Dimanche, des artistes qui participaient ou assistaient à la Biennale de Venise 2015 ont lancé une campagne intitulée « Lettre d’Artistes pour la Palestine ». Plus de 20 éminents artistes, universitaires et….
Dimanche, des artistes qui participaient ou assistaient à la Biennale de Venise 2015 ont lancé une campagne intitulée « Lettre d’Artistes pour la Palestine ». Plus de 20 éminents artistes, universitaires et militants ont signé la lettre (liste complète plus bas), dont Mel Chin, Miriam Ghani, Andrew Ross, Gregory Sholette, Noah Fischer, Naeem Mohaiemen, Ashok Sukumaran, Nitasha Dhillon, Philip Rizk, Jasmina Metwaly et Amin Husain. La lettre demande aux artistes d’utiliser leur « poids pour attirer l’attention du monde sur l’injustice », en invite d’autres à ajouter leur nom à la liste, et cite l’appel de PACBI (Campagne Palestinienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël) à boycotter les institutions israéliennes. Le groupe estime que son appel est dans le sillage de groupes militants mondiaux qui l’ont précédé, dont « Guerilla Girls » (Filles en Guerilla), la Coalition des Travailleurs de l’Art, et tant d’autres qui ont refusé de coopérer face au racisme institutionnel, au sexisme et à l’exploitation des travailleurs.
Hyperallergic s’est adressé au groupe par mail et lui a demandé comment la lettre était née. « Un certain nombre d’artistes engagés politiquement sont actuellement à Venise pour voir et/ou participer à la Biennale et aux événements qui s’y rattachent tels que le Sommet du Temps Créatif, les commissions de Gulf Labor, etc. Ils ont entamé des discussions sur ce thème et ont initié la discussion par lettre », a expliqué le groupe.
Quand on leur a demandé ce que la campagne comportait en plus de la lettre, ils ont expliqué : « Initier des échanges sur cette campagne dans le monde de l’art. Les boycotts culturels sont un sujet sensible qui entraîne beaucoup de débats. Il est en plus douloureux et difficile pour des artistes de refuser une participation alors que l’art est fait pour construire des ponts. Cette difficile décision se prend dans l’espoir de construire la paix. Cette lettre cherche à entamer une conversation. »
Cette lettre a été lue le 9 août par le Professeur de l’Université de New York, Andrew Ross (voir la vidéo ci-dessus), pendant la commission « Qui a Besoin des Musées et des Biennales ? » organisée par Gulf Labor à la Biennale de Venise. Le 12 août, lors d’un événement dans la Salle de Presse – programme artistique parallèle qui s’est tenu pendant la semaine d’ouverture de la Biennale et a repris en tant qu’événement auxiliaire pendant l’actuel Sommet du Temps Créatif – Mariam Ghani a parlé de la « Lettre d’Artistes pour la Palestine ». L’artiste Pedro Lasch, autre participant au Sommet et l’un des signataires de la lettre, était là lui aussi pour aborder le sujet avec Ghani et le public de la Salle de Presse.
Pendant la discussion dans la Salle de Presse, Ghana a évoqué la Biennale de Venise 1974, où le programme fut dédié aux suites du violent coup d’état au Chili. L’événement de 1974, qui met en lumière le passé radical de la Biennale de Venise en tant que l’une des rares plates-formes institutionnelles ayant déjà lancé des actions politiques collectives, était certainement présent à l’esprit de Okwui Enwezor,le conservateur de cette année, comme l’explique le communiqué de presse sur son exposition, Tous les Futurs du Monde :
Emmenant des praticiens dans les champs de l’art visuel, cinéma, musique, théâtre, danse et performances, les événements de cette Biennale des Arts de 1974 s’étendaient à travers toute la ville de Venise. Aujourd’hui, cet épisode remarquable et transformateur de l’histoire de la Biennale est largement oublié. Le fait d’avoir dédié le programme des événements au Chili et contre le fascisme demeure, de mémoire récente, l’une des tentatives les plus explicites par lesquelles une exposition de la taille de la Biennale des Arts apporte non seulement une réponse mais aussi une avancée courageuse vers le partage de la scène historique avec le contexte politique et social de son temps. Il va sans dire que, au regard des remous actuels dans le monde, les Eventi del 1974 de la Biennale ont été une inspiration du conservateur.
Le groupe qui soutient la « Lettre d’Artistes pour la Palestine » a dit à Hyperallergic qu’il voit la lettre comme une « invitation au dialogue » plutôt que comme un « mot de la fin ».
La lettre entière est ci-dessous :
56ème Biennale de Venise
Lettre d’Artistes pour la Palestine
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Chers Amis Artistes et Travailleurs de la Culture,
Nous vous écrivons en tant qu’artistes et travailleurs de la culture, dans le cadre de l’appel de PACBI (Campagne Palestinienne pour un boycott des institutions israéliennes). Beaucoup d’entre vous sont déjà signataires. PACBI est la composante culturelle et académique du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions), initié par la société civile palestinienne comme un appel à la solidarité internationale.
Avant tout, nous vous demandons de signer, en tant qu’artistes qui sont présents activement ou non, pour vous engager à ne pas participer à des expositions et autres événements culturels sponsorisés ou financés par l’État d’Israël. Notez bien qu’il ne s’agit pas d’un boycott des citoyens d’Israël. Nous vous demandons aussi de faire passer cette demande à d’autres participants de la Biennale pour renforcer sa circulation à travers tout le monde de l’art. Le but est ici de collectiviser les voix de notre communauté.
En tant qu’artistes, nous avons un certain poids pour attirer l’attention du monde sur l’injustice. Après le rejet, par des artistes et des conservateurs, du financement par l’État d’Israël de la Biennale de Sao Paulo l’an dernier, il convient d’apporter l’esprit BDS à Venise où les sans Etat restent dans l’obscurité face au rayonnement des pavillons nationaux et où le thème de « Tous les Futurs du Monde » a été largement interprété par les participants dans un esprit de justice sociale. C’est un moment décisif pour demander à notre communauté et aux institutions artistiques mondiales de répondre publiquement à l’appel nous demandant de nous élever contre l’Occupation et la politique israélienne.
Nos voix font partie d’un long héritage – notez que les boycotts ne sont jamais la première démarche, ils naissent après que des négociations successives se soient révélées sans effet. Plus particulièrement, nous vous écrivons par respect pour et dans la continuité d’un boycott commencé en 2001 (avant le lancement de PACBI) par ART ACTION. Nous cherchons à poursuivre leur effort de façon plus publique, en utilisant la Biennale de Venise comme plate-forme de lancement de cette déclaration.
Afin de prévenir une conversation autoparalysante, prenons conscience du fait qu’une population native a été déplacée de chez elle pour faire place à ceux qui fuyaient la persécution des Juifs en Europe et ailleurs, y compris les horreurs de la Shoah. Alors que nous reconnaissons le génocide des communautés juives, nous croyons que les souffrances des colons sur d’autres terres ne justifient pas le déplacement, la dépossession et le meurtre de Palestiniens. La lutte contre l’occupation israélienne s’inscrit dans une fière lignée de cinq siècles de résistance contre la persécution religieuse et le colonialisme de peuplement à travers le monde.
Nous poursuivons aussi les efforts d’autres campagnes du monde de l’art : ceux qui ont boycotté avec succès la 19ème Biennale de Sydney pour protester contre ses sponsors Transfield Holdings, à la tête de centres de détention obligatoire pour demandeurs d’asile ; les membres de Liberate Tate, qui se sont engagés dans « libérez l’art du pétrole » ; et Gulf Labor, groupe qui refuse de coopérer avec le Guggenheim d’Abu Dhabi tant que des conditions de travail et des salaires justes ne sont pas assurés aux travailleurs étrangers qui construisent les musées sur l’île de Saadiyat. Auparavant,nous avions les Guerilla Girls, la Coalition des Travailleurs de l’Art, et tant d’autres qui ont refusé de coopérer face au racisme institutionnel, au sexisme et à l’exploitation des travailleurs.
A ceux qui croient que s’engager avec des institutions israéliennes ferait partie d’un dialogue utile, ou que le boycott va isoler les voix pour la paix à l’intérieur d’Israël, nous disons prenez garde à l’utilisation de votre travail pour véhiculer un semblant de liberté d’expression au moment où des crimes de guerre sont commis quotidiennement. L’expression créatrice des artistes est utilisée pour blanchir et normaliser la brutalité de l’Occupation La réalité c’est que seuls certains points de vue jouissent de la liberté d’expression en Israël, être un défenseur de PACBI/BDS n’en fait pas partie.
Etre critique d’Israël n’est pas anti-juif. Il est temps de faire absolument la différence entre Judaïsme et Sionisme. C’est sûr, la critique de la politique d’Israël a té utilisée au service de ceux qui ont des agendas racistes, et il est essentiel que les supporters de BDS soient vigilants à ce sujet. Nous reconnaissons le fondement historique des peurs des Juifs, mais veillons à ce que ces inquiétudes ne soient pas manipulées pour jeter le doute sur les intentions morales de la compagne elle même. Nous condamnons l’utilisation de toute rhétorique anti-juive ou anti-musulmane qui serait connectée à la campagne BDS.
Des universitaires en ont pris la tête en répondant à l’appel de PACBI pour boycotter les institutions israéliennes, et d’autres secteurs (gouvernements, communautés de croyance, syndicats, banques et branches du commerce) signent la compagne générale BDS. Le boycott se répand maintenant dans l’ensemble de la population des pays partout dans le monde. Cependant, à quelques notoires exceptions, le monde institutionnel de l’art est resté en retrait.
Nous savons tous que votre soutien comporte un certain niveau de risque personnel ou professionnel. Ce risque est crucial pour la tactique du boycott, et il est actuellement supporté par les défenseurs israéliens de BDS, dont des artistes, qui sont persécutés et criminalisés pour avoir participé à Boycott de l’Intérieur en Israël. Veuillez consulter les lignes de conduite définies par PACBI et notez qu’elles permettent aux signataires de choisir leur propre niveau d’engagement.
En solidarité avec le Peuple Palestinien.
Pour signer, envoyez un mail à : letterforpalestine[at]gmail.com
Premiers signataires :
Haig Aivazian
Shaina Anand
Marco Baravalle (and S.a.L.E. Docks)
Doris Bittar
Paula Chakravartty
Mel Chin
Nitasha Dhillon
Tony Evanko
Noah Fischer
Mariam Ghani
Amin Husain
Pedro Lasch
Simone Leigh
Naeem Mohaiemen
Rangarupa
Andrew Ross
Greg Sholette
Ashok Sukumaran
Kaarin Taipale
Dan S. Wang