Les Palestiniens préviennent depuis longtemps que le blocus israélien et ses agressions répétées finiraient par conduire à une explosion. Mais peu d’entre nous à Gaza s’attendaient à cela.
Plus de 24 heures se sont écoulées depuis que le Hamas s’est échappé de sa cage de Gaza, lançant une attaque sans précédent qui a pris l’armée israélienne complètement au dépourvu. L’infiltration de combattants palestiniens à travers la barrière de séparation, ainsi que par air et par mer – déjà décrite comme l’échec le plus important du renseignement et de l’armée depuis la Guerre du Yom Kippour en 1973 – a abouti à la mort de plus de 700 citoyens israéliens par tirs d’armes à feu et tirs de roquettes, et à l’enlèvement de dizaines d’autres qui ont été transportés à Gaza.
Pour ceux d’entre nous qui observons depuis l’intérieur de la Bande de Gaza assiégée, la situation n’a été rien moins que terrifiante. Peu après le début de l’attaque, Israël a déclaré un état de guerre, initiant un barrage incessant de frappes aériennes ciblant un large éventail de lieux à travers la bande, dont des hôpitaux, des espaces publics et des ensembles résidentiels. Le nombre de morts à Gaza a déjà dépassé les 350, avec des milliers d’autres blessés, et il semble inévitable que le pire soit encore à venir.
Depuis les toutes premières nouvelles de l’attaque samedi matin, j’ai vécu un cauchemar en plein jour avec ma femme, notre fils de 2 ans Rafik, ma sœur, et nos parents. Dans les moments de bombardements, nous nous serrons tous les uns contre les autres, nous tenant fermement par la main. Nous tâchons de cacher notre peur, portant un masque de calme même alors que l’attaque se rapproche. Nos prières, généralement si fortes, paraissent maintenant fragiles – rappel brutal de notre impuissance à nous protéger.
Ce n’est pas notre première expérience des guerres israéliennes sur Gaza. Mon fils en a eu sa première expérience en 2021 alors qu’il était encore dans le ventre de sa mère. Mes parents ont enduré cette tragédie depuis 1967. Et moi j’ai traversé cinq guerres en simplement deux décennies. Mais l’idée que nous pouvons normaliser la peur est une erreur. Chaque conflit est ressenti comme le premier, nos cœurs tremblant dès l’instant de la première frappe aérienne jusqu’à l’annonce enfin du cessez-le-feu.
Cette nouvelle attaque par les groupes de résistance de Gaza fait suite à une série de semaines intenses de violence de l’État israélien et des colons à travers les territoires occupés, qui a joué un rôle considérable dans la survenue de la crise actuelle. Les Palestiniens ont tiré la sonnette d’alarme, prévenant que le blocus, l’appauvrissement continu, les agressions israéliennes répétées, et la fragmentation de leurs communautés finiraient par conduire à une explosion. La direction et la résistance palestiniennes ont entendu les appels du peuple à contre-attaquer la politique d’agression israélienne, une réaction était donc attendue.
Ce qui a cependant surpris la plupart des Palestiniens, qu’ils soient chez eux ou dans la diaspora, c’est l’échelle et l’intensité de cette attaque – alors que les autorités israéliennes continuent de publier plus de noms de personnes décédées tandis que les opérations de la résistance palestinienne se poursuivent dans le sud d’Israël.
Piégés dans une prison à ciel ouvert
La vie quotidienne à Gaza s’est rapidement détériorée au cours des seize dernières années de siège israélien. Aujourd’hui, environ 97 % de l’eau dans la bande est considérée comme impropre à la consommation ; plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté ; 80 % de la population de la bande dépend de l’aide étrangère ; et, pour la plupart des jeunes, l’avenir est incertain, 64 % d’entre eux étant au chômage et leurs rêves et leurs aspirations étant étouffées par les contraintes du blocus.
La majorité des Palestiniens qui résident à Gaza sont des réfugiés qui vivent dans un exil perpétuel de leurs demeures ancestrales, après avoir été expulsés par les forces sionistes et israéliennes dans la Nakba de 1948. En 2018 et 2019, la demande de levée du siège et de retour dans leurs maisons a fait le tour du monde alors que des milliers de Palestiniens manifestaient à la frontière pendant la Grande Marche du Retour – manifestations qui ont été ranimées ces dernières semaines. Israël a tué des centaines de personnes pendant ces manifestations et a infligé des milliers de blessures, ciblant délibérément à balles réelles les membres de beaucoup d’entre eux. Ces blessures, à la fois physiques et psychologiques, ne sont pas encore guéries.
Le monde nous a regardés vivre ici, piégés dans cette prison à ciel ouvert, aspirant à la liberté. Nous endurons cette existence depuis des décennies et, malgré tout cela, nous nous sommes cramponnés à notre espoir et à notre détermination à résister : si jamais nous avions une chance, nous la prendrions.
Ce qu’Israël et la majorité du monde appelle « calme », c’est le calme inquiétant qui précède la tempête, avant que Gaza soit à nouveau plongé dans le chaos. Ce soi-disant calme est trompeur parce que, dans notre réalité, il est tout sauf pacifique. Le « calme », c’est quand Gaza est bombardé, tandis que des villages, des villes et des cités à travers le reste de nos terres occupées sont envahies, des maisons détruites au bulldozer, des journalistes abattu-e-s, des ambulances attaquées, des mosquées vandalisées, des écoles bombardées de gaz lacrymogène, et des Palestiniens massacrés.
Mais ce calme de façade vole en éclats quand les Palestiniens, poussés à bout, réagissent finalement à cette pression acharnée. Le monde peut regarder en état de choc, mais pour nous, c’est l’aboutissement d’années de souffrance et de désespoir. C’est le moment où nous défendons notre existence même et notre droit à vivre en paix et en liberté.
Même s’il est vrai que les défaillances du renseignement israélien ont permis au Hamas de le prendre au dépourvu, il s’agit aussi du résultat d’un manque d’imagination, d’empathie et de décence élémentaire. C’est une incapacité à comprendre qu’on ne peut attendre d’un peuple qu’il endure des décennies d’occupation stoïquement et passivement.
Il est essentiel de reconnaître que le siège lui-même est une provocation. Obliger une population à vivre dans une prison à ciel ouvert – acte délibéré de tenue d’une population entière dans un état de constante vulnérabilité – est en soi une forme de violence. Ce qui conduit à l’escalade dont nous sommes maintenant témoins, c’est le fait que nous Palestiniens n’en pouvons plus de vivre dans des conditions sans fin d’occupation et de colonisation. Voilà les questions qui doivent être traitées pour arriver à une solution significative.
Le droit de résister
Israël mène une guerre contre le peuple palestinien depuis plus de sept décennies avec nettoyage ethnique, occupation, politique d’apartheid et siège brutal de Gaza. Pourtant, malgré sa puissance de combat très largement supérieure, les récents événements ont mis en lumière la banqueroute de la rhétorique des dirigeants israéliens et leur incapacité à engendrer la paix et la sécurité.
Ce que le monde ne parvient pas à comprendre, c’est que le peuple palestinien a le droit d’utiliser une résistance armée dans sa lutte pour la liberté et pour se défendre contre l’agression d’Israël. En réalité, beaucoup de ceux qui condamnent actuellement les attaques du Hamas sur des civils sont restés terriblement silencieux pendant qu’Israël commettait des crimes innommables contre le peuple palestinien, dont le fait d’imposer une punition collective aux résidents de Gaza. Toute analyse ou commentaire qui ne reconnaît pas cette réalité est non seulement creuse, mais également immorale et déshumanisante.
Dans des périodes comme celle-ci, il est essentiel de garder à l’esprit les histoires de lutte à Gaza – et du peuple palestinien en général – et d’aider à l’amplification de nos appels à la dignité, alors que nous continuons d’endurer des agressions inimaginables contre notre existence, dans la recherche de la justice, de la paix et de l’égalité.
Depuis des années maintenant, les familles de Gaza comme la mienne vivent avec le besoin constant et perturbant d’avoir nos affaires importantes empaquetées et prêtes à tout moment, au cas où nous aurions à partir après un très bref préavis. On y trouve l’essentiel pour survivre au milieu du chaos : médicaments, documents, chargeurs de téléphone, biens personnels et kits d’hygiène.Tenir ces sacs tout le temps prêts montre combien la vie peut devenir effrayante en un instant à Gaza.
Maintenant, alors que j’écris ces mots, ma famille et moi rassemblons en hâte nos sacs d’urgence pour quitter la maison après qu’on nous ait dit que notre quartier allait être bombardé. J’ai vécu cinq guerres sur Gaza, mais je n’ai jamais ressenti autant d’horreur ni vu autant de destructions.
Mohammed R. Mhawish est un journaliste et écrivain palestinien qui vit à Gaza. Il a contribué au livre ‘A Land with a People – Palestinians and Jews Confront Zionism’ (Monthly Review Press Publication, 2021). [Une terre avec un peuple – Palestiniens et Juifs affrontent le sionisme]