Dans la zone H2 de Hebron, 700 colons israéliens sont protégés par l’armée tandis que 35 000 Palestiniens peuvent être visés par des tirs s’ils en sortent.
Hebron, Cisordanie occupée. Dans les quartiers de la zone H2 de Hebron – les 20% de la ville palestinienne où quelque 700 Israéliens vivent dans des colonies illégales et où l’armée israélienne exerce un contrôle total – les rues sont pratiquement vides des habitants palestiniens qui sont environ 35 000.
On voit plutôt des soldats israéliens et des colons armés en uniforme militaire patrouillant dans les rues et occupant les toits, à l’affût de tout mouvement qui se produirait à partir des maisons palestiniennes. Assiégées, des familles palestiniennes décrivent les conditions dans lesquelles elles sont attaquées, privées de biens et de services essentiels et dont les moyens de subsistance ont été supprimés.
« Il ne s’est jamais produit auparavant qu’un confinement total soit mis en œuvre, même pendant la deuxième Intifada », dit Bassam Abu Aisha, âgé de 61 ans, qui est vice-président d’un syndicat local de chauffeurs routiers et ancien président du comité populaire de Tel Rumeida, un quartier de colline de la zone H2. Nous avions (alors) la liberté d’aller faire des courses et d’être dans la rue. Mais maintenant personne ne peut faire ça ».
Plusieurs habitants qui se sont exprimés auprès d’Al Jazeera ont dit la même chose : « C’est comme si nous étions en prison ».
Soldats le jour, colons la nuit
À la suite du choc de l’attaque du 7 octobre sur le sud d’Israël par le Hamas, des soldats israéliens sont venus sans prévenir dans les boutiques palestiniennes de Hebron et ont donné l’ordre sous la menace d’une arme à leurs propriétaires et à leurs employés de fermer et de rester chez eux.
Sur des groupes de discussion en ligne locaux, un mot a filtré dans les quartiers de la zone H2 : Tout Palestinien trouvé hors de sa maison sera abattu.
Les Palestiniens de la zone H2 ont été dans l’impossibilité totale de quitter leurs maisons pendant les quatre premiers jours, vivant avec tout ce qu’ils pouvaient avoir chez eux. Maintenant, ils peuvent seulement sortir de chez eux et passer les checkpoints à une heure fixe le matin et une heure le soir les dimanche, mardi et jeudi.
Les habitants décrivent aussi une rafale d’attaques et de menaces qui a commencé immédiatement après le 7 octobre. Le militant local, Issa Amro, âgé de 43 ans, a été appréhendé par des soldats et des colons en tenue militaire, l’informant qu’il était en état d’arrestation.
Amro a expliqué par téléphone qu’il était emmené à la base militaire de Tel Rumeida. Menotté et les yeux étroitement bandés, Amro a dit qu’il avait été frappé et qu’on lui avait craché dessus pendant des heures, les colons lui criant des injures. Au bout de 10 heures, ils l’ont relâché.
Les quelques jours suivants, Amro a dit que des colons en uniforme militaire avaient attaqué sa maison et en avaient volé la clef à un moment. Le 20 octobre, des soldats ont forcé Amro hors de sa maison, la déclarant « zone militaire fermée » en insistant que c’était pour sa « protection ». Amro, qui est maintenant chez des amis dans la zone H1, n’a pas eu la possibilité de retourner chez lui et il est en cours de rétablissement des blessures qui lui ont été infligées au dos, aux jambes et aux mains.
« C’est la première expérience de torture de ma vie » a dit un Amro sous le choc.
Alors que les forces armées se sont déplacées à Gaza et à la frontière libanaise, le bataillon de réserve de la ville a principalement assumé la responsabilité de la sécurité de la zone H2, comme dans l’essentiel de la zone C qui couvre 60% de la Cisjordanie sous contrôle militaire israélien total.
« Pendant la journée ils sont soldats et colons la nuit » a dit Emad Hamdan, le directeur exécutif du Comité pour la Réhabilitation de Hebron (HRC), une ONG palestinienne basée dans la vieille ville de Hebron. « Donc ils ont le même comportement ».
Les habitants palestiniens disent que les soldats pointent leur fusil vers quiconque monte sur le toit ou regarde par la fenêtre, en leur criant de rester à l’intérieur.
Lorsqu’ils sortent aux heures prévues, les habitants risquent quand même d’être attaqués et menacés par les colons qui sont maintenant en uniforme militaire.
« Les colons essaient des attouchements sur nos femmes et nos filles » a dit Abu Aisha. « Ils nous frappent ; ils nous disent toutes sortes de mots horribles pour provoquer une réaction qui leur donne une excuse pour nous assassiner ».
Lors d’une confrontation dans la rue, un réserviste – un colon local, infirmier qu’Abu Aisha avait déjà rencontré – pointait son fusil chargé comme s’il allait tirer sur Abu Aisha. Une vidéo d’un voisin montre l’homme tâtonnant pour placer une balle dans le fusil, jusqu’à ce qu’elle tombe au sol.
« Les enfants ont tout le temps peur »
Alors que l’armée a récemment commencé à laisser les élèves sortir et passer les checkpoints une heure le matin et une autre heure l’après-midi pendant les jours d’école, les parents ne sont pas autorisés à accompagner leurs enfants. De ce fait, les enfants ont largement été dans l’impossibilité d’aller à l’école, à cause des restrictions imposées aux déplacements et parce que leurs parents craignent des attaques de la part de colons armés.
Une femme de la famille Jabari, qui habite à Wadi Hussein, une partie de terre palestinienne de la zone H2 qui s’étend entre les colonies israéliennes de Givat Haavot et de Kiryat Arba – où vit le ministre israélien de la sécurité nationale, l’extrémiste de droite Itamar Ben Gvir – a dit que les 11 enfants de la propriété familiale sont de plus en plus nerveux. Ils aimeraient aller à l’école ou au moins à une boutique où acheter des bonbons, a-t-elle dit.
Alors que quelques familles ont essayé l’enseignement en ligne, la connexion internet a été trop faible pour suivre des cours, a-t-elle ajouté.
La famille Jabari dit avoir été visée par des colons depuis des années. Parmi d’autres incidents violents, un membre de la famille a été attaqué avec un bâton de fer qui lui a causé de graves blessures, a dit une femme de la famille à Al Jazeera.
Cette communauté croit que les colons voient la maison de la famille Jabari comme la clef de la possibilité ultime de démanteler le quartier palestinien et de relier les deux colonies.
Les Jabari disent qu’à part pour aller chercher de l’alimentation, ils n’ont pas été en mesure de sortir depuis que les colons ont placé des canapés en face de leur maison et y restent assis en attente.
La femme de la famille, qui a souhaité rester anonyme, a dit que tandis qu’ils essaient de ne pas se faire de souci, ils « savent que quelque chose de grave se passe ici ».
Il y a eu un cas où un enfant de la famille a été poursuivi le long de la rue par un colon, a-t-elle dit. Une autre fois, une fillette de cinq ans de la famille a vu un colon dans la rue et s’est aussitôt mise à courir apeurée, au point de tomber et de se blesser.
« Les enfants ont tout le temps peur » a dit cette personne de la famille. « Ils vivent dans la peur”.
Depuis des semaines, les soldats empêchent les familles de transporter des bonbonnes de gaz pour cuisiner et se chauffer depuis la zone H1 (la zone de Hebron qui dépend de l’Autorité Palestinienne) vers la zone H2. À la suite d’un lobbying d’organisations locales et internationales, l’armée a récemment accepté de permettre l’entrée de bonbonnes de gaz en en supervisant la distribution.
“Absolument surréaliste” – des soldats refusent l’accès à des soins médicaux
Les pénibles restrictions de déplacements signifient que les habitants ne peuvent pas avoir accès aux services de base ou à des traitements médicaux, même lorsqu’ils en ont désespérément besoin.
Avec la fermeture à la fois de la clinique mobile Médecins Sans Frontières (MSF) et de la clinique locale de Tel Rumeida – et l’impossibilité pour les habitants de s’y rendre même si elles étaient restées ouvertes – les Palestiniens ayant des urgences médicales sont face à un appareil sécuritaire entièrement insensible à leurs besoins.
Dans le quartier Jaber, une femme palestinienne enceinte s’est réveillée un jour à 5h du matin en souffrance. Selon la mère de cette femme et une amie de la famille, les soldats stationnés devant sa maison ont refusé du la laisser sortir pour quelques heures. Vers 11h du matin, elle a pu être emmenée dans une voiture privée. Les médecins de l’hôpital ont découvert une hémorragie interne – le bébé était mort.
Dans un autre cas, une femme nécessitait une injection dans un centre médical à 20 mètres de chez elle. Malgré des tentatives antérieures d’établir une coordination, des fusils ont été pointés sur elle quand elle a essayé de sortir de la maison. En dépit de l’insistance de professionnels de santé, un soldat présent a décidé que la piqûre pouvait attendre le lendemain.
D’après un membre de la famille Jabari, un autre membre de la famille qui avait été blessé au travail a eu trois heures et demie d’attente pour une ambulance. Le retard a été dû aux restrictions. Finalement des parents ont dû le porter jusqu’au checkpoint le plus proche, ce qui a aggravé la blessure de sa jambe.
« Des décisions sont prises sur ce qui est urgent ou non du point de vue médical par des réservistes militaires peu formés » a dit un travailleur humanitaire de la zone. « C’est absolument surréaliste”.
Pas de rentrées d’argent, les économies fondent
Mais ce qui pourrait être le plus préoccupant pour ces familles est l’amenuisement de leurs réserves d’argent liquide. Même dans les autres zones de Hebron, qui souffrent d’un goulet d’étranglement des mouvements d’entrée et de sortie de la ville, et des fermetures des entreprises, les Palestiniens rapportent des pertes de revenus dramatiques qui ont poussé des familles au bord du gouffre.
Dans la zone H2, la situation économique est grave.
« La plupart des familles dans ces zones sont des travailleurs agricoles, des ouvriers » a dit Hamdan de HRC. « S’ils ne travaillent pas, ils n’ont pas de revenus. Alors, comment peuvent-ils faire face à leurs dépenses s’ils ne peuvent aller travailler ? »
Les familles de H2 disent être contraints de puiser dans ce qu’ils peuvent avoir comme économies pour acheter de la nourriture et autres fournitures.
« Les familles s’aident mutuellement en ce moment » a dit la personne de la famille Jabari, expliquant comment des voisins se glissent entre les maisons dans là où elle habite où il y a environ 100 familles, pour partager de la nourriture et des vivres.
Mais avec peu ou pas de revenu, les voisins ne peuvent s’entraider que pour un certain temps.
« Nous sommes (financièrement) en meilleure position que certains de nos voisins » a dit Abu Aisha de Tel Rumeida. « Mais nous ne savons pas comment nous pourrons même subvenir à nos besoins plus de quelques semaines ».
Déjà, des ONG discutent en privé de mesures possibles d’aide si les graves restrictions continuent.
« Ils nous privent de la vie »
Le suivi de la situation a été irrégulier, quand le groupe international de suivi, le Programme Œcuménique d’Accompagnement en Palestine et Israël (EAPP) est parti lorsque la guerre a éclaté et que les organisations de la société civile qui sont restées ont eu du mal à se porter auprès des familles à cause des restrictions de mouvement.
Les habitants font état de confiscations de téléphones et du fait que les photos et les vidéos des incidents sont régulièrement détruites par des soldats et des colons. Un voisin a été détenu plusieurs jours pour avoir enregistré les activités des soldats, selon Abu Aisha.
Les habitants disent que certaines familles qui avaient d’autres lieux de résidence sont parties, bien que personne ne sache combien.
Pendant ce temps, des habitants et des organisations humanitaires rapportent que des colons profitent de la situation pour occuper des biens vacants dans la zone de Tel Rumeida. Abu Aisha a partagé une vidéo de colons israéliens cueillant les olives d’arbres appartenant à des familles palestiniennes de la zone.
Des familles ont été dans l’incapacité de cueillir les olives pendant la saison hautement importante qui court jusqu’à la mi-novembre. L’absence de cueillette cette année serait une catastrophe économique pour certaines familles.
Dans l’impossibilité d’aller à l’école, de travailler ou de jouer, les Jabari essaient de garder le moral en lisant des textes religieux ou en racontant des histoires aux enfants le soir.
« Comme tous les Palestiniens, nous espérons une réalité meilleure que ce que nous vivons réellement » a dit la personne de la famille Jabari.
Mais ce qu’il se passe chez eux et ce qu’ils voient à la télévision, les tient éveillés la nuit.
Nous ne pouvons pas vivre vraiment » a dit Abu Aisha, qui a neuf personnes et trois enfants dans sa maison. « Manger, boire, vivre notre quotidien est difficile parce que tout ce que nous pouvons faire, c’est de nous asseoir devant la télévision et de voir ces horribles images de Gaza ».
Les membres de la famille dorment à tour de rôle, terrifiés à l’idée de ce qui pourrait se produire.
« Les colons pourraient venir dans notre maison et tuer tout le monde et personne ne pourrait y faire quoi que ce soit » a dit Abu Aisha.
« C’est le reflet de ce qui se passe à Gaza » a dit la personne de la famille Jabari, qui a aussi partagé des vidéos de menées nocturnes autour de la maison familiale cette semaine.
Nous sommes privés des libertés fondamentales. Ils nous privent de notre vie”.
Traduction SF pour l’AURDIP