Je les ai vus tués par des tirs de snipers et des drones. Pourquoi est-ce que les Travaillistes ne condamnent pas cela ? Pourquoi les armes continuent-elles à s’écouler en direction d’Israël ?
Je n’avais jamais imaginé en travaillant comme professeur de chirurgie de transplantation dans un grand hôpital universitaire de Londres que je me retrouverai un jour en train d’opérer une enfant de huit ans saignant à mort, et m’entendant dire par l’infirmier du bloc opératoire qu’il n’y avait plus de tampon de gaze disponible. Mais je me suis retrouvé dans cette situation en août dernier en opérant à l’hôpital Nasser de Gaza comme volontaire pour Medical Aid for Palestinians (Aide médicale pour les Palestiniens, Map). Réduit à évacuer le sang avec mes mains, j’ai ressenti une énorme vague de nausée – j’avais peur que l’enfant ne survive pas. Heureusement, elle a survécu, même si beaucoup d’autres non.
Ayant pris ma retraite du NHS [National Health Service, Service national de santé britannique], j’ai décidé d’aller à Gaza parce qu’il était devenu clair qu’il y avait là un besoin désespéré d’aide chirurgicale et que j’avais les compétences pour aider. La vie comme chirurgien de transplantation à Londres avait été rude mais extrêmement gratifiante et comme membre chevronné de la communauté de transplantation, j’avais joui d’un statut certain. Cela allait être une expérience différente — mais rien ne me préparait à ce que j’ai trouvé en arrivant.
Dès le moment où nous sommes entrés dans le territoire et où Sven, un grand Suédois dans une chemise fleurie incongrue qui dirigeait notre convoi de Land Cruisers blindées des Nations Unies, nous a exhortés à « essayer de ne pas nous faire tuer », la vie est devenue une expérience bizarre et désorientante d’extrêmes. De fait, les mêmes véhicules se sont fait tirer dessus par l’armée israélienne quinze jour après notre arrivée. Gaza est le lieu de travail le plus dangereux du monde, avec 300 travailleurs d’aide humanitaire et 1000 travailleurs de santé tués depuis le début de la guerre.
Le voyage vers notre base, à travers le sud de Gaza, évoquait les photographies granuleuses d’Hiroshima. Tous les bâtiments, sur des kilomètres alentour, avaient été littéralement aplatis dans le paysage poussiéreux et à part quelques pilleurs armés, les gens étaient notablement absents. En arrivant à l’hôpital Nasser de Khan Younis, nous avons trouvé un chaos inimaginable, médiéval.
Les salles débordaient, avec des lits poussés l’un contre l’autre dans les chambres et les couloirs, et se déversant sur les balcons ouverts, beaucoup entourés de matelas dégoûtants sur le sol, où les parents dormaient pour aider les infirmiers à soigner les malades. Il n’y avait aucune hygiène. Le savon, le shampooing et le gel nettoyant étaient souvent interdits d’entrer dans Gaza, et les fournitures médicales, qui sont aussi soumises à des restrictions d’importations, étaient limitées. À plusieurs occasions, j’ai inspecté des plaies infectées et j’ai trouvé des vers qui y rampaient ; mon collègue du Map en soins intensifs a eu à enlever des vers de la gorge d’un enfant quand il a découvert qu’ils bloquaient le respirateur. À différents moments, nous nous sommes trouvés à court de gants stériles, de blouses et de champs opératoires.
L’hôpital tremblait régulièrement à cause des bombes à proximité. Comme la plupart des autres hôpitaux, il avait déjà été attaqué, en février de l’an dernier, et beaucoup de membres du personnel et de patients ont été tués. Chaque jour, nous recevions un ou deux incidents avec des victimes en masse, qui transformaient le service d’urgence en un maelstrom dantesque de corps morts, de sang, de tissus et d’enfants hurlants, beaucoup avec des membres en moins. D’habitude, cela signifiait 10 à 15 morts et 20 à 40 sérieusement blessés.
Nous pouvions recevoir des victimes à n’importe quel moment, jour ou nuit, et parfois nous opérions continuellement pendant plus de 24 heures. Il y avait une inquiétude constante que le bombardement régulier près de l’hôpital nous cible un jour et le sommeil était difficile. Le personnel local épuisé nous rendait humbles par leur implication et leur travail acharné puisque, en dehors des conditions à l’hôpital, ils avaient aussi à vivre dans des « tentes », souvent des morceaux de tapis cloués sur des poteaux de bois, sans eau ni sanitaire. Je n’ai jamais vu par ailleurs aucune trace du Hamas, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’hôpital, où nous n’avions aucune restriction de mouvement.
Rétrospectivement, ce sont les images des enfants blessés qui ne me quitteront jamais. Un soir, j’ai opéré Amer, sept ans, qui avait reçu une balle d’un des drones qui descendent immédiatement après un bombardement pour s’en prendre à ceux qui fuient en courant, tous des civils. Il avait des blessures au foie, à la rate et à l’intestin et une partie de son estomac sortait de sa poitrine. J’étais si heureux de le voir survivre. Mais nous avons vu des patients comme lui chaque jour et la plupart n’avaient pas autant de chance.
La plupart des cas que nous avons traités étaient des femmes et des enfants ; particulièrement perturbants étaient les cas des enfants avec une seule blessure, une balle dans la tête, qui étaient clairement le résultat d’un tir délibéré de sniper. En fait, 30 médecins et infirmiers britanniques qui ont travaillé à Gaza l’an dernier ont écrit à Keir Starmer [chef du parti travailliste et Premier ministre du Royaume-Uni] en août, déclarant qu’ils avaient régulièrement vu des preuves du ciblage délibéré d’enfants (comme l’ont fait 99 travailleurs de santé des États-Unis qui ont écrit une lettre similaire au Président des États-Unis d’alors, Joe Biden, en octobre). Les Palestiniens ont le sentiment qu’ils subissent un génocide et des experts des droits humains des Nations Unies, d’Amnesty International et de beaucoup d’autres organisations ont conclu que les actions d’Israël peuvent de manière plausible être considérées comme un génocide. Il est difficile de les contredire.
J’ai travaillé dans plusieurs zones de conflit mais je n’ai jamais vu autant de morts civiles et de destruction. C’était sans aucun doute qualitativement différent de toute autre guerre, actuelle ou des deux dernières décennies.
Même si le cessez-le-feu tient, ce qui paraît de plus en plus douteux étant donné les récentes actions de Donald Trump, il faudra des années pour reconstruire Gaza, à la fois physiquement et comme société. Mon espoir profond est que le jeune Amer, et d’autres comme lui, puissent avoir l’opportunité d’un avenir décent, humain.
Quand notre convoi est ressorti en septembre dernier, j’ai ressenti un immense sentiment de culpabilité à l’idée que je pouvais retourner à une vie facile alors que des millions d’autres allaient au lit affamés, se demandant s’ils seraient réduits en morceaux pendant la nuit. Il a été remplacé par un profond sentiment de honte et d’embarras que le gouvernement britannique, un gouvernement travailliste pour lequel j’avais fait campagne, ait refusé de condamner activement Israël pour les crimes de guerre qu’il a commis et qu’il continue à lui fournir des armes.
Le pouvoir politique peut exiger des compromis et des tractations en coulisses, mais il y a certaines lignes rouges morales qui ne devraient jamais être franchies, quel qu’en soit le coût politique. Selon moi, le génocide à Gaza est le test quintessentiel du courage moral pour les dirigeants du XXIe siècle — et jusqu’ici, les nôtres ont échoué. Le bombardement peut s’être arrêté maintenant, mais la nécessité de faire rendre compte à ceux qui ont commis des crimes n’est pas moins urgente.
- Nizam Mamode est un chirurgien humanitaire, professeur de chirurgie de transplantation à la retraite. Il a été chirurgien volontaire dans une équipe médicale de secours à Gaza, qui était organisée par Medical Aid for Palestinians (MAP) en août/septembre 2024