Guerre à Gaza : on ne peut pas continuer comme si de rien n’était

HR/VP Blog post – Après une année de plaidoyer ignoré des autorités israéliennes pour le respect du droit international dans la guerre de Gaza, nous ne pouvons pas continuer comme si de rien n’était. C’est pourquoi j’ai proposé aux États membres de l’UE d’interdire les importations en provenance des colonies illégales et de suspendre le dialogue politique avec Israël. Nous discuterons de ces mesures au Conseil des Affaires Étrangères la semaine prochaine.

Tandis que les mots nous manquent pour décrire la situation qui ne cesse d’empirer à Gaza, ses habitants manquent de tout . Dans de nombreux endroits de la bande de Gaza, il n’y a presque rien qui puisse soutenir une vie humaine organisée. Le Nord de Gaza, naguère habité par plus d’un million de personnes, a été complètement vidé par plusieurs semaines de bombardements incessants, détruisant les restes ultimes des centres de santé, des abris et des écoles.

Le nettoyage ethnique du nord de Gaza

 Aucune aide ne leur parvenant depuis des semaines , les quatre mille habitants restants ont finalement été forcés de partir sous la menace des armes. Les quelques images montrées donnent à voir une terre dévastée, apocalyptique. Ce n’est pas un hasard si les termes de “nettoyage ethnique » sont de plus en plus employés pour décrire ce qu’il se passe dans le Nord de Gaza.

Ce que nous voyons de la tragédie de Gaza n’est cependant que la partie émergée de l’iceberg depuis que la bande de Gaza a été verrouillée . Seuls quelques journalistes ou observateurs internationaux entrent à Gaza depuis plus d’un an. C’est le plus long blackout d’information jamais imposé par un État démocratique. À cela s’ajoutent des raisons de penser que des journalistes ont été ciblés par les Forces de Défense israéliennes . À ce jour,  plus de 130 d’entre eux ont été tués .

Ce scenario, à l’oeuvre depuis trop longtemps à Gaza, est désormais reproduit ailleurs. Au Sud-Liban, quelque 30 villages ont été anéantis  – non dans un combat intensif, mais d’une façon contrôlée, postée sur les réseaux sociaux. En Cisjordanie, la violence de colons extrémistes  force de nombreux paysans et éleveurs palestiniens à quitter leurs terres. Des oliviers déracinés, du bétail tué ou volé et des véhicules incendiés font partie de la réalité quotidienne dans de nombreuses localités rurales. Des frappes aériennes israéliennes à Jénine et Tulkarem , pour la première fois depuis plus de vingt ans, s’ajoutent à la destruction des infrastructures civiles délaissées par les bulldozers plus tôt dans l’année.

Condamner l’attaque du 7 octobre dans les termes les plus forts

Lorsque le massacre du 7 octobre a fait apparaître des images épouvantables sur nos écrans  de gens frappés à mort dans leurs maisons, de terroristes attaquant un festival de musique, de corps carbonisés, nous avons compris le traumatisme de siècles de pogromes et de persécutions que l’assaut terroriste a déclenché. Notre réaction immédiate fut de montrer une pleine solidarité avec le peuple israélien , de condamner les attaques dans les termes les plus forts possible et de soutenir le droit d’Israël à se défendre dans les limites du droit international.

Israël ne devrait pas se consumer dans sa rage. Une horreur ne peut pas en justifier une autre.

Lorsque l’ex ministre de la défense d’Israël, Galant, a dit le 9 octobre 2023 que Gaza n’aurait “pas de nourriture, pas d’électricité, pas d’eau”  parce qu’Israël combattait « des animaux humains et agirait en conséquence », nous avons plaidé qu’Israël ne devrait pas se consumer dans sa rage. Une horreur ne peut en justifier une autre. Lorsque l’autodéfense s’est mise à ressembler de plus en plus à de la vengeance , nos appels se sont faits plus forts, mais nous avons redoublé d’engagement sur la sécurité d’Israël.

Après quelques semaines, de hauts responsables israéliens ont commencé à parler d’une « nouvelle Nakba » , le déplacement en 1948 de 700 mille Palestiniens de ce qui est devenu Israël. Nombre de ces réfugiés ont fui à Gaza, où ils représentent les deux tiers de la population. En janvier, douze ministres du gouvernement ont participé à un rassemblement de masse pour la recolonisation de Gaza . Et la semaine dernière, nous avons entendu que le Nord de Gaza avait été vidé de ses civils qui ne seraient pas autorisés à y revenir . Certaines de ces trouvailles illégales et immorales deviennent à l’évidence une réalité.

De plus, le parlement israélien a adopté en octobre une loi interdisant l’agence de l’ONU créée par l’Assemblée Générale en réponse au déplacement de 1948 , l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, UNRWA. Elle a été conçue pour durer quelques années jusqu’à ce que soit résolu le problème des réfugiés, mais en l’absence d’une solution politique, elle est devenue la bouée de sauvetage de millions de Palestiniens dans tous les territoires occupés. L’UE a condamné cette loi Le Conseil de Sécurité de l’ONU a réaffirmé le rôle indispensable de l’UNRWA  en tant que fournisseur de services, en particulier dans les circonstances actuelles, comme nous l’avons vu dans la campagne de vaccination contre la polio. Mais aucun signe de prise en compte d’aucun de ces appels n’apparaît.

La liste des requêtes tombées dans l’oreille de sourds est trop longue à retracer

Respecter le droit international humanitaire, obéir aux injonctions de la Cour Internationale de Justice , assurer l’accès à l’aide humanitaire, accepter la proposition du Président Biden d’un cessez-le feu , permettre à des journalistes et aux enquêteurs mandatés par l’ONU d’entrer à Gaza… Rétrospectivement, la liste des requêtes tombées dans l’oreille de sourds est trop longue à retracer.

L’ordre mondial fondé sur des règles a déjà été artificiellement maintenu depuis la guerre d’agression de Poutine contre l’Ukraine. Après Gaza, il ne tient qu’à un fil.

Le mépris largement répandu pour le droit international humanitaire de la part de tous les belligérants au Moyen Orient, dont Israël, sape le fondement même sur lequel a été construite l’Union Européenne : ls règles de droit pour la protection des faibles contre les forts. Pour l’UE, ce principe est non seulement fondamental – il est existentiel. De même que la liberté d’information et de reddition de comptes.

Nous ne devrions pas nous bercer d’illusions : cette catastrophe humanitaire dans notre voisinage va nous hanter chez nous. L’effet de ricochet des crises à l’étranger intervient souvent après un certain délai, mais aussi sous forme de vengeance. Les répercussions en Europe, en termes de migrations, de sécurité intérieure, de tensions sociales, de racisme à l’égard des Juifs, des Musulmans, des Arabes etc. se font déjà sentir, comme nous l’avons vu dans les rues d’Amsterdam la semaine dernière .

Nous pouvons voir des signaux avertisseurs et ne devrions pas les ignorer. Rétrospectivement, nous devons reconnaître que nous avons eu, pendant plus d’une année vis-à-vis du gouvernement israélien, une approche qui a échoué.

Appliquer les règles du droit international sans distinction

Le respect d’un ordre mondial fondé sur des règles commence par l’application de ses règles sans distinction et par la défense des institutions mandatées pour les mettre en œuvre. Cela s’applique au Secrétariat Général de l’ONU, au Conseil de Sécurité de l’ONU et à l’Assemblée Générale de l’ONU autant qu’à la Cour Pénale Internationale, à la Cour de Justice Internationale, à l’UNRWA et à toutes les agences de l’ONU.  

Dans d’autres situations où ces règles internationales sont régulièrement violées, nous avons pris de nombreuses sanctions  – du refus de visas et l’établissement de listes de terroristes à des restrictions d’importations et des sanctions économiques. Jusqu’à présent, Israël a été épargné de toute conséquence significative.

Cela doit changer. C’est pourquoi j’ai proposé une interdiction d’importations de produits des colonies illégales, fondée sur l’avis récent de la Cour Internationale de Justice, semblable à l’interdiction d’importation de produits des territoires occupés d’Ukraine, qui existe – parce que l’impartialité est le pilier de la crédibilité de l’Europe.

J’ai aussi demandé au représentant spécial de l’UE sur les droits humains  une évaluation du respect par Israël de l’Accord d’Association avec l’UE, que je présenterai prochainement à nos États membres. Sur la base de cette évaluation, je vais proposer aux États membres de l’UE de suspendre le dialogue politique avec Israël. Après une année d’arguments non écoutés, nous ne pouvons continuer comme si de rien n’était.

  • Photo : L’approche qui a été la nôtre depuis plus d’un an sur la guerre à Gaza, a échoué. Nous devons changer d’attitude