‘C’est comme en 1948’ : Israël nettoie une vaste région de Cisjordanie de presque tous ses Palestiniens

En quelques mois à peine, des communautés palestiniennes tout entières entre Ramallah et Jéricho ont été pourchassées par la violence des colons et la politique de l’État – ouvrant la….

En quelques mois à peine, des communautés palestiniennes tout entières entre Ramallah et Jéricho ont été pourchassées par la violence des colons et la politique de l’État – ouvrant la voie à une prise totale de pouvoir par Israël de milliers d’hectares de terre.

Les biens et restes de maisons de familles palestiniennes à Ein Samia, en Cisjordanie. (Oren Ziv)

Il n’y a presque plus de Palestiniens dans une vaste zone qui s’étend de l’Est de Ramallah aux abords de Jéricho. La plupart des communautés qui vivaient dans cette zone – qui recouvre environ 150.000 dunams, soit 150 kilomètres carrés, de la Cisjordanie occupée – ont fui ces derniers mois pour sauver leur vie à la suite de l’intensification de la violence des colons et de la saisie des terres, soutenues par l’armée israélienne et les institutions de l’État. Le vidage presque total de la population palestinienne de la région montre comment le processus, lent mais progressif, de nettoyage ethnique par Israël se poursuit à un rythme soutenu, annexant effectivement de larges pans du territoire occupé exclusivement pour la colonisation juive.

Plus de 10 avant-postes coloniaux – qui sont illégaux même selon le droit israélien, bien que le gouvernement d’extrême droite actuel travaille activement à les légaliser – ont été installés dans cette zone ces quelques dernières années, leurs colons faisant de l’élevage un moyen efficace pour prendre les terres des Palestiniens et les obliger à partir. Les quelques petites communautés palestiniennes qui restent dans la zone seront peut-être bientôt forcées de partir, par une peur intense pour leur sécurité physique et leur bien-être mental. Au cours de l’année dernière uniquement, des centaines de Palestiniens ont été déplacés par la force de cette façon.

A ce jour, quatre communautés palestiniennes ont été expulsées de cette région. En 2019, deux groupes de familles palestiniennes ont évacué le sud de la zone, près du carrefour de Taybeh. En mai de cette année, les 200 résidents d’Ein Samia ont démantelé leurs propres maisons et ont fui ensuite la violence incessante des colons. En juillet 2022, la communauté de Ras a-Tin, forte d’une centaine d’habitants, a suivi le mouvement. Début août, les 88 résidents d’al-Qabun ont été forcés à abandonner leurs maisons.

Il n’y a plus actuellement que trois communautés palestiniennes encore dans la zone : Ein al-Rashash, Jabit, et Ras Ein al-Auja. Toutes sont exposées au même harcèlement des colons qui a obligé leurs anciens voisins à fuir.

Ce phénomène commence à s’étendre à d’autres communautés palestiniennes dans les zones voisines. D’après les données récoltées par le Bureau de l’ONU pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) et l’association israélienne des droits de l’homme B’Tselem, 35 résidents du village voisin de Wadi a-Seeq ont récemment fait leurs bagages et ont fui, tandis que les familles font face à un danger accru. A al-Baqa’a, 43 résidents – la majorité de la communauté – ont fui en juillet à la suite de l’installation d’un nouvel avant-poste colonial et d’un incendie criminel sur une maison du village.

D’après Kerem Navot, ONG qui surveille les développements sur le terrain en Cisjordanie, les colons israéliens ont maintenant effectivement conquis une zone entre la Route Allon à l’ouest, la Route 90 à l’Est, la Route Al Ma’arjat près de Taybeh au sud, et la Route 505 près de Duma au nord. Dans cette région se trouve la Zone de Tir 906 – désignée sur 88.000 dunams (88 km²) en 1967 par l’armée – autour de laquelle ont été installés la plupart des avant-postes et qui servait principalement de zone de pâturage pour les Bédouins palestiniens. Les 60.000 dunams restants (66 km²) entre la zone de tir et la Route Allon sont la zone où vivaient ces communautés jusqu’à leur déplacement forcé.

La totalité de cette terre est située en Zone C qui est, selon les Accords d’Oslo, soumise au contrôle civil et militaire israélien. Quelques parties sont propriété privée de Palestiniens, et d’autres sont jugées « terre de l’État » par les autorités israéliennes d’occupation. Aujourd’hui, les Palestiniens n’ont accès qu’à environ 1.000 dunams (1km2) de ce territoire, et même celui-ci est soumis au harcèlement et aux attaques des colons.

Escalade de la violence des colons

Techniquement, le nettoyage ethnique des Palestiniens hors de cette zone n’était pas une action officielle de « transfert ». Ni l’armée israélienne ni l’Administration Civile – branche bureaucratique de l’occupation – ne sont arrivées avec des camions, n’y ont chargé les résidents, ni n’ont détruit leurs maisons.

Mais elles n’ont pas eu à le faire : face à la violence incessante des colons et aux restrictions paralysantes par les autorités israéliennes, les résidents palestiniens ont senti qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de fuir. Certains ont emballé leurs modestes biens, d’autres les ont laissés derrière eux. Membres de communautés essentiellement agricoles, ils se sont réinstallés dans des zones où il leur serait plus difficile de gagner leur vie, sans terre pastorale, mais où ils pourraient au moins jouir temporairement de la paix de l’esprit.

Les Palestiniens de plusieurs des communautés déplacées ont décrit le même schéma à +972 : les colons israéliens arrivent avec leurs troupeaux et les empêchent de pâturer sur la terre où les Palestiniens ont pâturé pendant des décennies ; puis les colons armés commencent à les harceler jour et nuit jusqu’à entrer dans les maisons, sans que l’armée ou la police n’intervienne. Ils ont tous décrit la même chose, sensations écrasantes de peur et de détresse à l’ombre des invasions de ces colons.

« C’est comme en 1948 », a dit Mohammed Hussein, résident d’Ein Samia – invoquant l’année de la Nakba (« catastrophe ») et l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens de leur terre natale lors de la création d’Israël.

D’après les résidents palestiniens, la situation a empiré après l’installation et la croissance de plusieurs avant-postes de colons éleveurs ces dernières années ; la violence des colons et l’augmentation de leur expansion s’est aussi notoirement accrue depuis que le gouvernement actuel, conduit par des partis d’extrême droite, a prêté serment en décembre dernier. D’après OCHA de l’ONU, on a enregistré 14 attaques dans la zone en 2019, 13 en 2020, et 14 en 2021. Ce nombre est monté jusqu’à 40 attaques en 2022, et 29 attaques de colons jusqu’ici depuis début 2023. Ces chiffres sont probablement en dessous de la réalité, car tous les cas de violence n’ont pas été documentés.

Carte de la région de Cisjordanie dans laquelle la plupart des communautés palestiniennes ont été obligées de partir sous la violence des colons israéliens et de la politique de l’État. (Avec l’aimable autorisation de Kerem Navot)

Il existe une claire corrélation entre le nombre d’attaques de colons et l’expulsion progressive des Palestiniens. A Ein Samia, par exemple, on a fait état de quatre attaques contre la communauté en 2019. En mai 2023, ce nombre s’était élevé à 10 attaques rien que depuis le début de l’année. La même chose s’est passée à Ras a-Tin (l’ONU définit Ras a-Tin et al-Qabun comme une seule communauté) ; alors qu’il n’y a eu qu’une attaque en 2021, il y a eu quatre attaques différentes en 2022, forçant certains résidents à partir. Depuis 2023, on a fait état de quatre attaques, obligeant le reste de la communauté à totalement partir.

Par ailleurs, d’après l’OCHA de l’ONU, entre 2019 et août 2023, un Palestinien a été tué et 132 autres ont été blessés à cause de la violence dans cette zone ; certains ont été blessés à cause des actions de l’armée ou de la police pendant ou après les attaques des colons. Au cours de la même période, les soldats ou les policiers ont tué deux Palestiniens et en ont blessé 230 au cours des manifestations contre les colonies environnantes.

De nombreuses familles de cette zone sont des réfugiés du désert du Naqab/Negev dans ce qui est aujourd’hui Israël, qui en 1948 ont été expulsés vers la Cisjordanie et, depuis 1967, ont été expulsés au moins une fois de plus. Certains sont arrivés dans cette région à la fin des années 1960, après avoir été chassés d’autres endroits par l’armée, tandis que d’autres sont arrivés dans les années 1980 ou 1990. La majeure partie de la terre sur laquelle ils vivent est la propriété privée de Palestiniens de villages voisins, qui la leur loue.

Avec les colons, les autorités israéliennes ont joué un rôle central dans le déplacement. Depuis des années, le dispositif de l’occupation a interdit aux communautés palestiniennes de construire, a démoli leurs maisons, leur a interdit de se connecter à l’eau et à l’électricité, les a empêchés d’aménager des routes, a émis des ordres de démolition d’écoles construites grâce au financement de l’Union Européenne, a installé et reconnu des colonies juives et, bien sûr, s’est tenu aux côtés de la violence des colons.

Le gouvernement est avec eux’

La dernière communauté palestinienne à être expulsée de la zone fut al-Qabun, installée en 1996. Elle était constituée de 12 familles – 86 résidents, dont 26 mineurs. Certains d’entre eux sont partis à l’ouest de la Route Allon, qui sépare la Cisjordanie du nord au sud, vers une terre qui appartient au village de Khirbet Abu Falah, tandis que d’autres sont partis vers d’autres parties de la Cisjordanie.

En février, les colons ont installé un nouvel avant-poste de pâturage près d’al-Qabun. Depuis lors, des colons sont arrivés sur des chevaux et des tracteurs pour provoquer et effrayer les familles palestiniennes, circulant entre leurs maisons tout en occupant leur terre agricole et en les empêchant de pâturer.

A l’occasion d’un tour sur l’emplacement du village quelque 10 jours après l’expulsion, on a vu des bouteilles de médicament, des plats et un réservoir d’eau éparpillés sur le sol – sinistres vestiges d’une communauté abandonnée. L’école, construite grâce à l’aide européenne et soumise à un ordre de démolition israélien, était elle aussi désertée, ses fenêtres fracassées et son contenu pillé. Quelques affiches faites par les enfants pendaient encore aux murs.

« Nous avons toujours vécu sous occupation, dans une prison avec des checkpoints, mais maintenant, nous vivons dans un fourgon pénitentiaire », a dit Ali Abu al-Kabash, 60 ans, assis dans une tente qu’il a dressée dans une zone ouverte sur la Route Allon. Abu al-Kabash, originaire d’a-Samu, près d’Hébron, est parti dans la région de Ramallah dans les années 1980 et vers la zone proche de Ras a-Tin en 1995.

« Avant la [dernière] élection, les colons auraient fui s’il y avait eu quelques uns d’entre nous [face à eux]. Aujourd’hui, ils attaquent parce que le gouvernement est avec eux. La police, l’armée et le Shin Bet sont tous avec eux », a-t-il ajouté.

« Pendant 25 ans, nous avons vécu une vie normale », a poursuivi Abu al-Kabash. « Ces dernières années, les colons sont venus et ont installé deux avant-postes [la Ferme de Micah et Malachei HaShalom]. Ils ont bloqué la route entre nous et Ein al-Rashash et celle qui descend vers Fasayil. Nous pâturions dans cette zone, mais ils sont venus vers nous au nom du gouvernement et de l’Administration Civile et ont dit que la terre appartient aux colons. Ils ont amené des moutons pour manger l’herbe que nous avions fait pousser pour nos moutons… Ils sont entrés dans les maisons, parfois avec plein de soldats, prenant des photos, même lorsque étaient présentes des filles, des femmes et des vieillards. »

D’après Abu al-Kabash, la violence s’est accrue après les vacances musulmanes de l’Eid al-Fitr au mois de mai. « Ils se garent à l’entrée des maisons. Certains d’entre eux ont moins de 12 ans, en dessous de l’âge de la responsabilité criminelle. Ils entrent, regardent dans le réfrigérateur, ou dans nos téléphones. Que pouvons nous faire ? Ils veulent la Zone C pour Israël, prendre le contrôle de la terre grâce aux colons, mais sans faire la guerre. Mais où irons nous ? L’occupation est partout. »

Ras a-Tin, voisine d’al-Qabun, a subi un harcèlement semblable et une sévère violence de la part des colons. Le jour où ses résidents ont fui, en juillet 2022, Ahmad Kaabna, le moukhtar de Ras a-Tin – qui est mort brutalement début août à l’âge de 60 ans – a dit à un groupe de militants : « Les colons ont fait peur aux femmes, aux enfants – tout le monde. Ils sont venus jusqu’aux maisons par groupes de 10 à 15 personnes … les militaires avec eux. Si vous leur parlez et dites ‘allez vous en, sortez d’ici’, ils appellent l’armée ou la police, qui viennent arrêter les jeunes [Palestiniens]. »

Le 14 juillet 2021 – presque exactement un an avant le départ de nombreuses familles, et deux ans avant qu’on les fasse totalement partir – l’armée, accompagnée des représentants de l’Administration Civile, s’est emparée de 49 structures appartenant à la communauté, laissant 13 familles sans abri. Les résidents ont dit à OCHA de l’ONU que les responsables israéliens leur avaient spécifiquement ordonné de partir dans la Zone B de la Cisjordanie.

Ça ne s’arrêtera pas là’

Les résidents d’Ein Samia ont été tirés de leurs maison en mai, après cinq jours consécutifs d’attaques. Comme les résident d’al-Qabun, certains d’entre eux sont partis vers des terres appartenant à des Palestiniens vivant à Khirbet Abu Falah, tandis que d’autres sont allés dans des villes et cités voisines telles que Deir Jarir, Taybeh et Jéricho.

« Nous avons vécu ici pendant 44 ans avec l’autorisation des propriétaires », a dit Hussein au mois de mai alors qu’il emballait ses affaires à Ein Samia. « Pendant des années, nous nous sommes retrouvés seuls ici contre les colons, nous n’avons eu aucune protection. Ces quelques derniers jours, des colons sont venus et ont jeté des pierres sur les bâtiments. Les enfants avaient très peur. Le but était que nous partions. Depuis 1948 jusqu’à aujourd’hui, nous avons vécu dans une Nakba continuelle. Aujourd’hui, c’est Ein Samia, mais ça ne s’arrêtera pas ici. »

Deux mois et demi après l’expulsion, Hussein et sa famille sont toujours en train d’essayer de reconstruire leur vie. Ils vivent maintenant en Zone B, où l’Autorité Palestinienne est responsable de l’organisation et où il est rare qu’Israël entreprenne des démolitions.

« Je suis né à Hébron, mais j’ai grandi dans cette zone », a dit Hussein. « Nous avons vécu à Auja [dans la Vallée du Jourdain] jusqu’en 1967, et alors l’armée est arrivée avec des tanks et nous a donné 24 heures pour évacuer. Nous sommes partis nombreux à Taybeh, près de Ramallah, jusqu’à ce qu’ils nous expulsent à nouveau et nous conduisent ici dans les années 1970. »

Les résidents y ont vécu jusqu’à ce que l’armée installe une base à proximité, quand les résidents ont été repoussés une fois de plus vers Ein Samia, où ils ont vécu jusqu’au début de cette année. Tout au long des années, ils ont été harcelés par l’armée qui confisquait leurs moutons. Puis les colons ont pris le relai.

« Ils viennent la nuit et jettent des pierres quand les enfants sont endormis » ,a dit Hussein. « Pendant cinq ans, nous avons supplié, mais personne ne nous a entendus. Nous appelions la police – ils venaient et les colons s’enfuyaient. Ces dernières années, la police est venue et nous a dit que nous mentions. »

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a eu lieu en mai quand des colons armés sont arrivés au cœur de la nuit et ont déclaré que 37 de leurs moutons avaient été volés. Ils ont fait une descente sur Ein Samia à la recherche de leurs moutons, mais n’ont pu les trouver. Le lendemain, un officier de police a arrêté un berger palestinien du village qui marchait près de la route principale et a confisqué ses moutons, prétendant qu’ils avaient été volés.

« Nous vivons de nos moutons », a expliqué Hussein « L’armée protège les colons. Même si la justice est de ton côté, ils vont t’emprisonner pour une ou deux semaines et exiger une caution de 10.000 NIS. »

Hussein a dit que les autorités israéliennes et les colons partagent le même but : « Expulsion. Ils veulent que personne ne reste ici. Ils veulent expulser tous les Palestiniens du pays, comme ils l’ont fait en 1948. Nous avons tout perdu. Les familles ont été séparées et éparpillées. Les enfants ne dorment pas à cause des colons. Ici, nous sommes en sûreté, mais nous n’avons rien pour vivre. »

Le 17 août, des représentants de l’Administration Civile, de l’armée et de la Police des Frontières sont arrivés à l’école abandonnée d’Ein Samia, l’ont détruite et ont chargé les ruines et autres restes du site sur des camions. Les militants pensent que la démolition a eu lieu dans l’intention de prévenir des tournées dans la zone de diplomates et de journalistes.

La destruction complète de l’école a eu lieu quelques jours seulement après qu’un avant-poste colonial de la zone ait été démoli avec l’approbation du ministre des Finances Bezalel Smotrich – qui est également le représentant du ministère de la Défense chargé de contrôler les territoires occupés – peut-être dans le but de montrer un « équilibre ». A la suite de la démolition de l’école, Smotrich a émis une déclaration disant que « l’État d’Israël n’autorisera pas de construction illégale ni de prise de contrôle des zones ouvertes par les Arabes. »

Une ferme veille sur des milliers de dunams’

La fuite de ces communautés palestiniennes fait intégralement partie de la colonisation du territoire occupé par Israël. Dans cette région en particulier, le processus est centré autour de la colonie de Kochav HaShahar et de ses différents avant-postes, qui ont surgi au cours des quelques dernières décennies.

Certains de ces avant-postes se déplacent, sont parfois évacués par les autorités israéliennes, puis sont réinstallés. Ils ont pourtant, de diverses façons, contribué à la prise de contrôle progressive de la zone par les colons, que ce soit par l’installation de fermes, de vignobles, le blocus de routes palestiniennes, ou par la vue de caravanes en tant que nouveaux avant-postes satellites.

Kochav HaShahar a été construit à la fin des années 1970 et abrite aujourd’hui environ 2.500 juifs israéliens. Dans les années 1990, les avant-postes de Ma’ale Shlomo et Mitzpe Kramin ont été créés. En 1998, la porte de Kochav HaShahar a été déplacée de quelques kilomètres à l’ouest, bloquant la zone agricole autour de la colonie et par conséquent l’accès à des milliers d’acres de terre palestinienne.

Au cours des 20 dernières années, les colons ont construit quantité d’avant-postes supplémentaires autour de Kochav HaShahar, dont Baladim, Maoz Esther, et Ma’ale Ahuviya. En 2004, Einat Kedem a été installé au sud-est, près de Jéricho. Malachei HaShalom a été construit en 2014 sur une zone militaire partiellement abandonnée, juste à l’Est de la colonie de Shiloh, premier d’une série d’avant-postes construits à l’Est. En février de cette année, le gouvernement israélien a décidé de formaliser l’avant-poste, le transformant en colonie officielle.

La Ferme de Keriya, avant-poste d’élevage appartenant à Neriya Ben Pazi, a été installée en 2018 au sud de la colonie de Rimonim et a pris des milliers d’acres de terre. Elle a plusieurs avant-postes subsidiaires, dont deux en direction de Jéricho : la Ferme de Zohar et un avant-poste créé en mémoire de Harel Masood, l’une des quatre victimes en juin d’une attaque au fusil dans la colonie d’Eli.

Un autre avant-poste, la Ferme de Micah, qui a été construit en 2018 au pied de Kochav HaShahar qui surplombe Ein Samia, s’est réinstallé en 2020 près du village maintenant dépeuplé de Ras a-Tin. L’armée a alors empêché les villageois palestiniens de traverser la route Allon pour accéder à leurs propres terres. Les Palestiniens des villages voisins d’Al-Mughayyir et Kufr Malik ont organisé des manifestations à la suite de la relocalisation de l’avant-poste.

Les colons et les soldats israéliens ont tué trois Palestiniens ces dernières années à Al-Mughayyir. En juillet 2022, un colon a tué par balle Amjad Abu Alia, âgé de 16 ans ; en décembre 2020, pendant une manifestation du vendredi, un sniper de l’armée a abattu Ali Abu Alia, âgé de 15 ans, d’une balle dans le ventre qui l’a tué ; et en janvier 2019, au cours d’une attaque de colons armés sur le village, Hamdi Na’asan, âgé de 38 ans, marié et père de deux enfants, a été tué par balle dans le dos.

En 2020, des colons ont fondé l’avant-poste la Ferme de Rashash au nord-est de Malachei HaShalom, le long de la frontière de la Zone de Tir 906. Un vignoble a récemment été planté au sud de Malachei HaShalom, et une tente a été placée sur la route qu’utilisent les fermiers palestiniens pour atteindre leurs pâturages dans une zone connue sous le nom de Dalia, mais les colons les empêchent maintenant de l’utiliser. Plusieurs nouveaux avant-postes ont également été installés autour des avant-postes existants, dont certains ont été évacués, puis repeuplés.

Dans la même zone, il y a aussi des colonies près de la Route 90, dont Yitav, Na’aran, Gilgal, Tomer, et Petza’el, qui hébergent en tout environ 1.300 colons.

« Les colons se sont arrangés pour créer une zone de dizaines de milliers de dunams, qui servaient de terres de pâturage aux communautés qui ont été expulsées et sont maintenant vides de Palestiniens », a expliqué Dror Etkes de Kerem Navot, citant en exemple la Zone de Tir 906. « Pour les colons, cet [accaparement] est une réussite significative, qu’ils essaient de reproduire ailleurs. »

En réalité, d’après les données de Kerem Navot, depuis l’année dernière, les colons ont pris le contrôle sur environ 238.000 dunams de la Cisjordanie sous prétexte d’activité agricole et d’élevage. Dans un discours dans une conférence en ligne de 2021 hébergée par l’organisation de colons Amana, le PDG de l’association Ze’ev (Zambien) Hever a expliqué la logique derrière cette méthode : « La construction [seule] demande peu d’espace, à cause de considérations économiques. Nous avons obtenu 100 kilomètres carrés après plus de 50 ans. [Les avant-postes agricoles] ont plus de deux fois la surface des colonies construites … Une ferme contrôle des milliers de dunams de terre. »

La frontière bouge tous les mois’

A la suite de l’exode des quelques derniers mois, la communauté palestinienne d’Ein al-Rashash, qui comporte 18 familles totalisant presque 100 résidents, supporte maintenant le poids de la violence des colons israéliens, avec la proximité des avant-postes de Malachei HaShalom et de la Ferme de Rashash qui empêche les résidents de faire paître leurs moutons.

« D’ici à Fasayil et Auja, il n’y a personne », a dit le résident Eid Salama Zawara. « Nous avons vécu ici en paix pendant presque 30 ans. Il y a quatre ans, ils ont construit l’avant-poste et depuis, tout a changé. Tout d’abord, les colons ont dit : ‘Voilà la frontière, je ferai paître ici et vous là.’ Mais la frontière bouge tous les mois et maintenant, ils arrivent déjà au seuil de nos maisons avec leurs moutons, y entrant, et nous ne pouvons sortir.

Montrant les collines environnantes, il ajouta : « Il y a de la place ici pour faire paître tous les moutons en Israël et en Cisjordanie. Mais ils [les colons] veulent que personne d’autre ne pâture ici. »

Une attaque significative a eu lieu le 24 juin, lorsque plusieurs colons sont entrés dans le village puis ont appelé des renforts. « Alors, l’armée est arrivée », a dit Zawara « Nous nous sommes calmés parce que nous avons pensé qu’ils allaient nous protéger, mais ce n’est pas ce qui est arrivé. Les soldats ont dispersé les jeunes avec des gaz [lacrymogènes] et des [balles] de caoutchouc et, pendant ce temps, les colons ont brisés les vitres, fracassé les panneaux solaires et ont commencé à mettre le feu à une maison.

« Ils ont battu un vieil homme avec un bâton et ont brisé la radio qu’il écoute tous les jours », a poursuivi Zawara. « Les soldats sont restés à l’écart. Un policier est arrivé et a pris une photo de l’homme blessé, mais ils ont arrêté trois jeunes hommes [palestiniens] du village. »

Le vieillard qui a été agressé, Haj Salama, a dit à +972 : « Depuis l’agression, j’ai peur. Je ne dors pas la nuit. Je suis effrayé chaque fois qu’une voiture passe. »

Zawara est certaine que les colons ont l’intention de réserver le même sort à Ein al-Rashash que celui qu’ont subi les villages voisins maintenant dépeuplés. « Ils veulent que nous partions ailleurs, mais où que nous allions, il y a davantage de colons – alors où allons nous ? »

Les résidents d’al-Ma’arajat à côté font face aux mêmes défis. Elia Maliha, membre de la communauté de 28 ans, étudiante en communications, a dit à +972 : « Cinquante familles ont vécu ici pendant 40 ans. Nous prenons l’eau dans des camions-citernes, les maisons sont faites en plaques de tôle et, dans le passé, la plupart ont été démolies [par les autorités]. Un ordre de démolition a également été émis pour l’école. Les enfants qui sont en fin de terminale vont étudier à l’université ou au collège, mais ici l’élevage est le seul moyen de subsistance.

« Les gens d’ici aiment les animaux et veulent vivre en paix », a-t-elle poursuivi. « Ces deux dernières années, depuis l’installation de l’avant-poste, la vie a changé. Les colons jettent des carcasses dans les zones de pâturage, pénètrent dans les maisons jour et nuit, ouvrent les placards et répandent leur contenu, fouillent dans le réfrigérateur, etc.… Mais nous avons de l’énergie et du courage, nous restons et, grâce à notre détermination, nous ne voulons pas devenir al-Qabun ou Ein Samia. »

Le 27 juillet, deux jeeps avec des soldats israéliens masqués sont entrées dans la communauté et ont fouillé les maisons. Deux jours plus tard, un colon armé est arrivé, accompagné de soldats. « Ils ont prétendu qu’on leur avait volé quelque chose et qu’ils voulaient mener une enquête », a raconté Maliha. Une vidéo de l’incident montre un colon armé qui entre dans les tentes d’habitation et dans les bergeries, avec des soldats pour le protéger et faire taire les Palestiniens qui exigeaient qu’il parte.

Deux autres communautés plus au sud sont elles aussi en danger. L’une s’appelle Baqa’a, où vivent 33 personnes dont 21 mineurs. Le 10 juillet, la majeure partie de la communauté a fui après des semaines d’attaques des colons ; quelques jours plus tôt, des colons avaient détruit par le feu les structures appartenant à une famille qui était temporairement partie sous la violence. Après l’exode, l’Administration Civile a démoli l’avant-poste colonial voisin, mais il a été reconstruit depuis. A côté, dans la communauté de Wadi a-Seeq, les résidents craignent d’être les prochains sur la liste ; certains d’entre eux ont déjà fui.

L’ensemble du système est mobilisé pour les colons’

« Ce n’est pas un garçon de 16 ans qui décide tout seul quoi faire », a expliqué Etkes à propos des avant-postes coloniaux. « Les gens réfléchissent et décident quoi faire et que construire. Il y a un soutien juridique, de l’argent, de l’expérience et une motivation. Et actuellement, les conditions politiques sont un rêve. Ils exploitent cette opportunité [alors qu’ils sont] au sommet de leur pouvoir. Ceci n’arriverait pas sans le soutien des entités les plus contributives sur le terrain, telles que les conseils régionaux, l’administration coloniale de Smotrich [et] l’Administration Civile.

« Nous n’avons jamais vu une telle audace auparavant, entrer dans les communautés et attaquer les gens dans leurs maisons », a poursuivi Etkes. « Le système tout entier est mobilisé pour permettre aux colons de prendre plusieurs milliers de dunams. »

D’après un rapport sur Channel 12 d’Israël, Smotrich propose un projet de reprise de la Zone C, qui comprend la légalisation et l’expansion des avant-postes déjà installés, et la construction d’autres. Le 20 août, par exemple, le gouvernement a décidé d’allouer de la terre à l’avant-poste de Mevo’ot Yericho, près de la zone susmentionnée, qui a été officiellement reconnue en 2019.

L’expulsion de résidents semble faire partie de la « Bataille pour la Zone C », campagne annoncée il y a quelques années par des associations et des politiciens de droite. Les organisations de colons ont depuis longtemps organisé un mouvement concerté pour empêcher le développement des Palestiniens en Zone C, qui représente 60 pour cent de la Cisjordanie et comprend la majorité de ses terres libres et agricoles – et la totalité des colonies. Le contrôle sécuritaire et administratif total d’Israël sur la Zone C signifie que toute construction palestinienne doit obtenir l’autorisation d’Israël, qui n’est presque jamais accordée.

Les organismes, et gouvernementaux et non-gouvernementaux, ont régulièrement fait valoir leurs arguments en faveur de la reprise continue de la Zone C. En juin 2021, le ministère du Renseignement a publié un rapport détaillé dans lequel il examinait le « Plan Fayyad » de 2019 – du nom de Salam Fayyad, premier ministre palestinien de l’époque – qui comprenait un programme pour assurer le contrôle de la Zone C et acquérir le soutien de l’Europe aux communautés palestiniennes qui y vivaient.

Environ deux mois plus tard, un rapport de Regavim, association coloniale d’extrême droite cofondée par Smotrich, déclarait que la construction d’écoles faisait partie d’un projet palestinien de contrôle sur la Zone C. L’année dernière, le ministère israélien des Colonies a transféré 20 millions de NIS aux conseils locaux israéliens en Zone C pour qu’ils récoltent des renseignements sur la construction palestinienne dans la région.

En 2017, Smotrich a publié son « Projet Décisif » pour reprendre la Cisjordanie ; même si le document ne mentionne pas la Zone C, il a écrit qu’Israël doit agir pour réaliser « notre ambition nationale d’un État juif du fleuve [Jourdain] à la mer [Méditerranée] ».

Y arriver, a souligné Smotrich, exigerait « un acte politico-juridique qui imposerait la souveraineté sur la totalité de la Judée-Samarie [nom biblique pour la Cisjordanie] » tout en créant simultanément de nouvelles villes et cités ; en poursuivant le développement d’infrastructures qui soient à égalité avec celles qui se trouvent à l’intérieur de la Ligne Verte ; et en encourageant « des dizaines ou des centaines de milliers » d’Israéliens à aller en Cisjordanie. « Ainsi », a-t-il prétendu, « nous serons capables de créer une réalité claire et irréversible sur le terrain ».

Bien que l’idée d’une annexion officielle israélienne ait été temporairement mise de côté en 2020, dans la pratique, les autorités ainsi que les colons l’ont mise en place dans les zones où des communautés palestiniennes ont été déplacées de force.

Alon Cohen-Lifshitz, urbaniste de l’ONG Binkom, qui travaille avec les communautés dans la zone, a dit : « La menace réelle, ce ne sont pas les ordres de démolition, mais la violence des colons. Sur les 50 communautés que nous avons étudiées dans la zone, 20 sont le plus à risques, et certains sont déjà parties. L’État a déjà essayé de ’nettoyer’ la région depuis 2014, sans succès – des mesures procédurales, diplomatiques et juridiques l’en ont empêché.

« Maintenant, l’État est passé d’une tentative active de déportation [des Palestiniens] à une ignorance passive des actions des colons », a poursuivi Cohen-Lifshitz. « C’est bien plus facile et plus efficace. »

Un certain nombre de militants israéliens et internationaux sont allé régulièrement dans la région depuis des années et essaient de se tenir auprès des résidents palestiniens contre les colons. L’un d’entre eux, le rabbin Arik Ascherman, a décrit ainsi la politique israélienne : « Partout, il existe trois attaques : les menaces et la violence ; les dégâts économiques provoqués par l’empêchement [des bergers] d’accéder à leurs pâturages ; et le soutien de l’État – avec les démolitions et les confiscations et l’absence de volonté d’offrir quelque protection que ce soit.

« La police m’a dit que rien n’empêche juridiquement les colons de circuler près des maisons [des Palestiniens] ou même à l’intérieur des tentes », a poursuivi Ascherman, mettant en garde : « Si nous ne faisons rien, de plus en plus de communautés vont partir. Nous devons être physiquement présents sur le terrain. »

Le Porte-parole des FDI a décliné une demande de commentaires.

Une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu sur Local Call.

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Oren Ziv est un photojournaliste, reporter pour Local Call, et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.