Depuis ma ville natale à Gaza, des nouvelles impensables : 36 membres de ma famille sont morts

Le camp de réfugiés de Khan Younis était supposé être une zone sûre. Mais aucun endroit n’est sûr – l’existence même des Palestiniens est menacée.

Ma maison familiale était supposée être dans une zone sûre au sud de la Bande de Gaza. Mais la semaine dernière, les bombes sont quand même arrivées, sans avertissement. Elles sont tombées jeudi vers 10 H. du matin en quatre ou cinq explosions. Tout un quartier du camp de réfugiés de Khan Younis, où je suis né et ai grandi, a été réduit à l’état de ruines. Et là, tout le monde l’a vécu comme un tremblement de terre ; un tremblement de terre de la main de l’homme. Le camp tout entier tremblait.

J’ai compté 49 morts – parmi lesquels 36 membres de ma famille. Une dizaine d’autres, ou plu, manquent encore sous les décombres de huit logements, me dit-on, et plus de 100 sont blessés.

Je réside maintenant au Canada, mais ma maison familiale se trouve toujours dans ce même camp de Khan Younis, à quelques mètres de là où sont tombées les bombes et c’est là que vit toujours la majeure partie de ma famille élargie. Cette maison est tout ce qui nous reste de feu nos parents et grands-parents après qu’ils aient été expulsés du village de Beit Daras vers la Bande de Gaza pendant la Nakba de 1948 – l’expulsion massive des Palestiniens. Des milliers de personnes ont été obligées de quitter notre village à ce moment là et nombre d’entre elles ont pris la route jusqu’à Khan Younis. Initialement prévue comme une étape temporaire jusqu’à ce qu’elles puissent retourner chez elles, les familles de Beit Daras ont préféré vivre à proximité les unes des autres. Avec le temps, cette organisation temporaire a évolué en quelque chose de durable.

Ces logements se sont remplis de personnes supplémentaires qui avaient fui les bombardements israéliens sur Gaza ville quand les bombes ont commencé à tomber – une famille dans chaque pièce. Je veux vous parler de certaines de ces vies coupées court.

Julia Abu Hussein, petite-fille de deux ans de ma sœur, était dans le séjour de ma maison familiale, attendant avec impatience l’arrivée de ma nièce Rasha qui devait l’emmener acheter des bonbons. Quand les premières bombes sont tombées, Rawan, la mère de Julia, a attrapé sa fille et a couru dans la cuisine avec le reste de la famille. Mais un éclat d’obus a explosé dans la cuisine et a tué Julia dans les bras de sa mère.

Il y a tout juste deux semaines, les parents de Julia – mon frère Amjad et sa femme Rawan – ont suivi les ordres de l’armée israélienne de partir de la ville de Gaza, d’abandonner leur maison et de partir vers le sud à la recherche de la sécurité. Ensemble avec la famille de ma sœur, il leur a fallu trois jours pour faire moins de 30 kilomètres jusqu’à Khan Younis – pendant trois jours, nous avons cru qu’ils étaient morts. Nous sommes en 2023, mais nous avons cru nous réveiller en 1948. Les gens courant à nouveau à la recherche de la sécurité. Quand ils sont arrivés dans la « zone sûre », ils ont réalisé qu’aucun endroit à Gaza n’était réellement sûr.

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Julia Abu Hussein, 2 ans, petite-fille de la sœur de Ghada Ageel, avec la fille de Ghada, Ghaida. Julia a été tuée par un éclat d’obus dans la maison familiale après l’explosion d’une bombe. Photographie : Ghada Ageel

Mon grand-oncle de 79 ans, Nayif Abu Shammala, professeur à la retraite, et sa femme Fatiya faisaient partie des survivants de la Nakba. Ils vivaient juste en face de chez nous et son morts là sous les bombes. Leurs trois filles et quatre fils ont été tués eux aussi.

Quand elle était jeune, l’une d’elles, Aisha, était connue pour avoir le visage le plus mignon du camp. Elle était une de ces personnes qui irradient le bonheur. Sa sœur Dawlat avait vécu dans les EAU et était venue en visite chez elle pour voir sa famille quand les bombes sont tombées. Elle laisse derrière elle deux enfants et un mari qui n’ont même pas eu la possibilité de leur faire leurs adieux. La plus jeune des sœurs, Umaima, et sa fille Malak avaient elles aussi fui le bombardement dans le nord. Mais les bombes les ont quand même rattrapées.

Les fils de Nayif et Fatiya – Zuhair, Hassan, Mahmoud et Mohammed – sont tous morts aux côtés de leurs femmes. La vie des trois enfants de Hassan a aussi été sacrifiée aux bombes. Ces enfants ne sont pas de lointains étrangers ; ils étaient de belles âmes que je connaissais bien. Des enfants aux visages plein de caractère que je peux encore voir. Des enfants qui m’ont parlé de leurs rêves pour la vie qu’ils avaient devant eux. Le tout maintenant réduit en poussière.

Pourquoi Israël les a-t-il tués ? La famille n’a pas d’affiliation politique. Rien ne peut justifier ce crime haineux qui consiste à tuer trois générations à moins qu’être Palestinien soit le crime.

Ma grand-tante, Um Saïd, a eu, elle au moins, une longue vie. Elle avait 92 ans et était chez elle avec sa fille Najat quand les bombes sont tombées. Toutes les deux ont maintenant trouvé leur dernière demeure sous les décombres.

L’été dernier, alors que j’étais venue à Gaza, Um Said m’avait gentiment donné une robe brodée qu’elle avait portée autrefois. Elle a insisté pour que je l’emporte avec moi au Canada. Je suis heureuse de l’avoir fait. C’est tout ce qui me reste pour me souvenir d’elle.

Je me débats pour trouver de nouvelles façons de décrire la mort – partis, pris, morts, sous les décombres, leurs âmes au ciel. La machine de la propagande israélienne me dit qu’ils ne sont pas du tout morts parce que les Palestiniens doivent mentir sur le nombre des morts même alors que nous les pleurons. Ou, s’ils sont vraiment morts, ce sont sûrement des « terroristes ».

En réalité, la liste des innocents morts est si longue et si douloureuse. Tant d’enfants. Tant d’êtres qui menaient de bonnes vies. La belle-fille d’Um Said, Suhaila, était enseignante. Imtiyaz aussi, femme d’Asa’ad, mon cousin germain une fois retiré, qui tenait une petite épicerie qui était l’endroit préféré de mon propre fils, Aziz, quand nous revenions au pays natal.

As’ad était connu dans le camp de Khan Younis comme quelqu’un de gentil qui vendait ses marchandises pas cher. Il tenait un épais registre des personnes qui lui devaient de l’argent, mais oubliait souvent de réclamer ce qu’on lui devait ou il les annulait simplement. Son visage rayonnant, sa boutique, sa gentillesse et sa famille nous ont toutes été volées en plein jour. Lorsque les bombes sont tombées, la boutique d’Asa’ad était pleine. J’ai dénombré au moins six enfants qui y sont morts. Les fils d’Asa’ad, Hussein et Abdelrahman, étudiant en troisième année de médecine, ont fait partie des morts.

Je veux demander au président Biden pourquoi il soutient cela. Croit-il que la douleur d’une mère israélienne est différente de celle d’une mère palestinienne ? Son sang a-t-il plus de valeur que le sang de ceux de Gaza ? C’est la seule explication que je peux trouver pour ce que Biden encourage à Gaza.

Les survivants de ma famille m’ont envoyé des photos de Khan Younis. Du corps ensanglanté de Julia enveloppé dans un drap blanc et porté par mon cousin Jameel. Des maisons détruites. Ce n’est qu’une petite tranche de la souffrance provoquée à Gaza. Je comprends que, dans une guerre, des civils meurent. Mais là, il s’agit d’un schéma. Israël parle d’écoles gérées par le Hamas et d’hôpitaux gérés par le Hamas pour poursuivre la déshumanisation des Palestiniens et pou préparer le terrain pour d’autres crimes. C’est juste une excuse pour tuer plus de civils. Cela vise l’existence même des Palestiniens. Pour moi, c’est un génocide.

Ghada Ageel, réfugiée palestinienne de troisième génération, a travaillé comme traductrice pour le Guardian à Gaza de 2000 à 2006. Elle est actuellement professeure invitée au département de sciences politiques de l’Université d’Alberta.