Le monde a finalement reconnu le besoin d’interroger l’occupation israélienne vieille de 55 ans du territoire palestinien. Et l’avis rendu par la CIJ à l’Assemblée Générale de l’ONU aura des répercussions non seulement sur le conflit israélo-palestinien, mais sur la guerre de la Russie sur l’Ukraine.
Le vote de la semaine dernière aux Nations Unies a marqué un tournant décisif. Pour la première fois, on demandait au principal organe judiciaire de l’ONU de donner un avis sur la légalité de l’occupation israélienne de 55 ans du territoire palestinien – à savoir Jérusalem Est, la Cisjordanie et la Bande de Gaza.
La Commission des Questions Politiques Spéciales et de la Décolonisation des Nations Unies a approuvé un projet de résolution de neuf pages sur les pratiques et les activités coloniales d’Israël qui affectent les droits du peuple palestinien pour demander un deuxième avis consultatif – composé de deux questions – à la Cour Internationale de Justice.
La première question s’enquiert des conséquences juridiques provoquées par la violation continue par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, étant donné son occupation, colonisation et annexion persistantes du territoire palestinien depuis 1967, y compris les mesures qui visent à modifier la composition démographique de la Ville Sainte de Jérusalem.
La deuxième question interroge l’incidence de cette politique sur le statut juridique de l’occupation et les conséquences juridiques qui découlent de ce statut pour tous les États et pour l’ONU.
Ce n’est pas la première fois qu’on demande au Tribunal de La Haye son opinion juridique sur la politique d’Israël envers le peuple palestinien ; l’Assemblée Générale de l’ONU avait demandé son avis sur les conséquences juridiques de la construction en 2003 de la barrière de séparation en Cisjordanie, qui a eu une réponse du Tribunal l’année suivante. Mais cette fois-ci, le sujet c’est l’occupation elle-même, ainsi que les violations du droit relatif aux droits de l’homme et du droit humanitaire international qui lui est associé.
Il est important de noter que la question n’a pas encore été soumise au tribunal. Il y aura un deuxième vote à la session plénière de l’Assemblée Générale de l’ONU en décembre, mais il fait peu de doute que la résolution sera votée.
Dans le premier vote, 98 États ont voté pour la résolution – huit de plus que les 0 qui avaient voté pour la résolution qui demandait le premier avis consultatif en 2003. Parmi les États qui s’ajoutent, il y a beaucoup de pays européens qui s’étaient abstenus en 2003, tels que l’Irlande, la Belgique, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal et la Slovénie.
Les décisions requérant des avis consultatifs de la part de la CIJ n’exigent qu’une simple majorité des membres de l’ONU « présents et votant », ce qui signifie que, pour la bloquer, Israël devrait persuader plus de 40 États de voter contre la requête. C’est un défi de taille pour n’importe quel ministère des Affaires étrangères, sinon irréalisable.
La décision de la semaine dernière de soumettre la requête à un deuxième avis consultatif de la Commission des Questions Politiques Spéciales et de la Décolonisation, plutôt que de la présenter directement en plénière en décembre, a été une démarche tactique intelligente. Elle a coïncidé avec les élections de mi-mandat aux États-Unis, quand l’attention du président américain Joe Biden était concentrée ailleurs.
Sans surprise, les Etats-Unis furent l’un des rares États à avoir voté contre la résolution, à côté d’Israël. Mais la majorité écrasante des États a voté pour la résolution, dont des États ayant des liens économiques et culturels étroits avec Israël, comme l’Ukraine.
Même les signataires des Accords d’Abraham – Bahreïn, les EAU, le Maroc et le Soudan – ont voté pour. Le vote contre de l’Australie fut surprenant étant donné que le nouveau gouvernement travailliste avait tranquillement inversé sa reconnaissance de Jérusalem Ouest comme capitale d’Israël un mois plus tôt.
On dit que le vote de Kiev a contrarié l’ambassadeur d’Israël en Ukraine qui l’a qualifié de « décevant ». Pourtant, cela n’aurait pas dû le surprendre : la question posée à la CIJ est importante pour l’Ukraine, dont le territoire a été occupé, partagé, pillé et annexé par la Fédération de Russie. Ce qui est peut-être plus étonnant, c’est que Moscou a également voté pour la résolution.
La décision des Nations Unies de soutenir la demande palestinienne d’un deuxième avis n’est guère surprenante. Le mois dernier, une commission d’enquête de l’ONU a trouvé « des motifs raisonnables pour conclure que l’occupation israélienne du territoire palestinien est maintenant illégale selon le droit international, étant données sa permanence et les actions entreprises par Israël pour annexer des parties de la terre de facto et de jure ». Notamment, la commission a recommandé qu’il soit demandé à la CIJ de fournir un avis sur les conséquences juridiques du refus continu d’Israël de mettre fin à l’occupation.
Le président palestinien Mahmoud Abbas a averti depuis des années qu’il reviendrait au tribunal de La Haye, ne serait-ce que récemment à l’ouverture de l’Assemblée Générale de l’ONU en septembre. Si Abbas avait le moindre doute sur la sagesse de requérir un autre avis de la CIJ, la réélection de Benjamin Netanyahou en tant que premier ministre d’Israël, qui est perçue par de nombreux Palestiniens (et Israéliens) comme un obstacle à la paix, n’aurait fait qu’encourager davantage le dirigeant palestinien.
Bien que la requête soit issue d’une initiative palestinienne, une fois qu’elle aura été votée par l’Assemblée Générale de l’ONU, l’avis demandé à la CIJ sera transmise à l’organisme de l’ONU. En d’autres termes, ce n’est pas une procédure contradictoire. La Palestine ne porte pas plainte ni « n’intente un procès » contre Israël. Il ne s’agit pas de « guerre juridique ». Tout ce qui est proposé, c’est que l’Assemblée Générale de l’ONU demande son avis à la cour sur deux questions juridiques qui figurent dans le paragraphe 18 de la résolution.
Il y a 15 juges à la CIJ qui représentent les principaux systèmes juridiques du monde. Le président actuel de la cour est américain ; le vice-président est russe. Il ne fait pas de doute que les juges seront d’accord sur les deux questions proposées. Certains juges appartiennent à des pays qui ont voté contre la résolution et peuvent ne pas être favorablement enclins à répondre aux questions. Nous devrons attendre et voir ce qui se passe.
Même si les Palestiniens devaient recevoir un avis consultatif favorable à La Haye, cela ne voudrait pas forcément dire que les États suivraient ce que dit la CIJ. Pourtant, étant donnés les événements en Ukraine, l’avis donné par la CIJ à l’Assemblée Générale de l’ONU aura vraisemblablement une signification qui dépassera le conflit israélo-palestinien.
Les gouvernements occidentaux trouveront peut-être plus difficile de ne pas faire pression sur Israël pour qu’il mette fin à l’occupation étant données les sanctions sans précédent qu’ils ont infligées à Moscou pour son invasion, occupation et annexion de grandes parties de l’Ukraine. En partant de là – et parce que l’occupation israélienne elle même est au cœur de la demande d’avis – les États s’intéresseront probablement de beaucoup plus près qu’auparavant à ce que dit la cour.