Déclaration de professeurs et professeures de droit international et de relations internationales sur la situation à Gaza

Les soussignés, membres de l’Association espagnole des professeurs de droit international et de relations internationales (AEPDIRI), devant la catastrophe humanitaire et les graves crimes de portée internationale qui sont commis à Gaza, assumant la part de responsabilité qui nous incombe

DECLARONS ce qui suit

  1. Nous nous joignons aux appels urgents à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel pour mettre fin à l’attaque militaire israélienne contre la Bande de Gaza, qui viole les principes les plus fondamentaux du droit international humanitaire et les limites du droit à la légitime défense
  2. Nous approuvons les mots du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, Antonio Guterres, le 25 octobre dernier, quand il a remarqué que « les griefs du peuple palestinien ne peuvent justifier les attaques atroces du Hamas. Et ces attaques atroces ne peuvent justifier le châtiment collectif du peuple palestinien ». Nous sommes d’accord qu’il « est important de reconnaître aussi que les attaques du Hamas ne sont pas venues de nulle part. Le peuple palestinien a été l’objet de 56 ans d’une occupation asphyxiante ».
  3. Nous manifestons tout notre appui à l’Organisation des Nations unies qui a plaidé avec insistance pour le respect du droit international de la part de tous les acteurs de ce conflit, pour sa résolution pacifique et pour la promotion d’accords de paix. Nous soulignons en particulier l’aide permanente et essentielle fournie aux presque cinq millions de réfugiés palestiniens par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, maintenant lui aussi victime de l’attaque sur Gaza. L’ONU est l’organisme le plus représentatif de la communauté internationale. Les accusations déversées par les représentants d’Israël contre le Secrétaire général des Nations unies dans ce contexte sont inacceptables.
  4. Des décennies d’occupation illégale des Territoires palestiniens, de milliers de civils assassinés, en grande partie des femmes et des enfants, et de bien plus de blessés, d’un terrible blocus sur la Bande de Gaza, la construction d’un mur, illégale selon la Cour internationale de justice, l’expulsion des Palestiniens de leurs maisons par des colons soutenus par l’administration et par les forces de sécurité israéliennes, ainsi qu’un système légal qui discrimine activement les Palestiniens et qui a été considéré comme constitutif d’un apartheid, ont amené la Palestine et les Palestiniens à une situation insoutenable et désespérée.
  5. Un motif de profonde préoccupation est le fait que les Accords d’Oslo de 1993 n’ont pas rendu possible la réalisation d’une paix indispensable qui garantisse tant la sécurité d’Israël que celle de la Palestine.
  6. Les attaques commises par le Hamas le 7 octobre contre des civils israéliens, comme l’assassinat, la mutilation et la prise d’otages constituent de graves violations du droit international qui pourraient être qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Leurs auteurs, qui doivent cesser immédiatement leur comportement illicite en libérant sains et saufs les personnes séquestrées, devraient être poursuivis et jugés devant un tribunal compétent.
  7. Le fait de commettre de graves violations du droit international ne justifie pas une réponse armée qui à son tour viole ce droit. Autrement dit, les actes terroristes du Hamas ne justifient pas les crimes postérieurs de l’Etat d’Israël. Devant les crimes graves perpétrés par le Hamas, Israël a le droit immanent, selon la charte des Nations unies (art. 51), à la légitime défense, c’est-à-dire le droit d’user de la force nécessaire pour repousser une attaque armée actuelle ou imminente, pendant que dure l’attaque,  et par le biais de moyens proportionnés pour la repousser. Mais la légitime défense n’implique pas le droit aux représailles armées.  Celles-ci constituent un usage illicite de la force et sont contraires au droit international ainsi  que l’établit, dans son interprétation des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, la déclaration 2625 (XXV) de son Assemblée générale. Ainsi, les actions armées de caractère punitif (les « punitions collectives ») sont illégales, et engagent une responsabilité internationale vis-à-vis de l’Etat qui les exécute. Le droit international humanitaire doit être respecté — y compris les Conventions de Genève — et Israël a l’obligation de cesser immédiatement ces actions de représailles contre la population civile palestinienne.
  8. Le siège contre Gaza de la part de l’armée israélienne y a provoqué l’assassinat de milliers de personnes, dont la moitié sont des femmes et des enfants, ainsi qu’un grand nombre de personnes blessées. Les autorités ont violé d’une façon grave, consciente, flagrante et notoire les normes et les principes fondamentaux du droit international humanitaire,  y compris les principes fondamentaux de distinction, de précaution et de proportionnalité, particulièrement dans une zone densément peuplée soumise à un blocus strict durant 16 ans et à des décennies d’occupation. En accord avec la IVe Convention de Genève et avec le Statut de Rome, il est interdit de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle et contre les civils qui ne participent pas directement aux hostilités ; de diriger intentionnellement des attaques contre les biens des civils et de lancer des attaques intentionnellement en sachant qu’elles causeraient des pertes collatérales de vies, ou des blessures à des civils ou  des dommages à des biens civils ; d’affamer intentionnellement la population civile en tant que méthode de guerre, en la privant de ce qui est indispensable à sa survie, y compris en entravant intentionnellement l’acheminement des secours et de l’aide humanitaire ; d’attaquer ou de bombarder des villes,  des villages, des logements ou des édifices qui ne constituent pas des objectifs militaires.
  9. De même, il est strictement interdit de déplacer de force des populations civiles d’une zone à une autre, à moins que la sécurité des civils concernés ou des raisons militaires impérieuses ne l’exigent. En ce sens, le Comité international de la Croix rouge a déclaré que « les instructions émises par les autorités israéliennes pour que la population de la ville de Gaza abandonne immédiatement ses foyers, jointes à un siège complet qui lui dénie explicitement aliments, eau et électricité, ne sont pas compatibles avec le droit international ». Des rapporteurs spéciaux de  l’Organisation des Nations unies ont également averti que le siège complet de Gaza, joint à des ordres d’évacuation irréalisables, ou la destruction délibérée et systématique des habitations et des infrastructures civiles de la part d’Israël, constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
  10. Depuis le début de l’attaque à Gaza, les déclarations des autorités politiques et militaires israéliennes indiquent sans ambages une intention de ne pas se sentir contraints par les principes fondamentaux du droit international et une intention d’appliquer une punition collective et de créer spécifiquement une crise humanitaire. Les attaques armées indiscriminées  et à grande échelle contre la population civile sont contraires aux droits humains et au droit international humanitaire et conduisent à une responsabilité d’Israël et, de plus  à la responsabilité pénale individuelle pour leurs auteurs et pour quiconque a ordonné leur mise en oeuvre. Israël a l’obligation d’y mettre fin immédiatement.
  11. Non seulement les parties de ce conflit doivent respecter les normes internationales protégeant les droits humains et le droit international humanitaire, à tout moment et en toute circonstance. Le reste des Etats, en tant que parties de la Convention de Genève, ont le devoir de faire respecter ces normes en toutes circonstances. En ce sens, ils devraient utiliser leur influence pour que cessent les infractions au droit international humanitaire et s’abstenir d’encourager la mise en oeuvre d’infractions supplémentaires au droit par les parties du conflit.
  12. Vu la gravité et la portée internationale des crimes qui sont commis en territoire palestinien, les Etats parties du Statut de Rome devraient revendiquer dans ce conflit le rôle fondamental de la Cour pénale internationale dans l’exercice d’une justice impartiale grâce à son caractère permanent, indépendant, lié au système des Nations unies, de la même manière que cela a été fait lors d’autres crises, comme l’invasion russe de l’Ukraine. En mars 2021, la Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur la situation dans l’Etat de Palestine, partie du Statut de Rome depuis 2015. La Cour a  ainsi juridiction sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide et l’agression quand elles sont perpétrées par des ressortissants palestiniens ou quand elles se commettent totalement ou partiellement en territoire palestinien, qui s’étend aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Les Etats parties, comme l’Espagne, devraient exiger que, dans cette enquête et dans toutes celles en cours, la justice internationale soit respectée et que cessent les menaces et les pressions contre ses fonctionnaires.

Le texte original en espagnol ainsi que la liste des signatures recueillies sont disponibles ici.