Invoquer « Plus jamais ça » en Israël, alors que davantage d’enfants meurent

Je suis engagé dans la recherche sur l’Holocauste depuis environ 40 ans. Dans mes pires cauchemars, je n’avais jamais imaginé que l’État juif bombarderait à mort des enfants mourant de faim.

Le 18 mars, Israël a repris ses attaques sur la Bande de Gaza, après avoir abandonné son engagement à négocier une deuxième étape d’accord de cessez-le-feu avec le Hamas.

Dans une attaque aérienne sauvage et meurtrière, exceptionnelle même dans le contexte de la série d’horreurs du massacre de masse en cours d’innocents à Gaza, plus de 400 Gazaouis sont morts, dont la grande majorité étaient des enfants, des femmes et autres civils impuissants. Parmi les centaines de victimes, il y avait Hezreen Abdu (32 ans), ses enfants Ubaida (17 ans), Omar (14 ans) et Layan (9 ans), ainsi que ses petits-enfants Siwar (1 an et demi) et Mohammed (5 mois).

Rami Abdu, le frère de Nesreen, est allé à l’hôpital pour essayer de savoir ce qui était arrivé aux membres de sa famille. Dans son témoignage, il a décrit l’horreur : « Le couloir de l’hôpital était un fleuve de sang dans lequel j’ai vu quatre corps enveloppés dans des tapis de prière imbibés de sang. J’ai essayé d’identifier Nesreen par sa tresse de cheveux, mais elle avait été brûlée. Les équipes de secours rassemblaient les restes des morceaux de corps avec des gants en plastique et des feuilles d’aluminium. Il n’y avait pas un seul sac mortuaire qu’ils n’aient utilisé. »

Abdu a enterré ses êtres chers dans une tombe collective près du cimetière dans le quartier de Sheikh Radwan de la ville de Gaza.

A la même date, qui va s’inscrire dans l’histoire juive comme une honte éternelle, une autre femme a perdu son enfant. Ils étaient à Muwasi, endroit qu’Israël avait déclaré zone humanitaire. La frappe aérienne a commencé tôt le matin. La mère de 32 ans et le père de 34 ans avaient été évacués là depuis Deir al-Balah et avaient dormi dans une tente qu’ils avaient louée pour cinq shekels (1.35 $) la nuit. La nuit du bombardement, leurs fils, Bassan et Ayman, ont été blessés par des éclats d’obus. Ils sont morts en 40 minutes d’hémorragie interne.

« Mes enfants sont morts affamés », a dit la mère. Elle a été emmenée à l’hôpital et là, elle s’est effondrée sur les corps de ses enfants. L’équipe médicale a témoigné que les enfants avaient souffert de malnutrition sévère. Bassan pesait à sa mort 14 kilos (moins de 31 livres) et Ayman pesait 12 kilos. Depuis lors, bombardements et famine ont continué. Le nombre de morts depuis le 18 mars s’est élevé à plus de 1.600.

Je suis engagé dans la recherche sur l’Holocauste depuis environ 40 ans. J’ai lu d’innombrables témoignages sur le pire génocide contre le peuple juif et autres victimes. Dans mes cauchemars les plus horribles, je n’avais jamais imaginé la réalité dans laquelle je lirais des témoignages sur des massacres de masse menés par l’État juif qui, dans leurs ressemblances glaçantes, me rappelleraient les témoignages qui se trouvent dans les archives de Yad Vashem.

La Guerre de Gaza qui, dans ses étapes actuelles, est devenue un massacre indiscriminé d’innocents, présente aussi des héros extraordinaires au premier plan de l’attention du public. Je ne fais pas référence aux individus confrontés à ce genre de reconnaissance tous les soirs à la télévision que l’ancien Premier ministre Naftali Bennett a décrits comme « une nation de lions ». Aujourd’hui, les héros juifs authentiques, ce sont les survivants des captifs du Hamas et leurs familles, qui n’ont pas perdu leur humanité naturelle et s’accrochent aux valeurs humanitaires et à la solidarité.

L’un de ces héros fut Marek Edelman (1919-2009), l’un des commandants de l’insurrection du Ghetto de Varsovie, membre du Bund socialiste de Pologne, qui a fait entendre une voix rare et claire dans sa forte opposition aux actions d’Israël dans les territoires, particulièrement à Gaza, tout en exprimant une critique acerbe de l’usage fait de la mémoire de l’Holocauste pour justifier la violence et l’oppression. Edelman, qui a survécu aux horreurs de l’occupation nazie de la Pologne et a témoigné de l’élimination de la communauté juive dans le Ghetto de Varsovie, a vu l’utilisation de la mémoire de l’Holocauste par Israël comme une manipulation de la moralité qui porte tort à l’authenticité des leçons universelles qui doivent en découler.

D’après lui, Israël avait transformé l’histoire des victimes et des survivants en héritage politique qu’il exploitait pour justifier l’oppression des Palestiniens. Dans une déclaration bien connue, il a dit : « Être juif signifie toujours être du côté des opprimés, jamais du côté des oppresseurs. » Il est impossible, a-t-il dit, de s’appuyer sur la mémoire de l’Holocauste et, en même temps, commettre des actes qui ne sont pas essentiellement différents des crimes qui ont été commis contre les juifs. Au cours de la guerre au Kosovo en 1999, il a dit : « Quand des gens sont massacrés, on ne doit pas se tenir là et ne rien faire. Même si vous ne pouvez pas arrêter les meurtres partout – vous êtes obligés d’essayer de l’arrêter partout où vous le pouvez. » Le président Bill Clinton a fait référence à Edelman quand il a expliqué sa décision d’envoyer l’aviation pour y mettre fin à la guerre.

Edelman a mis en garde contre l’hypocrisie d’Israël lorsqu’il utilise le slogan « jamais plus » tout en imposant un siège prolongé à Gaza et en y semant la destruction. Il faisait référence à ce moment-là à une période antérieure au 7 octobre 2023.

Il n’a pas non plus hésité à critiquer l’assassinat de gens innocents par des Palestiniens au cours de la deuxième intifada. Dans une lettre ouverte à la direction des Palestiniens, il a avancé que, faire du tort à des gens innocents, même au nom d’une juste cause de libération nationale, est intolérable d’un point de vue moral. Les combattants du ghetto, a-t-il dit, n’ont jamais pensé à faire du tort à des civils.

On peut supposer qu’Edelman aurait vigoureusement dénoncé le terrible massacre que le Hamas a commis le 7 octobre. Mais il n’aurait pas non plus épargné Israël dans ses critiques après avoir déclaré : « L’occupation cruelle et immorale que poursuit le peuple juif est incompréhensible, précisément parce que les Juifs auraient dû comprendre, mieux que personne, la signification d’une oppression. »

  • Photo : Une femme réagit, tout en tenant le corps d’un enfant palestinien tué dans des frappes israéliennes, à l’hôpital indonésien de Beit Lahiya, au nord de la Bande de Gaza, le 28 avril 2025. Crédit : Mahmoud Issa/Reuters