des images satellites montrent que les panneaux solaires qui alimentaient en énergie la station de traitement des eaux Sheikh Ejleen ont été en grande partie rasés. Photo 2024 Planet Labs. Remerciements à Human Rights Watch
“Human Rights Watch estime que ces lignes de conduite israéliennes sont assimilables au crime contre l’humanité d’extermination et à des actes de génocide”, a déclaré Lama Fakih, directrice de la division Proche-Orient et Afrique du Nord de HRW.
Voici ce que le rapport montre, selon elle : “Les autorités israéliennes au niveau le plus élevé sont responsables de la destruction, y compris délibérée, des infrastructures de distribution d’eau et d’assainissement, de mesures empêchant la remise en état des infrastructures d’eau et d’assainissement détériorées et de coupures ou de graves restrictions concernant l’eau, l’électricité et le carburant.
“Ces actes ont vraisemblablement causé des milliers de morts et continueront certainement à causer des morts à l’avenir, y compris après la cessation des hostilités.”
On a enregistré presque 670 000 cas de diarrhée aqueuse aiguë depuis le début de la guerre et plus de 132 000 cas de jaunisse, signe d’hépatite. Des maladies infantiles non nécessairement mortelles ont été beaucoup plus souvent fatales en raison de la destruction des hôpitaux et des dispensaires de Gaza.
Mêlée de personnes qui cherchent à remplir d’eau leurs récipients à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, en avril. Photo Majdi Fathi/NurPhoto/Shutterstock
Le rapport cite une source médicale selon laquelle, dans des “circonstances normales”, 1% des enfants atteints d’hépatite A en meurent. Elle est maintenant fatale dans 5% à 10% des cas. La déshydratation associée à la malnutrition a également affaibli l’immunité de la population aux maladies en général.
Avant la guerre, 80% de l’approvisionnement en eau de Gaza provenait de puits descendant jusqu’à l’aquifère situé sous la bande côtière, mais cette eau est contaminée et impropre à la consommation humaine.
L’essentiel de l’eau potable de Gaza provenait de trois conduites contrôlées par l’autorité israélienne des eaux et des usines de dessalement.
Ces conduites ont été fermées au début de la guerre et n’ont été rouvertes que partiellement. Les Émirats arabes unis ont construit en février une conduite d’eau franchissant la frontière égyptienne, mais ce moyen d’approvisionnement a été supprimé, la conduite ayant été endommagée lors de l’offensive contre Rafah des Forces de défense d’Israël (FDI).
Les trois principales usines de dessalement de Gaza ont cessé de fonctionner peu après le début de la guerre et n’ont pu redémarrer de façon partielle que lorsqu’Israël a permis à l’ONU et à d’autres agences d’aide humanitaire de faire entrer des quantités limitées de carburant.
Les images satellite examinées par HRW montraient que les ensembles de panneaux solaires fournissant de l’énergie à quatre des six usines gazaouies de traitement des eaux usées ont été rasées par des bulldozers de l’armée israélienne – dans le nord de Gaza, le camp d’al-Bureij, l’usine de Sheikh Ejleen dans le centre de Gaza et celle de Khan Younis dans le sud.
Les images satellite montrent aussi que, sur les 54 réservoirs d’eau de Gaza, 11 ont été détruits complètement ou en grande partie, 20 autres étant manifestement endommagés.
Sur une vidéo publiée sur les réseaux sociaux en juillet 2024, on voyait des soldats des FDI membres du génie de combat se filmant en train de faire sauter un réservoir dans le district de Tal Sultan, à Rafah.
Sur des images satellite, on voit les dégâts infligés au réservoir Sheikh Zayed dans le nord de Gaza. Photo 2024 Planet Labs. Remerciements à Human Rights Watch
Comme preuve d’intentionnalité, le rapport de HRW cite les déclarations faites par des ministres israéliens au début de la guerre. Le 9 octobre 2023, Yoav Gallant, qui était alors ministre de la Défense, ordonna un « siège complet à Gaza ».
“Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Tout est fermé”, déclara-t-il. Gallant fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre présumés.
Israel Katz, alors ministre de l’Énergie et aujourd’hui ministre de la Défense, s’est fait l’écho de l’appel à couper l’approvisionnement de Gaza en eau, en électricité et en carburant deux jours après la déclaration de Gallant.
Lama Fakih s’exprime en ces termes : “Human Rights Watch conclut que les autorités Israéliennes, pendant toute l’année dernière, ont infligé intentionnellement à la population palestinienne de Gaza des conditions de vie calculées pour aboutir à leur destruction physique totale ou partielle.
“Cela constitue un acte de génocide aux termes de la Convention.”