Les juristes de l’armée étatsunienne considèrent l’invasion de Gaza par Israël – et la façon dont l’opinion publique y réagit—comme une répétition générale en vue d’un conflit potentiel avec une puissance étrangère comme la Chine
En juillet dernier, Geoffrey Corn, professeur de droit à l’université Texas Tech et ancien juge avocat-général de l’armée étatsunienne, a rejoint l’armée israélienne (Forces de défense d’Israël, FDI) pour visiter la frontière de Rafah. Quelques heures après l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, Israël a commencé à bombarder Gaza. Mais jusqu’en mai 2024, à peine deux mois avant la dernière visite de Corn, la ville de Rafah restait relativement intacte. Rafah, lieu du seul point de passage de la frontière avec l’Égypte, était déjà une des villes les plus densément peuplées de Gaza, d’autant plus que des Palestiniens s’y étaient enfuis depuis le Nord. En février, quand il a été clair que les FDI avaient le projet d’envahir Rafah, le nombre de personnes vivant dans cette ville était estimé à 1,5 million.
Des dirigeants du monde entier et différentes organisations ont insisté auprès d’Israël pour qu’il n’effectue pas cette incursion, y compris le président Biden, lequel, la veille de l’offensive des FDI, a qualifié Rafah de “ligne rouge”. Les FDI ont avancé, quoi qu’il en soit, alors que la Cour internationale de justice (CIJ) ordonnait à Israël d’“arrêter immédiatement son offensive militaire [à] Rafah”. En juillet, quand Corn a observé ce secteur, Rafah était largement réduite à des décombres. “On aurait cru Berlin après la seconde guerre mondiale”, m’a-t-il dit. “Et, si vous vous contentez de regarder ça, vous vous dites, ça ne peut pas être bien.”
Corn, au sommet de sa carrière militaire, était le principal conseiller de l’armée étatsunienne sur le droit de la guerre, également dénommé droit international humanitaire (DIH), ou droit des conflits armés. Corn s’est référé à Berlin pour évaluer le degré de destruction urbaine dont il a été le témoin, mais il évoquait aussi, peut-être involontairement, un moment décisif pour le droit international. La seconde guerre mondiale a été le premier conflit armé au cours duquel la puissance aérienne a rendu possible le bombardement des civils à une échelle massive. Les chefs militaires ont porté ces possibilités jusqu’à des extrêmes terrifiants, en suivant une logique selon laquelle l’homicide de civils pourrait inciter à la reddition. Il a fallu que soient adoptés les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949, en 1977, pour qu’un accord international prohibe explicitement le ciblage intentionnel des civils. (Les États-Unis n’ont pas ratifié ces protocoles, mais ils ont intégré les règles élémentaires de la protection des civils au Manuel du droit de la guerre du Département de la Défense et ils les considèrent comme une partie du droit international coutumier.) Et il a fallu le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, créé en 1993 et dans le cadre duquel Corn a été témoin de la défense, pour qu’un tribunal international juge quelqu’un pour avoir violé cette prohibition.
La guerre à Gaza s’est déroulée sous ce régime juridique international relativement récent. Sur la frontière de Rafah, des agents de renseignement des FDI ont montré à Corn des vidéos de surveillance qui, selon lui, révélaient une activité du Hamas dans le secteur avant que ne commence l’offensive des FDI. Cela suggérait que les destructions qu’il avait vues ne résultaient pas d’une attaque aveugle et que le droit de la guerre avait été respecté. L’utilisation de bâtiments civils par le Hamas transformait ces sites en “objectifs militaires”, disait Corn. Les civils tués n’étaient pas des cibles mais des “morts accidentelles”.
L’affirmation selon laquelle Israël se serait conformé au droit de la guerre est extrêmement controversée. On peut citer la procédure pour génocide à la Cour internationale de justice, ainsi que les mandats d’arrêt délivrés par la Cour pénale internationale contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés. De nombreux experts ont accusé Israël d’avoir bafoué le droit de la guerre, notamment Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, qui a affirmé qu’Israël avait invoqué le droit international humanitaire pour légitimer la violence génocidaire, en instrumentalisant ce “camouflage humanitaire”. Cela a été fait en recourant à des concepts du DIH comme l’utilisation de boucliers humains, la notion de dommages collatéraux, les désignations de zones sûres, les ordres d’évacuations et la protection médicale afin d’effacer la distinction entre civils et combattants.
Israël a contesté ces affirmations lors d’audiences de la Cour internationale de justice, et toute une gamme d’institutions ont donné un écho à cette défense. Les séjours de Corn dans la région sont issus de ces efforts. Outre son voyage de juillet, il s’y est également rendu en mars 2024, avec un groupe de généraux en retraite à trois ou quatre étoiles, ce voyage étant parrainé par le Jewish Institute for National Security of America (JINSA, Institut juif pour la sécurité nationale de l’Amérique). Le rapport dont il a ensuite été le co-auteur avec les autres membres de cette délégation estime que la pratique par les FDI de l’atténuation des risques pour les civils “reflète un engagement de bonne foi” de mettre en œuvre le droit de la guerre, tandis que le Hamas a enfreint ce droit de manière générale et intentionnelle. Corn, quand nous nous sommes parlé au téléphone fin février, a soutenu que, malgré la nature catastrophique des destructions, que même lui avait trouvé saisissante, les accusations portées à l’égard d’Israël étaient hâtives. Il affirmait catégoriquement que la conformité au droit d’une attaque ne pouvait pas être jugée en s’appuyant uniquement sur ses conséquences : “C’est comme si je vous disais : un plus je-ne-sais-quoi, ça fait évidemment dix.” Une école détruite ne vous dit pas que des crimes de guerre ont eu lieu. Pour cela, disait-il, il faut examiner la prise de décision qui a conduit à la frappe. “Je ne vais pas dire que tous les dégâts étaient nécessaires ou justifiés, parce que je n’ai pas assez d’informations pour le dire”, a poursuivi Corn. “Ce que je peux dire, c’est que les systèmes et processus que les FDI ont mis en œuvre sont très similaires à ce que nous mettrions en œuvre dans un espace de bataille similaire.”
Cette idée – la conduite d’Israël à Gaza s’accorderait avec la façon dont l’armée étatsunienne conçoit ses propres obligations juridiques – a fait l’objet d’un consensus parmi les juristes militaires américains et leurs alliés dans l’université au cours de ces dernières années. C’est la thématique centrale d’un nouvel article de Naz Modirzadeh, professeure à la faculté de droit de Harvard et fondatrice de son Programme sur le droit international et les conflits armés. Comme l’écrit Modirzadeh dans une prochaine publication de la revue Harvard National Security Journal, le gouvernement étatsunien ne s’est pas prononcé clairement sur une éventuelle violation du droit de la guerre par Israël. Là où certains ont vu de l’hypocrisie et des calculs géopolitiques, on doit aussi créditer « une transformation plus profonde dans l’armée étatsunienne et son appareil juridique”.
Au cours des années qui se sont écoulées, le Département de la Défense s’est concentré sur la guerre de grande ampleur que les États-Unis pourraient mener contre un ennemi rivalisant avec l’armée étatsunienne en termes de force et de technologie. Dans un tel scénario—appelé en anglais « large-scale combat operation », ou LSCO— le combat aurait lieu sur terre, en mer, dans les airs et dans la thermosphère. Le contrôle des airs ne peut être considéré comme acquis. Le renseignement peut être lacunaire. Les morts et blessés peuvent se compter par centaines de milliers et des villes entières peuvent être anéanties. “Bref”, écrit Modirzadeh, l’armée étatsunienne a entrepris de “se préparer à une guerre totale avec la Chine”. Et, de tels embrasements flambant dans leur esprit, “les juristes LSCO”, comme les appelle Modirzadeh, sont en train de soutenir que le droit de la guerre est beaucoup plus permissif que ne le pensent apparemment nombre de leurs confrères et l’opinion publique. De ce point de vue, Gaza n’a pas seulement l’air d’une répétition générale du genre de combat auquel les soldats étatsuniens seront peut-être exposés. C’est un test de la tolérance de l’opinion américaine pour les niveaux de mort et de destruction induits par ces formes de guerre.
En 2018, quand Trump a imposé pour la première fois des taxes douanières aux marchandises chinoises, la nouvelle stratégie de défense nationale a déclaré que la compétition avec la Chine et la Russie—“et non le terrorisme”—était la principale préoccupation en matière de sécurité nationale. Ce signal étant donné, la lourde bureaucratie de l’armée étatsunienne a commencé à se réorienter, déplaçant le budget de la défense, les manuels d’entraînement, les contrats d’armement et la stratégie militaire afin de se centrer sur le théâtre du Pacifique. Le concept de LSCO a alors pris son essor. Selon un commentaire, la première mention de ce terme dans la doctrine officielle de l’armée remonte à 2017. En 2022, la mise à jour du manuel 3-0 des opérations de l’armée sur le terrain utilisait le terme LSCO plus de cent fois.
Modirzadeh situe dans ce courant les origines de l’exercice du droit LSCO. Elle se réfère à un article de 2021 intitulé “The Eighteenth Gap” (Le Dix-huitième gap), publié dans The Military Review. Ses auteurs étaient le général de corps d’armée Charles Pede, à l’époque l’expert en droit le plus haut gradé de l’armée, et le colonel Peter Hayden, autre juriste militaire. (Tous deux sont aujourd’hui à la retraite.) Le titre fait référence à une étude de 2017 menée par le Combined Arms Center de l’armée, qui exposait dix-sept gaps ou lacunes dans le degré de préparation des forces armées au moment où elles cessaient de mettre l’accent sur la contre-insurrection et le contre-terrorisme pour passer à un conflit possible avec une armée technologiquement avancée. À cette liste de dix-sept gaps, Pede et Hayden suggéraient d’ajouter une lacune relative à “la marge de manœuvre juridique”.
L’armée étatsunienne, estimaient les auteurs, avait pratiqué une forme de guerre exceptionnellement retenue pendant les vingt dernières années. Cela avait été possible en raison d’un ensemble de circonstances particulières—des bases sûres, une supériorité technologique, le contrôle de l’air et des mers—autorisant une façon de tuer sans précipitation qui avait atteint son point culminant avec les frappes de drones. Depuis un terminal éloigné de tout danger, les pilotes de drones pouvaient planer dans le ciel pendant des heures, absorbant une quantité d’informations de surveillance, mettant sur pied un plan sur la cible précise à bombarder et le bon moment pour le faire. Mais, aux yeux de Pede et Hayden, toute cette retenue avait conditionné les troupes américaines ainsi que l’opinion publique à croire qu’un tel degré de modération était la norme. Nous souffrions, écrivaient-ils, d’une « gueule de bois » de la contre-insurrection, qui fragilisait la préparation de l’armée étatsunienne à une guerre de grande ampleur. Lors d’entraînements qui simulaient des combats de grande ampleur, les soldats hésitaient à utiliser certaines munitions, n’étant pas sûrs d’être autorisés à faire eux-mêmes ce choix. Les officiers observant ces exercices notaient aussi une “aversion générale au risque de dommages collatéraux”.
Ce qui était plus troublant pour Pede et Hayden, c’était la “menace” venue de l’extérieur des forces armées. Jusqu’aux dernières décennies du vingtième siècle, le droit de la guerre était presque exclusivement le domaine des juristes militaires et des humanitaires de la Croix-Rouge. Mais, dans les années 1980, Human Rights Watch a commencé à observer les conflits armés pour vérifier le respect de ce droit. D’autres ONG lui ont emboîté le pas et, lorsque la guerre contre le terrorisme s’est mise en marche, toute une industrie de la connaissance a jailli autour du droit de la guerre. Des universitaires de la société civile se sont mis à étudier le DIH en même temps que d’autres instruments du droit international, et des journalistes ont utilisé le droit de la guerre pour examiner les actions de l’armée étatsunienne, surtout celles qui aboutissaient à des morts de civils. Pour décrire cette évolution, Kenneth Roth, ancien directeur de Human Rights Watch, a dit que les militaires avaient “perdu leur monopole de l’interprétation” du droit de la guerre. Pede et Hayden ont parlé d’une “dérive juridique humanitaire”. Pour eux, les critiques de l’armée américaine étaient “bienintentionnés” mais naïfs, n’ayant pas l’autorité voulue pour déterminer ce qui comptait comme cible militaire et par quels moyens les soldats pouvaient détruire ces cibles.
Pede et Hayden, d’un bout à l’autre de leur article, ont soutenu qu’ils ne contestaient pas l’importance du droit de la guerre. Le problème, soulignaient-ils, était que les obligations relativement minimes découlant de ce droit s’étaient combinées à l’ensemble beaucoup plus restrictif de mesures de précaution adopté par l’armée étatsunienne dans le cadre de sa politique. Cette politique était facultative, et serait impossible à suivre dans une situation de LSCO ; elle pourrait même être fatale. Pour les juristes militaires, le point crucial était que les soldats américains comprennent que le droit ne leur imposait pas d’essayer. “Si nous devons l’emporter sur le prochain champ de bataille, nous devons être prêts à combattre avec le droit qui existe, et non le droit que certains appellent de leurs souhaits”, écrivaient-ils.
Après la publication de “The Eighteenth Gap”, un foisonnement d’autres articles, allocutions, billets de blogs et colloques ont suivi, reprenant le même raisonnement— l’armée étatsunienne aurait besoin d’un ensemble de règles moins restrictif pour mener ses opérations lors d’une LSCO, et le droit de la guerre était suffisamment permissif pour que cela soit possible.
Alors que les chefs militaires et les experts se penchaient sur les détails, un vague programme a pris forme. En général les juristes LSCO plaidaient pour donner plus d’autorité aux commandants sur le terrain, pour tuer en toute indépendance. Dans le combat très mobile qu’on attend dans une LSCO, les soldats devaient décider d’eux-mêmes, sans conseil juridique et sans autorisation du haut de la chaîne de commandement, sur ce qu’ils pouvaient viser, quelles armes ils pouvaient utiliser et si les blessures probables de civils étaient acceptables. Cela a marqué une rupture dans la pratique militaire étatsunienne, où les juges avocats-généraux ont souvent œuvré aux côtés des commandants en ce qui concerne les décisions de ciblage et où les frappes susceptibles de blesser des civils ont généralement fait l’objet d’un examen approfondi. Les juristes LSCO ont aussi avancé que les décisions de ciblage prises par des commandants devraient être évaluées uniquement par le test subjectif de « bonne foi ». Imposer une norme plus élevée pourrait mettre les soldats en difficulté, parce qu’ils seraient effrayés à l’idée de devoir produire des preuves justifiant d’avoir fait feu.
Dans tous ces échanges, la perspective d’une guerre totale fonctionne comme un test de pression. Le droit de la guerre repose sur la possibilité d’un compromis. Il est supposé établir un équilibre entre une préoccupation humanitaire et la nécessité militaire. C’est une proposition extrêmement problématique, mais ses contradictions s’effacent lorsqu’on se voit soi-même entouré d’une nuée d’acier, de pulvérisations et d’explosions. Si une guerre entre les États-Unis et la Chine devait éclater dans le détroit de Taïwan, l’impératif de victoire serait presque absolu. De ce point de vue, le travail des juristes LSCO peut être considéré comme un effort pour préserver le respect du droit et des considérations humanitaires, même dans les conditions les plus extrêmes.
Le fait d’écrire sur le droit de la guerre dans le cadre LSCO peut être vu comme une forme d’échappatoire. Plus de deux décennies après leur invasion de l’Afghanistan, les États-Unis sont toujours engagés dans nombre de conflits armés, tous asymétriques. En leur sein, l’ennemi n’est pas une armée permanente mais diverses organisations terroristes et des groupes hostiles plus souples, imbriqués dans des populations civiles nombreuses. Attirer l’attention sur le strict minimum requis par le droit de la guerre in extremis, est un moyen d’éviter les épineux problèmes moraux et politiques des guerres passées, que l’Amérique est largement toujours en train de poursuivre.
Au moment où a commencé la campagne de Gaza, la direction des FDI a publié une directive générale dépassant largement sa liste de cibles, qui assouplissait les restrictions sur les pertes civiles et conférait une forte autorité à des commandants de rang moyen pour frapper des cibles de façon indépendante – c’était en gros, un document typique du droit LSCO.
Une vidéo récente, tournée en avril, montre à quel point sont devenues permissives les règles d’engagement des FDI. Dans le clip, un commandant de bataillon des FDI instruit un groupe de soldats qui se préparent à une opération de libération d’otages à Rafah. « Toute personne que vous rencontrez est un ennemi », dit le commandant à ses troupes. « Quel que soit ce que vous voyez, ouvrez le feu, neutralisez la menace, et continuez à bouger ». Moins de deux semaines avant, des soldats de la même brigade qui agissaient sous le commandement d’un commandant réserviste, ont tué quinze travailleurs palestiniens de l’aide humanitaire et ont enterré les corps dans une fosse commune.
Un porte-parole des FDI a d’abord prétendu que les véhicules conduits par les travailleurs « avançaient de façon douteuse » tous feux éteints. Des sources des FDI ont dit à Haaretz que les soldats avaient senti leurs vies en danger. Une vidéo découverte plus tard sur le téléphone mobile de l’un des travailleurs a révélé que le témoignage des FDI était fabriqué. Dans la vidéo, un convoi d’ambulances clairement identifiables et un camion de pompiers se déplaçaient sur un chemin de terre. Ils se sont rangés pour inspecter un véhicule qui avait glissé hors de la route, dans un champ. Comme l’a révélé une enquête interne des FDI, il s’agissait d’une autre ambulance sur laquelle un bataillon de soldats israéliens cachés une trentaine de mètres plus loin avait tiré quelques heures plus tôt. Dans la vidéo du téléphone, on peut voir plusieurs travailleurs humanitaires nouvellement arrivés sortir de leurs véhicules dont les warnings étaient allumés. C’est alors que la fusillade a éclaté. La vidéo devient noire mais la caméra continue à enregistrer. La fusillade dure encore plusieurs minutes. On peut entendre des soldats crier des ordres en hébreu. Au même moment, on peut aussi entendre les voix des travailleurs humanitaires encore vivants. Un peu plus de dix minutes après la fin de la vidéo, un autre véhicule est cependant arrivé sur la scène, appartenant à l’ONU. Pour la troisième fois, le bataillon des FDI a ouvert le feu, tuant le conducteur.
La capture vidéo suggère que ces meurtres constituaient un crime de guerre. Aucun juriste LSCO ne défendrait l’idée qu’ils étaient acceptables. Mais les égards que les dirigeants des FDI ont eu pour le récit des meurtres par les soldats correspondent aux normes de la « bonne foi » défendues par les juristes LSCO. Les FDI ont dit dans une déclaration que l’incident résultait de plusieurs « défaillances professionnelles » et ont écarté le commandant adjoint du bataillon pour avoir livré une information inexacte. Il a été blâmé pour avoir dérivé de la mission et exposé au risque son unité et d’autres sur le terrain. Mais les FDI ont tacitement accepté son argument selon lequel il pensait que ses soldats tiraient sur le Hamas. L’armée maintient que son bataillon « n’a pas tué de façon indiscriminée ». En d’autres termes, ces hommes ont commis trois fautes à la suite, – et non un crime de guerre.
En parcourant divers récits du conflit écrits par des juristes LSCO américains, on est frappé de combien peu d’attention est donnée à l’incongruité entre les tactiques d’Israël et la nécessité militaire – en particulier étant donné le caractère asymétrique entre Israël et le Hamas, dans lequel le premier a un gros avantage technologique et en matière de force de frappe. L’année dernière, l’ancien général de corps d’armée David Deptula, après avoir été emmené en visite à Rafah par les FDI, a écrit que, selon ses observations, Israël employait « la force juste, au bon endroit, au bon moment ».
Le rapport du JINSA dont Corn était co-auteur fournissait une analyse plus nuancée, bien que très particulière sous l’angle juridique. Tandis qu’une grande partie du rapport est consacrée à insister sur les efforts des FDI et sur leur capacité à atténuer les souffrances des civils, les auteurs ont conclu qu’Israël n’est que faiblement obligé d’agir ainsi sur le plan juridique. Ce n’est pas à cause de la menace militaire du Hamas, mais à cause de « la motivation et de l’intention » du Hamas.
Le détail le plus parlant dans ce genre de rapport, est cependant la tendance à situer le principal problème d’Israël dans le cadre d’une question de relations publiques. « Nous pensons que les FDI ont rempli leurs obligations au regard du droit pour fournir accès et assistance humanitaires aux civils de Gaza » dit le rapport du JINSA. « En même temps, nous reconnaissons que la légitimité stratégique de la campagne menée par Israël a été compromise par la perception de l’indifférence à l’égard de la souffrance humanitaire à Gaza ». Un membre actuel de la corporation des juges avocats-généraux, le commandant Joseph Levin, a traité la question de façon plus subtile. « La leçon à tirer pour l’Amérique du conflit Israël-Hamas est qu’une nation démocratique dotée d’une supériorité de puissance qui lui permet de remporter des victoires tactiques certaines, risque toujours une défaite stratégique lorsque son ennemi utilise efficacement la guerre cognitive pour saper le soutien de l’opinion publique”, a-t-il écrit dans Military Review.
Il y a deux mois, le Secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a licencié les juges avocats-généraux de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air – débarrassant chaque branche du plus gradé de ses juristes. L’un des concernés était le général de corps d’armée Joseph Berger qui avait récemment publié un article où il saluait l’ouvrage “The Eighteenth Gap” et soutenait nombre de réformes défendues par les juristes LSCO. Sur Fox News, Hegseth a décrit Berger et les autres juges avocats-généraux comme des « barrages » délibérés. Pour Hegseth, qui a été un fervent partisan de la « morale du guerrier » et qui a qualifié les juristes militaires du terme insultant de « jagoffs » (« tarés » en argot de Pittsburgh), il semble que l’adoption par Berger du travail juridique sur le LSCO n’avait pas été assez loin.
J’ai parlé à Geoffrey Corn peu après ces licenciements. Il se souciait du fait que Hegseth fabriquait une culture militaire dans laquelle des crimes de guerre pourraient rester impunis. « Si les dirigeants des États Unis peuvent mener une guerre en étant indifférents aux règles du droit international humanitaire ou du droit des conflits armés ou de quelque nom que nous voulions lui donner, ils vont apprendre très vite comme il est facile de gagner une bataille et de perdre une guerre » a-t-il dit.
Corn a mentionné qu’il n’avait jamais tué qui que ce soit lorsqu’il était dans l’armée, mais qu’il connaissait des soldats qui avaient tué. Il leur avait demandé s’ils en étaient satisfaits. “Quand vous avez à faire quelque chose d’incroyablement désagréable faisant partie de votre devoir, savoir que vous avez suivi un corps de règles largement compris et respecté vous aide à vivre avec les conséquences de ces actions ».