Nura Gheith Sub Laban a vécu dans la même maison du quartier musulman depuis sa naissance. Depuis 1967 elle a suivi un parcours kafkaïen fait de procès et de harcèlement, dans un seul but : la chasser
Les “pauvres gens de Galicie » ont vaincu Norat Gheith Sub Laban. L’appartement dans lequel elle était née en 1955 et qui avait été son foyer depuis lors, doit être évacué. C’est ce que le tribunal a décidé en accord avec la fondation publique supposée prendre en charge ces pauvres Ashkénazes anonymes et qui est propriétaire de l’immeuble.
La date prévue pour l’expulsion était le 15 mars, il y a près de deux mois. La date est passée et Norat et son mari, Mustafa Sub Laban sont toujours là. Ils refusent de quitter volontairement l’appartement au 3 rue Aqbat Al Khalidiyah à Jérusalem, où de nombreux drapeaux blanc et bleu (rien à voir avec les manifestants contre la réforme judiciaire) flottent sur les maisons habitées par des Juifs.
« Une fois, un de mes petits-enfants a placé un petit drapeau palestinien entre les barreaux de la fenêtre, du type que l’on voit dans les jardins d’enfants » m’a-t-elle dit dans une interview le mois dernier. « Je ne l’avais même pas remarqué. Tout d’un coup, un policier est arrivé – apparemment un des voisins juifs l’avait appelé et demandé que j’enlève le drapeau. « On est en Israël, pas en Palestine » m’a -t-il dit. Désormais, elle son mari ne quittent que rarement l’appartement. Peut-être attendent-ils un miracle. “Parfois je lui donne du courage, parfois c’est lui qui m’en donne », résume Norat.
Leur cas n’est pas isolé. Selon l’ONU, 218 autres familles palestiniennes de Jérusalem – 970 personnes dont 424 enfants- sont face au même risque d’expulsion. Sans compter les dizaines et dizaines de gens qui ont déjà perdu leur maison.
La tentative d’expulser la famille Sub Laban de son appartement a commencé voici plus de 40 ans, avant même que la fondation ne soit dans le paysage. Il est difficile de résumer le nombre de fois, d’heures et de jours qu’ils ont passé dans les tribunaux israéliens, pour les demandes d’expulsion et les interdictions de rénovation ou de réparation de l’appartement.
Chaque audience au tribunal et l’attente de la décision ont laissé leurs marques sur la santé de Nora. Des crises de panique et les antidépresseurs se sont inscrits dans son quotidien. « Notre argent et allé aux avocats – quatre au total, au cours du temps et à l’enseignement supérieur de nos quatre enfants » dit-elle.
Dans les années 1950, lorsque la Cisjordanie et Jérusalem Est étaient sous l’autorité de la Jordanie, les bâtiments possédés par des Juifs avant 1948 ont été transférés à l’organisme jordanien chargé des biens de l’ennemi, qui a loué des appartements à des familles palestiniennes. L’une d’elle était la famille de Nora Gheith. « Nous savions que la maison avait été construite par la famille palestinienne Al-Rassas » a dit Norat en tirant des bouffées de sa cigarette et avalant des gorgées de thé. « Tu le bois amer aussi ? Amer comme la vie » a-t-elle ajouté.
“Nous savions que la maison était passée entre des mains juives vers la fin du 19è siècle, mais nous ne savions pas comment ni qui la possédait » continua-t-elle. Ces détails ne l’ont pas préoccupée pendant l’enfance. Son père mourut quand elle avait deux ans et à l’âge de 14 ans, en 1969, elle perdit sa mère et elle devint la mère de ses frères : elle leur préparait les repas, les envoyait à l’école, faisait la lessive et l ménage. Elle se souvient que sa famille et la famille des voisins dans le même immeuble payaient ensemble 25 dinars jordaniens par an pour leurs appartements et deux débarras.
Lors de la conquête de la ville en 1967, l’immeuble fut transféré à l’armée israélienne et, trois ans plus tard aux Domaines de l’État israélien. C’est conforme à une loi israélienne qui stipule qu’un bien de Jérusalem Est possédé par des Juifs avant 1948 doit revenir à des Juifs : sinon à leurs propriétaires et héritiers directs, aux Domaines. En même temps, la loi israélienne interdit de rendre une propriété palestinienne de Jérusalem Ouest à ses propriétaires et héritiers, des Jérusalémites résidents d’Israël.
La guerre d’usure que mène Israël à la famille Sub Laban a commencé en 1976. Les étapes de la guerre sont détaillées dans les décisions rédigées par les nombreux juges qui ont entendu l’affaire toutes ces années. C’est une quantité vertigineuse, déroutante de procédures juridiques qui montrent à la fois la résilience de Norat et de Mustafa Sub Laban et le modus operandi de l’État, ses institutions et ses relais.
Cette séquence d’événements a aussi été décrite à une délégation de diplomates – comprenant le chef de la mission de l’UE à Jérusalem – qui visitait le quartier de Sheikh Jarrah et la maison des Sub Laban il y a un mois. Les visiteurs ont pu entendre comment, sous couvert d’un conflit propriétaire-locataire et sous l’égide d’une législation fondée sur le deux poids deux mesures, des locataires palestiniens sont expulsés de leurs maison et remplacés par des Juifs.
Au départ, les Domaines d’Israël réclamaient un loyer bien plus élevé que ce qu’ils avaient payé jusqu’alors dit Norat. Elle se souvient qu’elle et son frère ont contesté le montant et qu’en 1978 les parties sont arrivées à un compromis. Six ans plus tard, les Domaines ont exigé qu’ils évacuent le débarras. Le procès s’est poursuivi dans plusieurs tribunaux jusqu’au jugement déclarant que la famille était protégée par le statut de locataire pour conserver le débarras.
Pendant ce temps, par un hiver rigoureux, certaines des pierres de la façade de la maison tombèrent dans la rue. La municipalité de Jérusalem annonça que le bâtiment était impropre à l’habitation et qu’il devait être rénové. Les Domaines qui sont une branche du ministère de la justice, ont interdit la rénovation. Le harcèlement mesquin de locataires n’est pas propre à la municipalité de Jérusalem ni à Israël : c’été une méthode bien connue et éprouvée des propriétaires dans le monde entier pour forcer des locataires à s’en aller.
La famille devait quitter l’appartement parce qu’il était dangereux. Les Domaines dans leur diligence, portèrent plainte contre le frère et la sœur pour abandon du domicile. La plainte contre le frère fut recevable. Mais un juge confirma que Norat, son mari et leurs jeunes enfants n’avaient quitté le logement que temporairement, pour qu’il soit rénové et y retourner ensuite. Les Domaines n’ont pas lésiné et ont fait appel. L’appel a été rejeté.
On était en 1989 et les Sub Laban avaient déposé une requête auprès du tribunal chargé des questions locatives pour avoir l’autorisation de réhabiliter l’appartement. Comme dans tout processus juridique, cette requête impliquait d’engager et payer un avocat et l’incertitude éprouvante qui allait avec, qui se solda par la prisse de médicaments contre le stress et l’anxiété. Le tribunal permit aux Sub Laban de faire les travaux en deux mois à dater de la décision : ils avaient jusqu’en février 1990.
L’autre famille palestinienne du bâtiment était déjà partie – elle voulait probablement s’éviter le souci et le stress. L’association Atara Leyoshana, créée 10 ans plus tôt avec la mission de réinstaller des Juifs dans le quartier musulman, loua aux Domaines l’appartement vide des voisins et le sous-loua a une famille juive du nom de Robbins.
En 1995, la famille Sub Laban a prté plainte contre la famille Robbins et contre Atara Leyoshana : les travaux que faisaient les Robbins dans le bâtiment empêchait l’accès de la famille à leur appartement et démolissaient l’escalier qui y menait. La famille ne pouvait tout simplement pas entrer chez elle. À ce moment-là elle vivait dans l’appartement du père de Mustafa dans le quartier Dahiat al’Barid de Jérusalem Est – un héritage partagé entre tous les frères de Mustafa et leurs enfants – qui sert d’ordinaire comme lieu de rassemblement pour des événements familiaux.
Un juge avait rejeté la plainte des Sub Laban pour raisons techniques. La famille, toujours hors de chez elle, déposa une nouvelle plainte en 1998. Un autre juge prit la peine d’examiner la situation de ses propres yeux : les membres de la famille se souviennent qu’il dut sauter du balcon de l’appartement des locataires juifs, dans la cour intérieure de leur propre appartement.
Puis il établit un « compromis » incluant des changements architecturaux compliqués pour créer une autre entrée en cassant un mur et mettant une porte par laquelle la famille pourrait entrer chez elle. Parallèlement, l’infatigable administration des Domaines reprit sa poursuite contre la famille, prétendant une fois de plus qu’elle avait abandonné l’appartement et le débarras. Il y eut d’autres audiences, encore de l’argent pour un avocat, encore de l’attente énervante – et encore un juge qui rejeta l’appel.
Quelques années s’écoulèrent relativement tranquillement dans l’appartement, qui n’est qu’à 250 mètres de la Mosquée d’Al-Aqsa. C’était une maison dans tous les sens du terme, typique des habitations de la Vielle Ville : un escalier en colimaçon y menait, avec une coupole formant le plafond du salon et de la chambre attenante, la cour intérieure, pleine de plantes en pots en éclairage naturel, qui créait une séparation avec la deuxième chambre.
Mais cette période relativement calme prit fin en 2010, lorsque l’administration des Domaines cessa de s’adresser aux locataires palestiniens indésirables du bâtiment. La responsabilité est alors passée à une fondation publique enregistrée le 6 mai 2009 sous le nom de Shmuel Moshe Ben David Shlomo Gangel, inscrit comme propriétaire à la fin du 19è siècle. Aucune information sur cet homme, son histoire, sa famille, n’est disponible sur internet.
Un des fondateurs d’Atara Leyoshana, l’avocat Shabtaï Zecharya, a recherché, avec amour et méticulosité, et documenté, les immeubles appartenant à des Juifs dans le quartier musulman de la Vieille Ville y compris rue Ma’alot/Aqbat’s Al Khalidiyah.
Pour autant, dans ses diverses publications et cartes les illustrant, il n’y a aucune mention de l’immeuble du numéro 33 ni information sur Gangel. Une brève description sur internet signale le but de la fondation : « au bénéfice des pauvres de la communauté juive ashkénaze du Kollel (centre d’études avancées de la Thora) des districts de Kraka et de Wallenberg en Galicie autrichienne, résidant à Jérusalem ».
À un moment, en 2010, l’administration des Domaines « a libéré la propriété » et a transféré l’immeuble à la fondation enregistrée. Cette même année, Sub Laban se souvient qu’ils ont été forcés – comme d’autres voisin palestiniens- de mettre des barreaux à leurs fenêtres à la suite d’une augmentation d’incidents émanant d’assaillants inconnus qui lançaient des pierres contre les vitres.
En novembre 2010, la nouvelle fondation déposa plainte contre la famille. Les motifs : abandon et non conformation aux termes du bail locatif. Les administrateurs de la fondation qui avaient signé l’ordre d’expulsion en 2010 et ceux qui viendront en 2019 sont Aviezer Shapira, Joshua Heller et Avraham Avishai Zinwirth. Qui sont-ils ? Que font-ils ? Qu’est-ce qui les lie à la fondation ? Pourquoi pensent-ils que les pauvres de la communauté ashkénaze de Galicie profitera de l’expulsion de la famille Sub Laan de son appartement ? la famille Siub Laban ne le sait pas. En dehors du dépôt de plainte, les trois administrateurs n’ont jamais assisté à une audience au tribunal.
La personne qui est apparue, mis à part les avocats qui ont changé au cours du temps, était un homme nommé Éli Attal, qui s’est présenté au tribunal comme assistant des administrateurs de la fondation et agissant comme leur représentant. Il vivait lui-même près de chez les Sub Laban dans le quartier musulman depuis le milieu des années 1980. D’après lui, « il travaille pour plusieurs fondations situées dans le quartier musulman près de cette propriété ». De 2010 à aujourd’hui, il a été une ombre qui plane sur la famille Sub Laban.
C’est Attal qui a obligé la famille à retire le climatiseur qu’elle avait installé. Il leur a interdit, au nom des pauvres de Galicie, de procéder à de la maintenance et de petites réparations dans l’appartement : peinture des murs écaillée, humidité du plafond et des pierres qui tombent du toit dans la cour. Il a installé une caméra dans l’appartement des voisins juifs pour surveiller la famille. Il a posé des questions sur leurs factures d’eau et d’électricité, pour tenter de dire qu’ils avaient abandonné l’appartement.
Par une conversation téléphonique avec lui, j’ai essayé de trouver des détails sur Gangel. Regarde sur internet a-t-il dit. J’ai demandé des détails sur la fondation. Regarde sur internet a-t-il répondu. Attal a aussi refusé de dire combine d’Ashkénazes pauvres bénéficient des profits de la fondation. Interrogé sur la raison de sons refus de laisser la famille Sub Laban de faire des réparations dans leur maison et d’installer la climatisation, il a répondu : « Parce que c’est ce que j’ai trouvé juste. Je suis le propriétaire et je peux décider ce que je veux ». À un commentaire sur le fait qu’il n’était pas le propriétaire, il a répondu : « D’accord, donc je suis son représentant, et c’est ce que le propriétaire a décidé ».
Mais qui est le propriétaire ? Est-il vrai, lui a—t-il été demandé, que la fondation – c’est-à-dire la propriété – est contrôlée par Ateret Cohanim, une organisation de droite qui travaille à la judaïsation de Jérusalem ? Ce n’est pas une question futile. Avec le dépérissement d’Atara Leyoshana dans les années 1990, Ateret Cohanim devint la principale organisation opérationnelle dans « l’acquisition, le rachat et la gestion de propriétés dans l’ensemble de Jérusalem et dans la Vieille Ville en particulier », comme c’est déclaré sur la page de présentation de cette association sur le site du ministère de la justice. Selon la rumeur, elle a aussi pris le contrôle de la fondation Gangel. Éli Attal a dit qu’il n’y a pas de lien avec Ateret Cohanim. « Travailles-tu pour Ateret Cohanim ?’ lui ai-je demandé. Éli Arttal a dit non.
En 2014, la juge d’un tribunal correctionnel a décidé que le couple avait « abandonné » l’appartement et qu’ils en avaient un autre à Dahiat al’Barid. Trois juges de district ont été d’accord avec sa décision en appel. Les Sub Laban iont néanmoins réussi à obtenir la permission de faire appel auprès de la Cour Suprême. Ses juges ont montré de la pitié : le couple est âgé, ont-ils noté ; la fondation n’est pas une personne en chair et en os souhaitant vivre da,n l’appartement, fut leur commentaire.
Les juges ont décidé que le débarras serait donné à la fondation et que le couple pourrait rester dans l’appartement pou dix années de plus. Jusqu’en 2026. Que feront-ils après ? La question n’a pas préoccupé les juges. La Cour Suprême a aussi interdit aux enfants du couple de vivre dans l’appartement : leur fils, de retour d’études à l’étranger ainsi que son frère et sa famille, qui ont partagé l’appartement avec eux pendant plusieurs années ont eu l’ordre de le quitter.
En face, la fondation est une institution publique qui gère des biens et des profits dans des buts humanitaires. « Pourquoi des gens qui reçoivent une assistance de la fondation seraient-ils ennuyés si une famille palestinienne continue à payer son loyer et à vivre dans l’appartement ? a demandé Sub Laban sans attendre de réponse.
Pendant ce temps, le débarras a été rénové et transformé en appartement por une famille juive. Une autre famille juive a construit une pièce et des toilettes sur le toit des Sub Laban et leur lessive est suspendue dans leur cour intérieure. Une troisième famille juive a percé un mur mitoyen jusqu’à ménager plusieurs ouvertures. « Si je leur jette du papier » a dit Norat, « je serai arrêtée. Et ils font des trous dans mon mur et il ne leur arrive rien ».
Mais la fondation, ou qui que ce soit qui est derrière, n’a pas pu attendre 2026. En 2019 ses administrateurs ont de nouveau poursuivi les Sub Laban en justice pour qu’ils soient expulsés, affirmant une fois de plus que la famille ,ne vivait pas dans l’appartement.
Les juges des tribunaux de district et correctionnel ont décidé que le couple devait évacuer l’appartement et n’ont pas accordé foi aux certificats médicaux sur les graves problèmes de dos de Norat qui l’ont obligée à passer plusieurs mois avec ses enfants pour qu’ils puissent l’aider. La famille a déposé une requête auprès de la Cour Suprême pour avoir la permission de faire appel, mais le juge Yechiel Meir Kasher a rejeté la requête et décidé qu’il n’y avait pas de faille dans ls décisions des tribunaux de niveaux inférieurs.
Le mardi 14 mars, Éli Attal a envoyé un message WhatsApp en hébreu au numéro de téléphone d’un des fils Sub Laban : « pour vous rappeler que ce mercredi la maison doit être évacué. Bonne chance »