Il n’est pas prévu que l’Office de lutte anti-fraude de la Commission européenne ouvre une enquête sur les groupes palestiniens qu’Israël a déclaré organisations terroristes, disent des sources ■ Un diplomate dit que les éléments fournis « n’atteignent pas le seuil requis pour une preuve ».
Israël n’a pas fourni aux pays européens des preuves suffisantes contre les six organisations de la société civile de Cisjordanie qu’il a accusées de financer le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et d’agir en son nom, ont dit à Haaretz des diplomates européens.
Des sources ont dit qu’il n’est pas prévu que l’Office de lutte anti-fraude de la Commission européenne (OLAF) ouvre une enquête sur les organisations après leur examen initial.
En octobre, le ministre de la Défense, Benny Gantz, a signé une ordonnance déclarant « organisations terroristes » six organisations palestiniennes : Addameer, Al-Haq, le Centre Bisan pour la recherche & le développement, Défense internationale des enfants-Palestine (DCIP), l’Union des comités de femmes palestiniennes et l’Union des comités de travail agricole. Les organisations ont nié cette allégation.
Des représentants de six pays ont dit à Haaretz qu’Israël leur a donné, par des canaux diplomatiques et de renseignement, des matériaux destinés à prouver ses allégations contre les organisations. « C’est simple, on nous a donné des éléments de preuve et nous ne les avons pas trouvés assez substantiels », a dit un diplomate. Un autre a dit que les responsables de la plupart de ces Etats pensent que les éléments fournis par Israël « n’atteignent pas le seuil requis pour une preuve du transfert de fonds ».
Les représentants de la plupart des pays européens ont jusqu’à présent évité de faire des déclarations publiques sur leur position, en partie parce qu’ils attendent que l’UE annonce ses conclusions sur la question.
Début mai, Meryame Kitir, ministre belge de la Coopération au développement et chargée des Grandes villes, a dit au Parlement que Bruxelles avait examiné la question et n’avait trouvé aucune preuve confirmant les allégations sur les organisations que la Belgique soutient et aucune raison de prendre des mesures contre elles. Bisan et DCIP reçoivent des subventions indirectes du gouvernement belge, via des fondations caritatives.
En décembre, le Danemark a dit qu’il n’avait pas reçu de preuve pour défendre les allégations d’Israël, et Haaretz a pu confirmer que Copenhague n’avait pas changé sa position depuis. Le ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas a rencontré récemment à Ramallah des représentants de Al-Haq et a été cité plus tard dans le Jerusalem Post disant qu’il n’y avait pas un seul Etat européen qui était parvenu aux mêmes conclusions qu’Israël sur l’organisation.
En mai 2021, la Commission européenne a suspendu son soutien financier à Al-Haq, avant même que Gantz ne rende son ordonnance, après qu’Israël a présenté des arguments sur les liens de l’organisation avec le FPLP. Après l’ordonnance de Gantz, la Commission a aussi gelé son financement de l’Union des comités de travail agricole via Oxfam. Les diplomates européens ont dit à Haaretz que la décision de suspendre le soutien à Al-Haq en mai de l’année dernière était inhabituelle. L’un d’eux a dit que c’était très étrange que la Commission européenne prenne une position divergente de celle des Etats membres de l’UE.
Au cours d’une conversation, des diplomates ont dit qu’Oliver Varhelyi, Commissaire européen à l’élargissement et à la politique européenne de voisinage, et collaborateur du Premier ministre hongrois Viktor Orban, était derrière la mesure. L’un d’eux a dit qu’on pensait que Varhelyi faisait ainsi avancer le programme de la Hongrie. D’autres diplomates ont mentionné le délai dans le soutien européen à l’Autorité palestinienne à propos d’allégations d’antisémitisme dans les manuels palestiniens comme une autre mesure promue par Varhelyi. Une source a dit que c’était le premier incident de cette sorte et qu’il ne concernait pas que la Palestine. Des responsables de Al-Haq affirment que la Commission européenne n’a pas été transparente à propos de sa suspension des subventions et que sa conduite constitue « une violation des standards minima de bonne administration de la Commission. »
Des reponsables de quelques-unes des six organisations affirment que le paiement des subventions qui leur étaient destinées avait été retardé ou stoppé pendant la période au cours de laquelle les allégations d’Israël étaient examinées et que dans certains cas les subventions avaient été renouvelées depuis. En avril, des experts des Nations Unies ont appelé à la reprise des paiements qui avaient été retenus pendant cette période. Des responsables de l’Union des comités de travail agricole ont dit à Haaretz que les opérations de l’organisation se sont arrêtées presque complètement lorsque La Haye a suspendu son soutien en juillet 2020, après que deux employés de l’Union [des comités de travail agricole] ont été soupçonnés d’être impliqués dans l’assassinat de Rina Shnerb, une Israélienne de 17 ans, et dans la foulée de la suspension du soutien de l’UE via Oxfam. Les Pays-Bas ont mis fin de façon permanente à leur soutien pour l’organisation en janvier après qu’une enquête gouvernementale a conclu que, bien que l’Union des comités de travail agricole n’ait pas versé d’argent au FPLP, il y avait des liens personnels entre les employés et les membres des comités de travail et le FPLP qui n’avaient pas été signalés.
Une source diplomatique a dit à Haaretz qu’indépendamment de toute décision officielle sur la question, les organisations avaient déjà subi des préjudices. « Je pense qu’Israël a eu ce qu’il voulait », a-t-il dit. « Cela dissuadera les pays en tout cas, parce que nous ne saurons jamais si Israël mettra en oeuvre ses décisions et quelles conséquences cela aura pour les employés des organisations qui agissent en notre nom, par exemple. »
Ubai Al-Aboudi, directeur exécutif du Centre Bisan, dit que l’action d’Israël était une tentative pour isoler les Palestiniens de la communauté internationale. Aboudi, à qui le Shin Bet, le service de sécurité d’Israël, a interdit de quitter la Cisjordanie après qu’il a été jugé coupable d’appartenance à une organisation illégale – le FPLP – dans une négociation de plaidoyer, a dit à Haaretz : « Cela fait partie de la politique générale israélienne d’isoler de plus en plus les Palestiniens afin de pouvoir continuer ses actions, sans qu’elles soient documentées. »
Dans une réponse écrite, le ministre des Affaires étrangères a dit que l’ordonnance classifiant les six groupes comme organisations terroristes a été rendue après un examen détaillé de tous les éléments pertinents, a été signée par Gantz et a pris effet. Elle a été conçue, entre autres choses, pour stopper le soutien aux organisations. « La conversation avec les Etats européens sur la question est importante et significative, mais leur accord n’est pas une condition pour mettre en oeuvre l’ordonnance et nous nous attendons à ce que [les pays] honorent la décision israélienne et bloquent l’aide aux organisations qui ont été définies dans le droit israélien comme des organisations terroristes. »
OLAF a dit qu’il ne publie pas d’ordinaire de commentaires sur des affaires qu’il pourrait ou non traiter. C’est une décision pour protéger la confidentialité de toute investigation potentielle et des possibles procédures judiciaires qui s’ensuivraient, et pour garantir le respect des données personnelles et des droits procéduraux.
Dans une réponse écrite, la Commission européenne a dit : « La société civile est un contributeur essentiel à la bonne gouvernance, aux droits humains, au droit international, aux valeurs démocratiques et au développement durable dans l’UE, en Israël, en Palestine et ailleurs. »
« Le financement de l’UE aux organisations de la société civile palestinienne est un élément important de notre soutien à la solution à deux Etats », continuait la déclaration. « L’UE continuera à défendre le droit international et à soutenir les organisations de la société civile qui ont un rôle à jouer dans la promotion du droit international, des droits humains et des valeurs démocratiques. »
« Nous analysons de manière approfondie l’information supplémentaire reçue des autorités israéliennes après le référencement » des six ONG par le ministre de la Défense en novembre 2021. « Des désignations provenant d’un pays partenaire sont prises très au sérieux », disait la réponse, ajoutant que la Commission européenne ne fournirait pas d’autres détails, ni de commentaires jusqu’à ce que l’évaluation interne soit achevée.