Il y a 30 ans, le massacre de Qana ébranlait Israël ; aujourd’hui, ce ne serait qu’une autre goutte d’eau dans l’océan

Au cours des deux dernières semaines, Israël a exécuté un « Qana » presque chaque jour dans la Bande de Gaza, et personne n’appelle à ce que cela s’arrête. Le cauchemar de Qana s’est évaporé. Il n’est plus nécessaire de s’assurer qu’on ne tuera pas des dizaines de civils innocents. Personne ne s’en soucie. Le porte-parole des FDI n’a plus besoin de mentir, le Premier ministre n’a plus besoin d’être désolé. La conscience du monde et d’Israël a fondu.

Comme nous étions naïfs, à l’époque, et sensibles. Le 18 avril 1996 — il y a 29 ans — une batterie d’artillerie israélienne a assuré un tir de couverture pour extraire l’unité de commando Maglan, dirigée par le major Naftali Bennett, d’une embuscade dans un village du sud-Liban, Qana. Quatre obus frappèrent un camp de réfugiés des Nations Unies, tuant 102 civils, dont beaucoup d’enfants.

Le porte-parole des Forces de défense d’Israël essaya de mentir et de dissimuler, comme d’habitude ; le Premier ministre Shimon Peres déclara que nous étions « vraiment désolés », mais que nous « ne nous excusions pas » ; et le monde s’emporta. Quelques jours plus tard, Israël fut contraint de mettre fin à l’Opération Raisins de la Colère, une de plus parmi les opérations militaires démentes entreprises au Liban ces années-là. Un mois plus tard, Benjamin Netanyahou fut élu pour son premier mandat de Premier ministre, en partie à cause de Qana. Comme nous étions naïfs, alors, et sensibles.

Qana est devenu le modèle du cauchemar israélien dans chaque guerre : un incident au cours duquel des masses de civils sont tués, forçant Israël à mettre fin à la guerre : n’importe quoi, mais pas ça. Mais les temps ont changé. Maintenant, Israël peut massacrer de tout son cœur, sans craindre un autre Qana.

Les deux dernières semaines, Israël a exécuté un « Qana » presque chaque jour dans la Bande de Gaza, et personne n’appelle à ce que cela s’arrête. Le cauchemar de Qana s’est évaporé. Il n’est plus nécessaire de s’assurer qu’on ne tuera pas des dizaines de civils innocents. Personne ne s’en soucie. Le porte-parole des FDI n’a plus besoin de mentir, le Premier ministre n’a plus besoin d’être désolé. La conscience du monde et d’Israël a fondu comme neige au soleil.

Si l’horrible bain de sang de dimanche dans la phase actuelle de la guerre de Gaza n’arrête pas Israël ; si l’assassinat d’une équipe médicale de Rafah ne réussit pas non plus à l’arrêter, qu’est-ce qui pourrait le faire ? Rien. Israël peut exécuter autant de massacres que cela lui plaît. Et apparemment, il lui plairait d’en exécuter beaucoup.

Dans la frappe qui a ouvert la reprise de la guerre à Gaza, Israël a tué 436 civils, dont 183 enfants et 94 femmes. Quatre fois Qana et même quelques personnes de plus.

La choquante histoire dans Haaretz vendredi, par Nir Hasson et Hanin Majadli, en a montré les visages et raconté les histoires. Elles retournaient l’estomac. Cette semaine, des détails sur un horrible massacre différent, peut-être le plus barbare de tous jusqu’à présent, ont été publiés : le massacre d’équipes de secours d’urgence dans le quartier Tel al-Sultan de Rafah. Quinze corps, dont un avec les jambes liées et un autre percé de 20 balles, ont été retrouvés enterrés dans la sable l’un au-dessus de l’autre, avec leurs ambulances et des camions de pompiers.

Selon des témoins oculaires, quelques-uns d’entre eux au moins ont été exécutés. Tous étaient des sauveteurs qui essayaient d’atteindre des personnes blessées dans des frappes aériennes israéliennes. Dans des moments normaux, le rapport de Hasson, Jack Khoury et Liza Rozovsky (Haaretz, mardi), aurait été suffisant pour mettre un terme à la guerre. Qana pâlit dans le niveau de barbarie en comparaison. À Qana, on pouvait croire qu’Israël avait tué par inadvertance des dizaines de personnes innocentes ; à Tel al-Sultan, il était clair qu’il y avait une intention malveillante et criminelle pour le faire.

Ce qui est arrivé à Tel al-Sultan est un massacre My Lai israélien. Mais alors que My Lai a marqué un changement radical dans l’opinion publique américaine contre la guerre au Vietnam, Tel al-Sultan n’a pas réussi à intéresser la plupart des médias israéliens. L’Amérique de l’époque, militariste, soumise à un lavage de cerveau, était en plein tumulte ; l’Israël d’aujourd’hui a fermé les yeux sur Tel al-Sultan.

Non seulement ces massacres n’ont déclenché aucun changement dans l’opinion publique ni mis un terme à la guerre, mais ils semblent encourager davantage de massacres. Mardi, l’armée israélienne a bombardé une clinique de l’agence de réfugiés UNRWA dans le camp de Jabalya, tuant 19 personnes dont des enfants. C’est la sorte de massacre qui est autorisé à se répéter. Qui aurait jamais imaginer que nous pourrions un jour repenser avec affection aux temps de Qana, de l’Opération Raisins de la Colère ou du gouvernement Peres ? Et pourtant nous y voilà.

  • Photo : Panneau commémoratif pour les victimes de la frappe aérienne israélienne contre Qana, au Liban, le 30 juillet 2006.
  • Note de l’AURDIP : l’article du Haaretz confond Qana au Liban et Kfar Kana/Kafr Qana en territoire israélien. Nous avons rectifié cette erreur.