La Rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les droits humains dans les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, n’hésite pas à utiliser le terme « génocide ». Elle le répète délibérément dans sa conversation avec EUobserver.
La Rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les droits humains dans les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, n’hésite pas à utiliser le terme « génocide ». Elle le répète délibérément dans sa conversation avec EUobserver.
« C’est un génocide. Je sais que les gens ne se sentent pas à l’aise avec ce mot, mais comment pouvons-nous appeler cela autrement ? », dit-elle.
Comme preuves d’une conduite génocidaire, Albanese mentionne la destruction systématique de Gaza, l’affamement de sa population et les déclarations ouvertes d’intention des responsables israéliens.
« Rien que dans les deux derniers mois, 400 personnes ont été tuées chaque semaine. Des enfants ont été tués après que des politiciens ont expliqué pourquoi ils devaient être tués. La destruction est totale. Si ce n’est pas un génocide, alors qu’est-ce que c’est ? », dit-elle.
Interrogée sur les raisons de sa présence au Festival de cinéma de Cannes, elle a répondu : « Je devais venir. Je le dois à Fatma. Je le dois aux plus de 200 journalistes palestiniens qui ont été tués pour documenter ce génocide de l’intérieur. »
La spécialiste du droit italienne n’était pas à Cannes pour assister au festival de cinéma dans son ensemble. Elle était là spécifiquement pour soutenir le film Put Your Soul on Your Hand and Walk [Mets ton âme sur ta main et marche], un documentaire du réalisateur iranien Sepideh Farsi.
Le film est centré sur la photojournaliste palestinienne Fatma Hassouna, qui a été tuée par une frappe aérienne israélienne ciblée le lendemain du jour où le film a été sélectionné pour une projection parallèle à Cannes (le 16 avril) — comme l’a montré l’agence de recherche Forensic Architecture.
« Les journalistes sont tués parce que ce sont des diseurs de vérité », a dit Albenese à EUobserver.
Elle souligne le rôle des médias indépendants et du cinéma pour la préservation des voix palestiniennes.
« Les médias devraient donner aux Palestiniens une voix avant qu’ils ne soient morts — avant qu’ils ne deviennent ‘des victimes confortables’. Les médias de nos jours sont souvent prêts à présenter des Palestiniens une fois qu’ils ont été tués, mais pas quand ils sont encore en vie et qu’ils parlent avec leurs propres voix. »
Cela, dit-elle, est la raison principale pour laquelle elle est allée à Cannes — pour honorer ces voix et faire qu’elles continuent à être entendues.
Quand on lui demande si la mort de Hassouna pourrait éveiller l’opinion public, Albanese est plus circonspecte : « Je ne pense pas qu’une seule vie ou qu’une seule mort changera la réponse de la communauté internationale. J’espère seulement qu’il n’y aura plus de Fatma, de Hassan, de Wael,… »
Elle critique l’inaction internationale et les liens économiques continus avec Israël, dont elle dit qu’ils équivalent à de la complicité : « Combien de temps les dirigeants continueront-ils à soutenir un génocide et à en profiter ? »
Banques, fonds de pension, universités et tech
La Rapporteuse spéciale des Nations Unies dit qu’elle travaille actuellement sur un rapport où elle dévoilera les banques, les fonds de pension, les compagnies de technologie et les universités qui aident et soutiennent les violations par Israël du droit international et des droits humains, et ses crimes de guerre.
Et elle rejette fermement la reformulation par Israël de sa guerre à Gaza comme étant de l’auto-défense. « La Cour internationale de justice avait déjà jugé — avant le 7 octobre — qu’Israël n’avait aucun droit de faire la guerre sur un territoire qu’il occupe illégalement. Donc, non, ce n’est pas de l’auto-défense. »
Ce qui, dit Albanese, signifie aussi que les responsables de l’Union européenne, comme Ursula von der Leyen ou la cheffe des Affaires étrangères, Kaja Kallas, sont complices, puisque les relations de l’Union européenne avec Israël sont sous le régime « business as usual » [les affaires comme si de rien n’était].
« J’appelle à ce que ces hauts responsables de l’UE, et d’autres, fassent l’objet de poursuites pour complicité dans des crimes de guerre, à cause de leur soutien aux 19 mois d’attaques contre Gaza. Cela ne peut se faire en toute impunité. »
Une plainte contre der Leyen pour complicité de crimes de guerre a été déposée à la Cour internationale de justice, par l’Institut international de recherches sur la paix (Geneva International Peace Research Institute, GIPRI) en mai.
Albanese a été prise pour cible à cause de ses positions franches. Les menaces contre elle et sa famille continuent. « Je suis d’une partie de l’Italie connue pour la mafia, mais je n’aurais jamais imaginé qu’en 2025, des gens appelleraient chez moi au milieu de la nuit, en disant qu’ils vont nous tuer, moi et mes enfants », dit-elle à EUobserver.
Malgré le prix personnel à payer, elle se sent le devoir de parler directement au public, étant donné son manque de confiance dans la volonté politique des États membres des Nations Unies.
« Je n’ai aucune confiance dans les États membres en ce moment. »
En réponse aux allégations continues d’antisémitisme, y compris la critique de tweets passés comparant le traitement par l’Allemagne des manifestants pro-palestiniens à des tactiques fascistes, et une réplique controversée au président français Emmanuel Macron, Albanese est clair : « J’ai répondu à plusieurs reprises que je ne suis pas antisémite. Je condamne les attaques contre les civils israéliens. »
« Cependant, je condamne particulièrement le génocide et le nettoyage ethnique qu’opère l’État israélien, pas seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie, et cela avec la complicité des dirigeants mondiaux. L’assassinat des enfants doit cesser. »
Elle dit que les accusations contre elle font partie de la campagne contre son mandat.
Albanese s’interrompt pendant l’interview.
« Je me demande combien de Palestiniens Israël va tuer aujourd’hui, pendant que vous et moi sommes ici. »
De fait, au moins 71 Palestiniens ont été tués à Gaza ce jour-là, selon le ministère de la Défense civile. Plusieurs autres sont portés disparus sous les décombres.
Elle ajoute cependant : « Bien sûr, Israël a le droit de protéger ses citoyens des attaques. Mais ceci n’est pas de la protection, c’est le fait de commettre un génocide. Ce qu’Israël doit faire, c’est retirer ses troupes, démanteler les colonies, arrêter d’exploiter les ressources palestiniennes, mettre fin à son contrôle sur l’espace aérien, terrestre et maritime, et de payer des réparations après 57 ans d’occupation illégale. »
Albanese conclut par un message direct aux citoyens : « Par tous les moyens, faites des dons aux organisations d’aide humanitaire. Mais rappelez-vous : ceci est politique. Ce n’est pas un désastre inévitable — c’est un désastre délibéré, stratégique. Il y a des intérêts militaires, économiques et politiques derrière ce génocide. »
Biographie de l’auteurEmma Sofia Dedorson est une journaliste basée à Paris, qui couvre la politique, la culture et la société en France, en Espagne et en Italie.