Katherine Franke n’enseignera plus à l’École de droit de Columbia, à cause de sa défense des étudiants palestiniens
10 janvier 2025, New York – En réponse à la fin de la carrière, longue de 25 ans, de Katherine Franke comme membre hautement estimée du corps enseignant de l’École de droit de l’université Columbia, le Centre pour les droits constitutionnels a rendu publique la déclaration suivante :
Dans une attaque flagrante à la fois contre la liberté académique et contre la défense des droits palestiniens, l’université Columbia a conclu un « accord » avec Katherine Franke pour qu’elle quitte sa position d’enseignante, après une brillante carrière de 25 années. La mesure — « un licenciement habillé en des termes plus acceptables », selon la déclaration de Franke — est une conséquence de sa défense des étudiants qui se sont exprimés pour soutenir les droits palestiniens.
Son apparent délit a été un commentaire qui s’inquiétait de l’incapacité de Columbia à gérer le harcèlement des Palestiniens et de leurs alliés par des étudiants israéliens arrivant sur le campus directement après leur service militaire — après que ces étudiants israéliens ont aspergé les manifestants pour les droits palestiniens d’un produit chimique toxique. Pour ce commentaire, elle a subi une enquête pour harcèlement, qui a conclu qu’elle avait violé les politiques de Columbia. La cause effective de son départ forcé est la répression de toute dissension à Columbia, résultant des manifestations historiques pour s’opposer au génocide par Israël des Palestiniens de Gaza. Le sort de Franke a été scellé quand l’ancienne présidente de Columbia, Minouche Shafik, l’a jetée en pâture lors de sa lâche audition devant le Congrès.
Ce moment de forte tension est passé, mais le climat de répression sur les campus universitaires ne fait que s’intensifier, et le génocide des Palestiniens par Israël continue sans relâche. L’objectif de la répression contre la défense des droits palestiniens est de réduire au silence toute critique de l’attaque barbare d’Israël, qui a tué au moins 46000 Palestiniens. Le total actuel, selon une nouvelle étude, pourrait s’élever à 65000. C’est sur cela que notre attention devrait se diriger et c’est sur cela que Franke sera maintenant capable de recentrer ses efforts.
Lisez la déclaration complète de Katherine Franke ici (traduction française plus bas)
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Déclaration de Katherine Franke, 10 janvier 2025
Au cours des dix-huit derniers mois, alors que des étudiants de l’université Columbia et du monde entier protestaient contre l’attaque génocidaire du gouvernement israélien contre des Palestiniens après les attaques d’octobre 2023 — une réponse qui a entraîné une effroyable dévastation à Gaza —, j’ai ardemment défendu le droit des étudiants à manifester pacifiquement sur notre campus et dans tout le pays. Je croyais vraiment que l’implication des étudiants pour les droits et la dignité des Palestiniens poursuivait la tradition, célébrée à l’université Columbia, des manifestations étudiantes. Au lieu de cela, l’université a permis que ses propres procédures disciplinaires soient utilisées comme des armes contre les membres de notre communauté, dont moi-même. J’ai été ciblée pour mon soutien des manifestants pro-palestiniens — par la présidente de l’université Columbia, par plusieurs collègues, par des administrateurs et par des acteurs extérieurs. Cela a inclus la conclusion, injustifiée, de la part de l’université que mes commentaires publics condamnant des attaques contre les manifestants étudiants violaient la politique de non-discrimination de l’université. J’en suis arrivée à la conclusion que l’administration de l’université Columbia a créé un environnement si toxique et si hostile contre tout débat légitime sur la guerre en Israël et en Palestine que je ne peux plus y enseigner ni y mener des recherches.
J’ai donc accepté un accord avec l’université Columbia, en vigueur à partir d’aujourd’hui, qui me relève de mes obligations à enseigner ou à participer à la gouvernance, après avoir servi la faculté de droit de Columbia pendant 25 années. Si l’université peut qualifier ce changement de mon statut de « retraite », il serait plus correctement décrit comme un licenciement habillé dans des termes plus acceptables. En échange de mon accord à me retirer en tant que membre active du corps enseignant de Columbia, l’université a demandé que j’abandonne des droits et des privilèges importants qui sont offerts en principe à tous les retraités du corps enseignant. Décrire le changement de mon statut dans l’université comme une « retraite » est à la fois trompeur et fallacieux.
En janvier dernier, je me suis exprimée publiquement, défendant le droit des étudiants de Columbia à manifester en faveur d’un cessez-le-feu dans l’attaque militaire israélienne à Gaza, et pour que l’université Columbia désinvestisse d’Israël, un pays qui est largement considéré comme étant impliqué dans un génocide contre les Palestiniens. Dans mes déclarations, dont une interview dans Democracy Now! le 25 janvier 2024, j’ai condamné l’aspersion d’un produit chimique toxique sur des manifestants pro-palestiniens de notre campus, aspersion qui a provoqué des blessures si sérieuses que plusieurs étudiants ont été hospitalisés. Dans ces déclarations, j’ai remarqué que les parties qui aspergeaient nos étudiants avec ce produit chimique étaient des étudiants israéliens, actuellement inscrits à un programme diplômant commun entre Columbia et l’université de Tel-Aviv, et qui avaient récemment effectué leur service militaire en Israël. Ces faits ont été confirmés à la fois par l’université Columbia et par les étudiants israéliens eux-mêmes. J’ai aussi fait remarquer qu’il y avait des antécédents d’attaques contre des étudiants palestiniens et leurs alliés sur notre campus par des étudiants israéliens ayant récemment terminé leur service militaire et que l’université Columbia ne prenait pas suffisamment au sérieux ce schéma de harcèlement. Je m’inquiète depuis longtemps de ce que la transition de l’état d’esprit exigé d’un soldat à celui d’un étudiant pouvait être difficile pour certains et je pense que l’université devrait faire davantage pour protéger la sécurité de tous les membres de notre communauté. De nombreux étudiants de Columbia ont vérifié ces antécédents de harcèlement et m’ont consultée à ce propos au fil des années.
En février 2024, deux collègues de Columbia ont déposé plainte contre moi au Bureau de l’égalité de l’emploi et de l’action positive [Office of Equal Employment and Affirmative Action] de l’université, m’accusant de ce qu’une phrase dans mes commentaires à Democracy Now! équivalait à un harcèlement des membres israéliens de la communauté de Columbia, en violation des politiques de l’université. Alors que l’enquête sur ces plaintes avançait, j’ai insisté sur le fait que l’université Columbia ne pouvait pas servir d’enquêteur ou de juge neutre sur cette question puisqu’elle était irrémédiablement biaisée contre moi. Par exemple, en avril 2024, pendant une audition au Congrès, la députée Elise Stefanik a demandé à la présidente de Columbia à l’époque, Minouche Shafik, quelles actions disciplinaires avaient été prises contre « la professeure Katherine Franke de l’École de droit de Columbia, qui a dit que ‘tous les étudiants israéliens qui ont servi dans les Forces de défense israéliennes sont dangereux et ne devraient pas être sur le campus’. » La présidente Shafik a répondu : « Je suis d’accord avec vous, ces commentaires sont complètement inacceptables et discriminatoires ». La présidente Shafik savait à l’époque que le résumé par la députée Stefanik de mes commentaires était grossièrement inexact et trompeur. Pourtant elle n’a fait aucun effort pour corriger la déformation délibérée de mes commentaires par la députée.
Après beaucoup d’insistance, Columba a accepté de recruter un enquêteur extérieur sur les accusations contre moi et fin novembre 2024, l’université a rendu la décision, sur la base de cette enquête, qu’une phrase unique dans mes commentaires de Democracy now! violait les politiques d’égalité des chances et d’action positive parce que je faisais référence à des antécédents de harcèlement contre des Palestiniens et leurs alliés sur notre campus, et elle a conclu de plus que j’avais exercé des représailles contre les plaignants dans ce cas, en confirmant leurs noms à un reporter l’été dernier.
J’ai fait appel de cette décision de culpabilité et si la décision devait être maintenue, l’affaire irait à mon doyen pour imposer une sanction.
Mais à la réflexion, il est devenu clair pour moi que Columbia s’était transformé en un environnement si hostile que je ne pouvais plus y travailler comme membre actif du personnel enseignant. Au cours de la dernière année, j’ai vu plusieurs personnes se présentant comme des étudiants venir à mon bureau pour y chercher conseil sur les manifestations étudiantes, disaient-ils, alors qu’ils m’enregistraient secrètement ; des versions éditées de ces enregistrements ont ensuite été publiées sur des réseaux sociaux de droite. Après que la présidente Shafik m’a diffamée au Congrès, j’ai reçu plusieurs menaces de mort à la maison. Je reçois régulièrement des mails qui expriment l’espoir que je sois violée, assassinée ou attaquée de diverses manières à cause de mon soutien des droits palestiniens. Des collègues de l’École de droit m’ont suivie du métro à mon bureau de l’École de droit, en hurlant devant des étudiants que je suis une supporter du Hamas et en m’accusant de soutenir la violence contre les femmes et les enfants israéliens. Des collègues de l’École de droit m’ont enregistrée sans mon consentement et ont ensuite partagé cela avec des organisations de droite, en dehors de l’École de droit. Et des étudiants se sont inscrits à mes cours avec l’objectif principal de créer des situations dans lesquelles ils pouvaient provoquer des discussions qu’ils puissent enregistrer, poster en ligne et utiliser ensuite pour déposer des plaintes contre moi à l’université.
J’en suis arrivée à considérer l’École de droit de Columbia comme un environnement de travail hostile dans lequel je ne peux plus entrer dans une salle de cours, tenir des permanences dans mon bureau, marcher sur le campus ou m’impliquer dans des fonctions de gouvernance sans un harcèlement flagrant et indésirable, à cause de ma défense de la liberté des étudiants à manifester et à exprimer des opinions qui sont critiques du traitement des Palestiniens par Israël, traitement qui est largement considéré comme un génocide par les plus importantes organisations de défense des droits humains, nationalement et mondialement.
J’en suis aussi venue à penser que l’université Columbia a perdu son implication dans son unique mission importante. Plutôt que de défendre le rôle de l’université dans une démocratie, encourager le débat critique, la recherche et le savoir sur des questions d’intérêt public vital et d’éduquer la prochaine génération avec les outils qui leur permettent de devenir des citoyens engagés, la direction de l’université Columbia a démontré sa volonté de collaborer avec les ennemis mêmes de notre mission académique. Au moment où les attaques contre l’enseignement supérieur sont les plus âpres depuis les attaques mccarthystes des années 1950, la direction et les administrateurs de l’université ont abandonné leur devoir de protéger les ressources les plus précieuses de l’université : le personnel enseignant, les étudiants et sa mission académique. Le conseil d’administration de l’université est désormais constitué en grande partie de gestionnaires de fonds spéculatifs, de banquiers d’affaires et d’investisseurs en capital-risque, et l’université est devenue une société de portefeuille immobilier plutôt qu’une institution éducative à but non lucratif. Avec cette dégradation de la direction de l’université sont arrivés, dans certains cas, une incapacité à résister aux pressions exercées sur l’université par des entités extérieures dont l’objectif est la destruction de l’enseignement supérieur et, dans d’autres cas, un engagement partagé pour une idéologie de droite et pro-Israël. Mon engagement à défendre l’université et nos étudiants ont fait de moi une cible attirante pour les opposants de l’université et ils ont transformé en armes la procédure d’égale opportunité et d’action positive pour geler et punir mon plaidoyer en faveur des étudiants.
Je m’éloigne maintenant de tout rôle actif dans le corps enseignant de Columbia — à un coût important — non parce que cette tactique a gagné, mais plutôt parce que je souhaite recentrer mes efforts sur la lutte our les droits et la dignité des Palestiniens, en résistant à m’en laisser distraire fallacieusement à Columbia. Je serai toujours une enseignante et je suis toujours en train d’apprendre.
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Katherine Franke était James L. Dohr professeure de droit à l’université Columbia et fondatrice/directrice du Centre pour le droit du genre et de la sexualité. Elle a participé aux comités exécutifs de l’Institut de recherche sur les femmes, le genre et la sexualité de Columbia et du Centre pour les Études sur la Palestine. Elle fait partie des principaux spécialistes des États-Unis écrivant sur le droit, la sexualité, la race et la religion, à partir des théories féministes, queer et raciales critiques. Katherine Franke a aussi fondé et dirigé le Projet « Loi, Droits et Religion », un think tank basé à l’Ecole de droit de Columbia qui développe une politique et un leadership intellectuel sur les manières complexes dont les droits à la liberté religieuse interfèrent avec d’autres droits fondamentaux. En 2021, Franke a lancé le projet ERA, un think tank de droit et de politique afin de développer une recherche universitaire rigoureuse, des articles d’orientation, des expertises et un leadership stratégique sur l’Amendement pour l’égalité des droits (Equal Rights Amendements, ERA) à la Constitution des États-Unis, et sur le rôle de l’ERA pour faire avancer la cause plus large d’une justice basée sur le genre.
Franke a aussi dirigé une équipe faisant des recherches sur la relation de l’École de droit de Columbia à l’esclavage et à ses héritages.
Son premier livre, Wedlocked: The Perils of Marriage Equality (NYU Press 2015), examine les coûts de l’obtention des droits du mariage pour les couples de même sexe aujourd’hui et pour les Afro-Américains à la fin de la guerre civile. Elle a reçu une Bourse Guggenheim en 2011 pour entreprendre les recherches pour ce livre. Son deuxième ouvrage, Repair: Redeeming the Promise of Slavery’s Abolition (Haymarket Press 2019), argumente sur les réparations raciales aux États-Unis en revenant au moment où beaucoup de personnes auparavant esclaves ont reçu des terres, à la fin de l’esclavage, explicitement en tant qu’une forme de réparation, terres qui, après l’assassinat du président Abraham Lincoln, ont été volées à nouveau aux personnes libérées et données aux anciens propriétaires d’esclaves.