Ahmed Tobasi du Freedom Theatre décrit les scènes dévastatrices d’une invasion israélienne en cours qui évoque les jours les plus sombres de la deuxième Intifada.
“Toutes les entrées du camp sont fermées. Des bombes explosent. Des balles sont tirées dans toutes les directions. Des bulldozers écrasent des voitures et des rues. Les communications sont coupées et on ne peut vérifier si des gens sont bien présents. C’est une situation humanitaire désastreuse – on ne sait pas qui a besoin d’aide ni à quel degré d’urgence ».
C’étaient les mots d’Ahmed Tobasi, le directeur artistique du célèbre Freedom Theatre, qui me parlait au téléphone en pleine offensive militaire israélienne dans le camp de réfugiés de Jénine où résident environ 11 000 Palestiniens, en Cisjordanie occupée, lundi matin.
Dimanche dernier, les forces israéliennes – armées d’avions et de bulldozers – ont lancé une opération d’envergure dans cette zone, qui se poursuit toujours au moment d’écrire ces lignes. L’armée israélienne a déclaré qu’il s’agissait de « frapper des infrastructures terroristes » de cet endroit et a laissé entendre que l’opération pourrait durer plusieurs jours. Huit Palestiniens ont été déclarés morts jusqu’à présent, tandis qu’un soldat israélien était porté légèrement blessé dans les confrontations avec des combattants palestiniens dans le camp.
Des images qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des rues et des maisons réduites à des décombres et des corps palestiniens éparpillés sur les bas-côtés inaccessibles au personnel médical. Des rapports font état d’autres blessures critiques parmi les Palestiniens et de la poursuite des opérations de l’armée israélienne se poursuivant lundi après-midi, le nombre de pertes semblant devoir augmenter dans les heures à venir.
L’invasion est la dernière escalade en date de l’assaut israélien contre ce qu’Israërl tient pour les « centres du terrorisme » en Cisjordanie, les villes de Jénine et de Naplouse ayant été les premières à en souffrir au cours des derniers mois. L’armée a lancé, voici deux semaines, deux frappes aériennes depuis un hélicoptère Apache et un drone ; c’étaient les premières attaques de la sorte en Cisjordanie depuis le plus fort de la deuxième Intifada, il y a vingt ans ; une telle guerre aérienne est cependant routinière contre la bande de Gaza depuis l’existence du blocus israélo-égyptien décrété en 2007.
Israël a accru son usage des frappes aériennes à Jénine, la nuit dernière et ce matin, avant de lancer une invasion au sol dans laquelle des dizaines de véhicules militaires blindés ont bloqué le camp, piégeant tous les Palestiniens à l’intérieur – civils aussi bien que combattants – tandis que plusieurs centaines, sinon milliers, de soldats israéliens étaient en opération dans toute la zone.
Au téléphone avec Tobasi ce matin, sa ligne de téléphone mobile était sans arrêt coupée alors qu’il bougeait pour se mettre à l’abri dans sa maison en face du théâtre – qui avait été créé en 1990 pour enseigner à la jeunesse palestinienne la résistance par l’art et la culture – à l’entrée du camp. Il n’avait pas internet et donc un appel WhatsApp n’était pas possible et avec un accès seulement à la 3G, on entendait sa voix avec, en fond, des tirs et des bruits de bombes.
« Je suis dans la rue principale du camp de réfugiés de Jénine, qui relie les entrées ouest et est » disait-il dans le bruit d’un déluge de balles. « À six heures du matin, des bulldozers israéliens géants ont commencé à bulldozérisé les rues du camp, en particulier la rue principale et l’entrée, où je vis ».
« La vue de ce qu’il se passe me ramène 20 ans en arrière » dit-il en continuant, se référant à l’invasion militaire israélienne de « l’Opération Bouclier de Protection » pendant la deuxième Intifada. « C’est la même atmosphère, le même danger, la même destruction. Nous n’avons pas d’électricité, pas d’internet, ils ont cassé les arrivées d’eau, ils coupent tous les fils électriques, les snipers israéliens sont partout. Les soldats se déplacent maintenant en groupes d’une maison à une autre – la même stratégie qu’en 2002 ».
Cette année-là, dans ce qui est, depuis, connu sous le nom de la « bataille de Jénine », l’armée israélienne a employé des tanks, des hélicoptères, et l’infanterie, causant une immense dévastation et de graves pertes civiles. Les voies étroites et densément peuplées du camp étaient un défi pour les déplacements des forces israéliennes et donc ils ont utilisé des bulldozers pour détruire des voitures, des bâtiments et tout ce qui se trouvait sur leur passage de manière à ouvrir la voie aux tanks.
De nombreuses maisons avaient été démolies ou endommagées dans cette opération et il avait été montré que l’armée avait commis de nombreuses violations du droit humanitaire international. Une enquête de l’ONU a établi plus tard que 52 Palestiniens avaient été tués, dont des militants et des civils, tandis que 23 soldats israéliens étaient déclarés tués.
« Jusqu’à présent j’ai vu trois aéronefs sans pilotes et des tas de drones partout dans le ciel au-dessus du camp » a dit Tobasi. « Il y a beaucoup de fumée et le bruit de bombes venant de la direction du théâtre. Franchement, on ne peut même pas regarder par la fenêtre pour se rendre compte de de ce qu’il se passe dehors. La situation est tellement dangereuse qu’on ne sait pas réellement quelle est l’ampleur des multiples explosions qu’on n’arrête pas d’entendre. L’essentiel des tirs émane de l’armée, dans toutes les directions ».
Bien qu’il y ait eu de fréquents raids et incursions israéliens depuis des mois, Tobasi a senti que l’offensive actuelle est différente. « Ce n’est pas juste l’opération militaire habituelle qu’ils mènent souvent dans le camp », a-t-il expliqué. « On dirait que cela va durer plus longtemps, si l’on en juge par la façon dont ils ont envahi le camp et par les préparatifs de toute la nuit dans le camp ».
« Pour la première fois en 20 ans, ils ont tiré des missiles Apache sur nous » a-t-il poursuivi. « Ils ont déjà attaqué trois maisons et averti les propriétaires que soit les jeunes hommes qui sont recherchés ou poursuivis (des combattants palestiniens) se rendent d’eux-mêmes, soit l’armée démolira la maison. De nombreuses maisons ont été fouillées et nous ne savons pas si l’armée y a mis des bombes ou non ».
À l’instant, même les ambulances ne peuvent pas rouler dans le camp parce que les bulldozers ont abîmé les rues » continue-t-il. « Tandis que je vous parle, l’armée envoie des bombes fumigènes dont je peux voir les flammes – je ne peux pas dire si elles viennent de voitures garées en face du théâtre ou du théâtre lui-même. On dirait que le monde entier est en train de brûler ».
« L’armée israélienne a bulldozérisé la plupart des voitures garées dans les rues » a ajouté Tobasi, avec un tir de sniper clairement audible en bruit de fond. « Encore une fois, c’est comme l’invasion de 2002. De mes yeux j’ai vu des voitures prendre feu et le feu atteindre des maisons, et aucun de nous ne peut quitter sa maison pour aider les autres ou se déplacer. (Nous sommes sous les tirs de) snipers et de soldats qui sont dans des véhicules de l’armée. Ils font exprès de ne permettre à personne de bouger. Ils veulent se venger en punissant tout le camp ».
Vera Sajrawi est éditrice et journaliste du magazine + 972. Elle a précédemment été productrice télé, radio et en ligne pour la B BC et Al Jazeera. Elle est diplômée de l’université du Colorado à Boulder et de l’université de Al-Yarmouk. Elle est palestinienne et vit à Haïfa.