En contradiction avec ses propres décisions, la Cour Suprême d’Israël légalise la résidence séparée

La Cour Suprême d’Israël a rejeté mercredi plusieurs pétitions contre la loi sur les Comités d’Admission, qui permet à ces comités, dans des centaines de localités d’Israël, de rejeter des demandes de logement sur la base de la « compatibilité sociale » des demandeurs.

Le 8 mars 2000 a marqué un moment unique dans l’histoire d’Israël. La Cour Suprême d’Israël, dans une décision de première importance, a statué que la commune de Katzir, ville construite sur des terres de l’État par l’Agence Juive, ne pouvait pas refuser à la famille arabe Ka’adan de vivre là, au motif que ce n’étaient pas des Juifs. C’était la première fois que des citoyens palestiniens d’Israël mettaient en cause le caractère légal de localités « réservées aux Juifs » dans le pays. Ce fait a entraîné un optimisme mesuré sur ce qui pouvait constituer un précédent important pour les droits palestiniens sur la terre et sur l’habitat.

Quinze ans plus tard, le 17 septembre 2014, ces espoirs ont pris brutalement fin. Par un vote à 5 contre 4, la Cour Suprême a rejeté plusieurs pétitions lancées par des groupes de défense des droits humains contre la loi des Comités d’Admission, promulguée par la Knesset en 2011. La loi autorise les comités d’admission de 434 villages du Néguev et de Galilée (environ 43% de toutes les localités d’Israël) à rejeter des demandes de logement sur la base de leur « compatibilité sociale » et du « tissu social et culturel » de ces localités. De fait, ces comités sont désormais autorisés à refuser l’accès résidentiel sur la base de toute identité « non désirée », qu’elle soit palestinienne, sépharade, africaine, gay, religieuse, laïque ou autre.

La loi sur les Comités d’Admission est la réponse de la droite israélienne à la décision de la Cour Suprême dans le cas Ka’adan. Prenant conscience que des groupes marginalisés mettaient de plus en plus en cause les pratiques discriminatoires de l’État, la Knesset, sous le gouvernement 2009-2012 de Netanyahou, a cherché à inscrire dans la loi la politique historique d’Israël contre ces groupes. De nombreux membres de la Knesset ont ouvertement déclaré que le but de ces lois était de tempérer les « menaces » que les citoyens palestiniens font peser sur le caractère juif de l’État. Les auteurs de la loi sur les Comités d’Admission ont même déclaré que, en dépit de formulations délibérément neutres, le but principal était d’empêcher des citoyens arabes de vivre avec des Juifs.

Cet objectif de ségrégation n’est pas un phénomène nouveau en Israël ; c’est en fait une pratique centrale et continue depuis la création de l’État en 1948. Depuis la loi sur les propriétaires absents (1950) jusqu’à la loi sur les installations individuelles dans le Néguev (2011), avec également la politique du Fonds National Juif, l’Autorité Israélienne sur la Terre et le gouvernement lui-même, la législation opère dans le but explicite de sécuriser le contrôle maximal et privilégié de la terre pour les citoyens juifs d’Israël, processus connu sous le nom de « judaïsation ». Ce dernier va de pair avec l’objectif de l’État de réduire et concentrer les localités non-juives en Israël ; la conséquence en est la confiscation massive de terres palestiniennes et la limitation du nombre de villes palestiniennes au moyen d’un aménagement territorial discriminatoire, de la démolition de maisons et d’une affectation inégale des ressources.

Ce qui est néanmoins significatif, dans le cas des comités d’admission, c’est que la Cour Suprême – le bastion supposé de la démocratie israélienne – a soutenu cette loi clairement discriminatoire, en déclarant qu’elle ne pouvait pas encore déterminer si la loi violait les droits constitutionnels. De nombreuses pétitions ont condamné la loi sous divers angles, dont la nationalité, la race, la religion et l’orientation sexuelle, mais la cour les a balayées. Plus important, la cour a directement sapé la sentence qu’elle avait rendu dans le cas Ka’adan, bafouant une des rares décisions juridiques qui créait un précédent pour les droits des minorités en Israël et pour la lutte contre la discrimination institutionnelle.

La dernière décision illustre au contraire la détérioration du statut des citoyens palestiniens d’Israël de la part d’un gouvernement et d’une haute cour de justice de plus en plus à droite. Plutôt que de proposer des lois qui garantissent des droits égaux pour tous les citoyens d’Israël, la Knesset a travaillé à approfondir l’inégalité raciale et à consolider sa conception discriminatoire de l’État. Pendant ce temps, le système judiciaire a permis au gouvernement de conduire ce programme, choisissant de ne pas établir de précédents dans des cas critiques concernant les droits des Palestiniens. Avec l’introduction de davantage de lois discriminatoires – dont le projet de loi sur le Plan Prawer, celui sur les contribuables au budget de l’État et le projet de loi sur la Nation juive – les citoyens palestiniens et d’autres craignent qu’en dépit de tous leurs efforts pour inverser cette tendance, la race continue d’être le facteur décisif pour déterminer leurs droits.

C’est donc au public, aux acteurs non-gouvernementaux et à la communauté internationale qu’il revient de prendre une position de principe contre cette loi injuste. La séparation raciale, en particulier lorsqu’elle est mise en œuvre par un État, doit faire l‘objet de la même condamnation que d’autres cas antérieurs. Sous les lois ségrégationnistes Jim Crow du Sud, la gentrification et la ghetthoïsation ont été directement utilisés contre les Noirs américains afin de maintenir la supériorité de niveau économique et l’homogénéité raciale des quartiers blancs, toutes choses dont les effets néfastes se font sentir jusqu’à aujourd’hui. Une comparaison encore pire est celle de la loi sur l’habitat séparé de l’apartheid sud-africain qui a légalisé la politique de l’État de répartition de la terre pour des races distinctes. Comme le font certains défenseurs israéliens de la loi aujourd’hui, des dirigeants sud-africains essayaient d’enrober leurs intentions en décrivant la séparation raciale come une politique de « bon voisinage ». De telles déclarations ne peuvent pourtant pas cacher le fait que la Cour Suprême d’Israël a approuvé la loi des comités d’admission et que cela a donné une couverture légale au principe ségrégationniste et, au pire, a autorisé un système de logement qui ressemble de façon troublante à l’apartheid.